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Coup de théâtre: Hosni Moubarak jette l’éponge

Au Caire, la foule est en liesse. Keystone

Spectaculaire renversement après son discours de jeudi soir: Hosni Moubarak démissionne et remet le pouvoir à l’armée. C’est l’euphorie au Caire. En Suisse, on annonce bloquer les éventuels fonds d'Hosni Moubarak et de son entourage.

«Compte tenu des conditions difficiles que traverse le pays, le président Mohammed Hosni Moubarak a décidé d’abandonner le poste de président de la République et chargé le conseil suprême des forces armées de gérer les affaires du pays», a déclaré le vice-président Omar Souleimane dans une brève allocution télévisée, vendredi en fin d’après-midi.

Euphorie

L’annonce de la démission d’Hosni Moubarak est intervenue alors que plus d’un million de personnes manifestaient contre le raïs à travers l’Egypte. Les centaines de milliers de manifestants réunis place Tahrir au Caire ont explosé de joie à l’annonce de la démission du président, 82 ans, au pouvoir depuis trente ans.

«Le peuple a fait tomber le régime! le peuple a fait tomber le régime!», scandait une foule en délire sur cette place devenue symbole du mouvement de contestation déclenché le 25 janvier contre M. Moubarak, qui a fait selon des bilans non confirmés, au moins 300 morts.

Au 18e jour de la mobilisation populaire, les manifestants hurlaient de joie et agitaient des drapeaux égyptiens dans un concert de klaxons. Certaines personnes se sont évanouies sous le coup de l’émotion.

Un peu plus tôt, le Parti national démocrate (PND) de M. Moubarak avait indiqué que le chef de l’Etat avait quitté Le Caire pour la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, dans le Sinaï, où il dispose d’une résidence.

«Félicitations à l’Egypte, le criminel a quitté le palais», a écrit sur le réseau social online Twitter l’informaticien Waël Ghonim, devenu une icône du soulèvement en Egypte.

Blocage des fonds

Le gouvernement suisse a immédiatement décidé de bloquer les éventuels fonds d’Hosni Moubarak et de son entourage, a indiqué son porte-parole André Simonazzi. Il a publié une ordonnance en ce sens demandant aux banques suisses de rechercher et geler les avoirs du clan du président égyptien déchu.

Interrogée alors qu’elle se trouve en visite à Madrid, la présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey a indiqué que le texte a été publié vers 17h30. Soit une demi-heure après l’annonce de la démission d’Hosni Moubarak.

Dans un communiqué, le Département fédéral des Affaires étrangères déclare que «La Suisse appelle les responsables en Égypte à donner suite rapidement aux aspirations légitimes du peuple égyptien, dans une démarche crédible, participative et transparente. Toutes les parties concernées doivent maintenant coopérer de manière pacifique et constructive, dans l’intérêt du pays. C’est ainsi seulement que peuvent être créées des structures étatiques et des institutions qui garantissent durablement à l’Égypte la paix, la sécurité, la liberté et la démocratie et rendent possible le bien-être économique».

Le monde réagit

 

«Le peuple a parlé. Il a clairement indiqué qu’il n’accepterait rien d’autre qu’une authentique démocratie. L’Egypte ne sera plus jamais la même». Ce sont les propos que Barack Obama a tenus quelques heures après la démission d’Hosni Moubarak. «Le peuple américain est ému par tout ce qu’il a vu ailleurs et en Egypte», a-t-il ajouté. «‘Tahrir’ veut dire ‘libération’, et ceci inspirera toujours à nos âmes ce que le peuple égyptien a fait». La Maison Blanche a également appelé les nouvelles autorités égyptiennes à honorer les accords de paix avec Israël.

La cheffe de la diplomatie européenne Catherine Ashton a immédiatement salué la démission du président égyptien Hosni Moubarak qui «a écouté la voix du peuple égyptien» et ouvre ainsi la voie à des «réformes plus rapides et plus profondes». «Il est important que le dialogue soit accéléré, conduisant à un gouvernement largement représentatif qui respectera les aspirations (…) du peuple» égyptien, a-t-elle estimé.

Le Hamas a quant à lui évoqué «le début de la victoire de la révolution», tandis que des scènes de liesse se déroulaient à travers la bande de Gaza, contrôlée par le mouvement islamiste palestinien. Le porte-parole a appelé «l’armée égyptienne à se porter garante des revendications du peuple et à ne pas permettre qu’elles soient dévoyées».

L’Iran a estimé que les Egyptiens avaient obtenu une «grande victoire».

De son côté, Israël espère que la période de transition qui s’ouvre en Egypte se fera «sans secousse», a affirmé un responsable gouvernemental qui a requis l’anonymat. Il a également réaffirmé la nécessité de préserver le traité de paix conclu entre Israël et l’Egypte en 1979. «Ce traité sert les intérêts de deux pays et constitue une garantie pour la stabilité de l’ensemble de la région», a ajouté ce responsable.

Changement de cap

Jeudi soir, Hosni Moubarak avait annoncé qu’il déléguait ses prérogatives au vice-président Souleimane, mais qu’il restait de droit président jusqu’à la fin de son mandat en septembre, une annonce qui avait provoqué la colère des manifestants qui réclamaient son départ immédiat.

M. Moubarak avait aussi annoncé l’amendement de cinq articles controversés de la Constitution concernant la présidentielle. Mais il conservait encore de larges pouvoirs constitutionnels, et restait le seul à pouvoir dissoudre le Parlement et limoger le gouvernement, en vertu de l’article 82. Cela n’est désormais plus le cas.

Le président américain Barack Obama, dont le pays accorde à l’armée égyptienne une aide annuelle de 1,3 milliard de dollars, avait jugé insuffisant le transfert de prérogatives, alors que d’autres capitales appelaient à une transition immédiate du pouvoir.

L’armée égyptienne, colonne vertébrale du régime, s’était portée «garante» dans la matinée des réformes promises par M. Moubarak, en soulignant «la nécessité d’un retour à la vie normale».

Le conseil suprême des forces armées, dans un communiqué lu à la télévision par un présentateur, avait assuré qu’il garantirait «une élection présidentielle libre et transparente à la lumière des amendements constitutionnels décidés» et avait mis «en garde contre toute atteinte à la sécurité de la nation et des citoyens».

Il avait aussi promis de mettre fin à l’état d’urgence, en vigueur depuis 1981, «dès la fin des conditions actuelles».

La foule avait réagi avec dépit aux annonces de l’armée. «Vous nous avez déçus, on avait mis tous nos espoirs en vous», a lancé un manifestant aux militaires. «Armée il faut faire un choix, le régime ou le peuple!», criaient des protestataires.

Que réserve la suite? Certains, jeudi soir déjà, voyaient au-delà de la démission d’Hosni Moubarak: «S’il s’avère que l’armée va désormais nous diriger, nous faisons une pause ce week-end et commencerons ensuite une nouvelle révolution», pouvait-on lire sur Twitter.

Et vendredi, sur la place Tahrir, une jeune manifestante disait: «Je pleure parce que je suis heureuse», mais «Il reste beaucoup à faire: Le peuple doit contrôler cela. Nous aimons l’armée mais c’est le peuple qui a mené cette révolution et c’est lui qui doit la contrôler».

Hosni Moubarak est né le 4 mai 1928.

Il a commencé sa carrière dans l’armée. Diplômé de l’Académie militaire, puis de l’Académie de l’armée de l’Air, il devient notamment pilote, instructeur, chef d’escadrille et commandant de base.

Continuant à progresser dans la hiérarchie militaire, il assume les postes de chef de la délégation de l’armée égyptienne en URSS, directeur de l’Académie de l’armée et commandant du personnel de l’armée de l’air.

Au niveau politique, il est nommé ministres des Affaires militaires en 1972, vice-président de la République en 1975 et vice-président du Parti national démocratique en 1978.

En 1981, il accède au poste de président de la République après l’assassinat d’Anouar el-Sadate.

Il a été par la suite réélu en 1987, 1993, 1999, 2005.

25.1:  Début des manifestations. Elles ont été précédées de plusieurs cas d’immolation.

  

26 – 28.1: Des milliers de manifestants dans les rues malgré l’interdiction des autorités. Répression. Le 27, l’opposant Mohamed ElBaradei revient au Caire et se dit prêt à mener la transition.

  

29.1:  Moubarak nomme un nouveau Premier ministre, le général Ahmad Chafic, et crée un poste de vice-président, octroyé au chef des Renseignements, le général Omar Souleimane.

  

30.1: L’armée boucle le centre-ville avec des chars d’assaut, des avions de chasse survolent la capitale à basse altitude.

  

31.1: Moubarak forme un nouveau gouvernement. L’armée s’engage à ne pas faire usage de la force, jugeant les revendications du peuple «légitimes».

  

1.2: Plus d’un million de manifestants dans le pays. Marée humaine place Tahrir, au Caire. Moubarak annonce qu’il ne sera pas candidat à la présidentielle. 

  

2-3.2: Des heurts sanglants éclatent place Tahrir lorsque des partisans de Moubarak font irruption.

  

4.2: Des centaines de milliers d’Egyptiens dans les rues, à l’occasion d’une mobilisation baptisée «vendredi du départ».

  

5.2: Démission du bureau exécutif du Parti national démocrate (PND).

  

6.2: Les Frères musulmans se joignent à un dialogue politique national, avec d’autres groupes d’opposition.

  

7.2: Moubarak promet une hausse des salaires et demande la formation d’une commission d’enquête.

  

8.2: Les manifestations les plus importantes depuis le début du mouvement.

  

9.2: Des violences sanglantes touchent le sud reculé. Des centaines de manifestants encerclent le Parlement et le siège du gouvernement au Caire.

  

10.2: L’armée annonce qu’elle examine les «mesures» «appuyer les demandes légitimes du peuple». Dans un discours télévisé, Moubarak confirme qu’il reste au pouvoir.

11.2: Plus d’un million de manifestants dans toute l’Egypte. Le président Moubarak quitte ses fonctions et remet le pouvoir à l’armée.

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