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Après Bali, l’OMC reprend confiance

Le patron de l’OMC Roberto Azevedo shakes et le président de la conférence de Bali lors de la cérémonie de clôture Reuters

En Indonésie, le gendarme du commerce mondial a retrouvé sa dynamique, selon Luzius Wasescha. L’ancien chef négociateur de la Suisse à l’OMC plaide pour le lancement de nouvelles négociations et une feuille de route qui pourrait être tracée à Davos en janvier prochain.

Après l’accord de Bali, les 159 membres de l’Organisation mondiale du commerce (160 avec le Yémen en passe d’y accéder) peuvent miser sur une nouvelle dynamique de négociations. Et ce pour empoigner les nombreux sujets du cycle de Doha lancé en 2001 que l’accord de Bali a délaissé. Sans compter les nouveaux thèmes que les pays anciennement industrialisés veulent mettre sur la table des négociations.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, estime l’ancien négociateur en chef de la Suisse à l’OMC Luzius Wasescha qui a aussi présidé le groupe de négociation de l’OMC sur l’accès aux marchés des produits industriels. Interview.

swissinfo.ch: Que signifie cet accord pour l’OMC?

Luzius Wasescha: Ce qui est important pour l’organisation, c’est d’avoir trouvé un accord au travers d’une négociation entre les membres. Ce qui avait manqué pendant très longtemps. Les négociateurs à Genève ou dans les capitales ont repris confiance en eux-mêmes, avec le ficelage de ce paquet modeste quant à la substance. 

Sans un tel accord, nous aurions assisté à une longue agonie de l’OMC.

C’est un tournant qui laisse espérer une reprise, tranche par tranche, du reste des thèmes du cycle de Doha.

J’espère également que l’OMC puisse, sans guerre de religion, arriver à discuter d’autres défis qui se posent au commerce mondial, comme les règles en matière d’ investissements, de concurrence, ou l’impact des chaînes internationales de valeurs ajoutées qui caractérisent la fabrication de toute une série de produits, comme nos appareils électroniques ou nos voitures.

swissinfo.ch: L’OMC est-elle durablement renforcée avec cet accord?

L.W. : Cette dynamique devrait inciter les négociateurs à préparer un nouveau paquet pour la prochaine conférence ministérielle prévue dans deux ans.

Concernant la mini-ministérielle organisée par la Suisse à Davos, il serait bon que le ministre suisse de l’Economie incite à tracer une feuille de route pour la prochaine ministérielle. Reste que les pays industrialisés voudraient compléter le catalogue de Doha avec des sujets nouveaux (comme évoqués plus haut, ndlr), alors que des pays comme l’Inde y sont réfractaires.

swissinfo.ch: Qui sont les gagnants de l’accord de Bali?

L.W. : Les grands gagnants sont les gros importateurs et exportateurs avec l’accord sur la facilitation des procédures douanières. Grâce à cet accord, il sera par exemple possible de payer ses droits de douane online et de régler online toute une série de procédures, ce qui n’était pas possible avant.

Alliance Sud regroupe les principales organisations suisses d’aide au développement.

Par la bouche de sa porte-parole Isolda Agazzi, la plateforme des ONG salue l’accord de Bali, en particulier la clause qui va permettre à l’Inde de réaliser un programme d’aide alimentaire estimé à 20 milliards de dollars avec des produits agricoles subventionnés par New Dehli.

Isolda Agazzi poursuit en critiquant les pays anciennement industrialisés:

«L’élimination des subventions agricoles est la principale raison pour laquelle les pays en développement veulent conclure le cycle de Doha.

Tant que celui-ci ne sera pas terminé, les pays industrialisés doivent se garder de remettre sur la table des sujets pourtant rejetés par les pays du Sud il y a plus de dix ans, comme la libéralisation des investissements, des marchés publics et du droit de la concurrence.

Ils ne doivent pas négocier en petit groupes des accords auxquels ils vont essayer de se rallier ultérieurement les pays en développement, comme l’accord international sur le commerce des services (TISA).»

swissinfo.ch

swissinfo.ch: Et qu’ont gagné les pays les plus pauvres ?

L.W. : La suppression des droits de douane mentionnés dans l’accord était déjà prévue lors de la ministérielle de l’OMC à Hong Kong en 2005 et réalisée à 96,5%.

Ce qui est maintenu, ce sont les barrières tarifaires américaines à l’égard du Bangladesh et du Cambodge sur les produits du coton. Et ce pour ne pas perturber le commerce entre les Etats-Unis et les pays africains qui ont un accès privilégié au marché américain. Pour changer les règles du jeu, il faudrait en passer par le Congrès où le président Obama n’a pas de majorité.

swissinfo.ch: Pour la Suisse, l’accord est-il entièrement positif?

L.W.: Tout-à-fait. L’engagement de supprimer les subventions à l’exportation a déjà été pris à la ministérielle de l’OMC à Hong Kong (2005). Le problème des quotas d’importation ne nous concerne pas, puisque nous respectons déjà les contingents fixés.

swissinfo.ch: Le dossier agricole continue de bloquer. Pourquoi?

L.W. : Les grands exportateurs agricoles (comme l’Argentine, le Brésil, l’Australie, l’Inde) maintiennent leurs revendications sur l’abaissement des barrières agricoles, mais ne veulent rien concéder pour l’industrie des services, dans l’accès aux marchés pour les produits non agricoles (NAMA), dans les services environnementaux. Ce que réclament les importateurs nets agricoles.

swissinfo.ch: On parle d’un gain de plus de 1000 milliards pour l’économie mondiale. Un chiffre crédible?

L.W. : Ces estimations sont à prendre avec des pincettes, puisqu’il faut encore que l’accord soit mis en œuvre par les Etats membres et que les exportateurs utilisent ces nouvelles procédures. Pour la mise en œuvre, une simple décision administrative devrait suffire. Mais il faudra 2 à 3 ans pour que les principaux acteurs utilisent ces procédures.

swissinfo.ch: Quelle est l’impact de Bali sur les deux grands accords entre les Etats-Unis et l’Union européenne d’une part et entre les Etats-Unis et les pays d’Asie d’autre part?

L.W. : En ayant un accord sur les procédures douanières, il y a un obstacle de moins dans le rapprochement des Etats-Unis et de l’Union européenne.

Concernant l’accord trans-pacifique, le gros problème, c’est l’agriculture. Le Japon a fait savoir qu’il ne veut pas entièrement libéraliser son secteur agricole.

Deuxième problème: l’accord est dirigé contre la Chine. Or la plupart des partenaires des Américains ont la Chine comme fournisseur principal. La manœuvre des Américains, c’est de conclure un accord avec des partenaires faibles pour imposer leurs vues. Ensuite, ils veulent inviter les Chinois et présenter les mêmes solutions aux Européens. Mais une telle méthode a peu de chance de succès.

swissinfo.ch: On parle ces jours de l’accord de libre-échange entre la Suisse et l’Inde. La Suisse respecte-elle les règles de l’OMC dans ces accords bilatéraux?

L.W. : La Suisse cherche à se greffer sur le droit de l’OMC existant pour aller un peu plus loin.

Concernant l’Inde, les négociations ont commencé en 2009 et la Suisse voudrait aboutir rapidement. Mais l’industrie pharmaceutique s’y oppose, parce qu’on a exclu la propriété intellectuelle de la négociation.

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