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Les travaux d’Hercule du nouveau patron de l’UNWRA

Philippe Lazzarini
Philippe Lazzarini: «Il est important que nous nous concentrions sur notre mandat, sur la fourniture de services, sur la promotion des droits des réfugiés palestiniens jusqu'au jour où une solution politique juste et durable sera trouvée dans la région.» Keystone

C’est le 1er avril que le suisse Philippe Lazzarini a officiellement pris la tête de l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, en pleine pandémie de coronavirus. Vétéran de la coordination humanitaire des Nations unies, notamment au Moyen-Orient, le nouveau commissaire général n’aura pas la tâche facile.

Plus que jamais, le conflit du Moyen-Orient semble insoluble, tout comme le mandat de l’UNRWA, l’Office des Nations unies en charge des réfugiés palestiniens au Proche-Orient. 

Créée par une résolution des Nations unies en 1949Lien externe, l’UNRWA est chargée de prendre en charge les réfugiés palestiniens chassés de leurs foyers lors de la guerre israélo-arabe de 1948-1949. Leur statut de réfugié implique la possibilité de retourner dans leur pays d’origine. Mais ce droit au retour a toujours été une pierre d’achoppement dans les négociations de paix. De quelque 750’000 réfugiés et déplacées à l’origine, leur nombre a augmenté au fil des générations pour atteindre 5,6 millions de Palestiniens vivant aujourd’hui dans des camps en Jordanie, au Liban et en Syrie, ainsi que dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est.  

Financée en grande partie par des contributions volontaires des États membres de l’ONU, l’UNRWA fournit aux réfugiés des services d’éducation, de santé et d’aide sociale. Depuis que l’administration Trump a suspendu en 2018 les versements des États-Unis (principal contributeur jusque-là), l’agence est confrontée à une grave crise financière.

Entre-temps, son ancien commissaire général, le genevois Pierre Krähenbühl, a démissionné l’année dernière après des accusations internes de mauvaise gestion qui n’ont pas été confirmées officiellement. Côté suisse, la Direction du développement et de la coopération a temporairement suspendu ses contributions avant de les reprendre à la fin de l’année dernière.

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La menace de la pandémie

À ces difficultés,s’ajoute désormais la crise sanitaire et économique engendrée par la Covid-19. Les premiers mois de travail de Philippe Lazzarini n’ont donc pas été faciles. Venant de Beyrouth, où il était auparavant le coordinateur humanitaire des Nations unies pour le Liban, il lui a fallu trois semaines pour négocier les autorisations de voyage à Jérusalem-Est, via la Syrie, la Jordanie et la Cisjordanie. À son arrivée, il a été mis en quarantaine pendant deux semaines. Et sa première entrée dans l’organisation s’est faite en visioconférence. 

«C’est la nouvelle normalité, comme on dit. Mais c’était un peu bizarre de commencer de cette manière», dit-il à swissinfo.ch.

La lutte contre la propagation du coronavirus dans les camps palestiniens surpeuplés et remplis de personnes vulnérables est la priorité du moment, dit-il: «Nous étions extrêmement inquiets d’une propagation rapide du coronavirus si Gaza ou les camps étaient touchés.» Au 1er juin, l’UNWRA annonceLien externe 156 cas dans les camps dont elle a la charge. «Avec une campagne de prévention massive, mais aussi l’adaptation de notre mode de fonctionnement, nous avons jusqu’à présent empêché la propagation de Covid-19», dit-il.

Pour faire face, l’agence a transféré ses services de santé vers la télémédecine et l’éducation vers l’apprentissage en ligne «dès le premier jour», dit-il, tandis que la distribution de nourriture s’est opérée par des livraisons à domicile pour éviter les rassemblements dans les centres habituels.

Rétablir la confiance

Outre la Covid-19 et son impact socio-économique potentiel sur les réfugiés, Philippe Lazzarini déclare vouloir s’attaquer à la crise financière de l’UNRWA et restaurer la confiance dans l’institution: «Je dois m’assurer que l’organisation est adaptée à son environnement et que nous tirons les leçons de la crise qui l’a frappée l’année dernière. Pour restaurer la confiance, un certain nombre d’initiatives doivent être mises en œuvre.»

Ces changements visent à renforcer la responsabilité de l’agence, à renforcer ses relations avec son conseil d’administration (le comité consultatif) et à rétablir la transparence financière, souligne-t-il. «Mais nous devons aussi renforcer la redevabilité (accountability) de l’organisation, créer une culture dans laquelle chacun se sent responsabilisé. C’est ainsi que l’on pourra rétablir la confiance au sein de l’organisation, mais aussi avec un certain nombre de partenaires.» 

Selon Philippe Lazzarini, un certain nombre de ces changements sont déjà en cours et sont discutés avec les représentants des États membres au sein du conseil consultatif. Il s’attend à ce que la mise en œuvre prenne de 12 à 18 mois.

«L’agence fait partie de la solution»

Que dit Philippe Lazzarini à la remarque du ministre suisse des Affaires étrangères Ignazio Cassis qui s’était demandé dans une interview en 2018 si l’UNRWA «fait partie de la solution ou fait partie du problème» du conflit israélo-palestinien?

«Il ne fait aucun doute que l’agence fait partie de la solution, et je ne vois aucune alternative à l’UNRWA qui contribue à la paix et à la sécurité ici dans la région, estime-t-il. Il serait dommage d’abandonner tous les investissements entrepris dans le développement humain.»   

Mais il reconnaît que la pertinence et la légitimité de l’organisation ont été régulièrement remises en question: «Mon objectif et ma priorité sont de faire en sorte que l’organisation soit à l’abri des considérations politiques, que les donateurs et les États membres soient fiers de leur investissement dans l’organisation. Il est important que nous nous concentrions sur notre mandat, sur la fourniture de services, sur la promotion des droits des réfugiés palestiniens jusqu’au jour où une solution politique juste et durable sera trouvée dans la région.»

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Une perspective qui peut paraitre illusoire. Reconduit récemment à son poste, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a annoncé vouloir annexer une partie de la Cisjordanie, alors qu’un «plan de paix» controversé élaboré par le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, existe, au moins théoriquement.

Philippe Lazzarini n’entend pas commenter l’affaire, disant seulement qu’il suit quotidiennement la situation pour voir «si l’un de ses développements a un impact sur la capacité de l’agence à remplir son mandat », précisant être en contact avec le gouvernement israélien.

Relations avec la Suisse

Interrogé sur ses relations avec les autorités suisses, Philippe Lazzarini (qui est à la fois suisse et italien) est optimiste. «Le gouvernement suisse a été un ardent défenseur et un partenaire essentielLien externe de l’UNRWA. J’attends vraiment et je comprends de mes échanges avec Berne que la Suisse continuera à être un partenaire important. Une fois que les voyages seront possibles, je viendrai également en Suisse, et j’ai bien l’intention d’avoir un dialogue plus personnel avec les autorités.»

Et dès que possible, Philippe Lazzarini a «l’intention de visiter les camps chaque mois dans chacun de nos domaines d’activité.»

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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