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Credit Suisse mieux traité qu’UBS aux Etats-Unis ?

Brady Dougan, le patron de Credit Suisse, devant une commission du Sénat américain ce mercredi. Keystone

Après UBS, c’est au tour de Credit Suisse d’être dans la ligne de mire des Etats-Unis. Les autorités suisses ont fait leur possible pour éviter le désastre qu’avait connu UBS. Mais les experts sont partagés sur la façon dont le ministère de la Justice des États-Unis va agir cette fois.

En 2008 et 2009, la crédibilité d’UBS, la plus grande banque suisse, le légendaire secret bancaire et l’industrie de la gestion de fortune suisse sont tombés comme des dominos suite  à la campagne concertée des États-Unis contre l’évasion fiscale.

Mercredi dernier, une audience du Sénat américain a fustigé la lenteur de la mise au pas de Credit Suisse pour complicité de fraude fiscale. Dirigés par le sénateur Carl Levin, les auditeurs ont invoqué le « bon vieux temps » où des procureurs s’attaquaient aux banques suisses avec une série de menaces judiciaires.

Mais les règles du jeu ont changé depuis qu’UBS a payé une amende de 780 millions de dollars et que les autorités suisses ont remis des milliers de noms de clients au fisc américain.

Après l’audition de Brady Dougan, patron de Credit Suisse, devant une commission du Sénat américain, l’Association suisse des employés de banques (ASEB) exige des excuses publiques. Elle estime que le directeur général du numéro deux bancaire a dénigré les salariés de l’établissement.

L’ASEB juge peu crédibles les propos tenus mercredi à Washington par Brady Dougan qui a en substance déclaré que la direction n’était pas au courant des agissements contraires aux directives de certains employés ayant aidé des clients américains à cacher leurs avoirs au fisc.

L’association considère encore que les déclarations du directeur général de Credit Suisse placent des collaborateurs de l’établissement, dont les données personnelles ont été transmises aux Etats-Unis, dans une situation difficile.

Les paroles de Brady Dougan dénigrent de nombreux salariés de la banque qui ne sont pas impliqués dans le cas en question.

L’ASEB relève qu’il était communément admis que l’établissement misait sur l’évasion fiscale, un modèle d’affaires pour les banques.

Source : ATS

Le Sénat se fâche

Tout en assurant que seuls certains de ses employés avaient aidé des clients américains à échapper à l’impôt, Credit Suisse n’a livré que 238 noms aux autorités des États-Unis sur les 22 000 comptes détenus par la banque en 2008. Une attitude fondée sur un traité américano-suisse signé en août 2013 qui interdit expressément la remise de noms de clients aux États-Unis.

«Si nous n’obtenons pas la coopération des Suisses, alors nous allons utiliser nos propres moyens», a averti le sénateur Levin, en se référant aux citations à comparaître et autres convocations judiciaires.

Egalement passé au crible durant l’audience du sénat, le ministère américain de la Justice (DoJ) va-t-il désormais adopter un style agressif contre Credit Suisse, comme il l’avait fait à l’encontre d’UBS ? Les avis divergent.

«La pression a été mise sur le DoJ  pour qu’il délivre des assignations pénales contre les banques suisses, mais le DoJ a dit qu’il ne voulait pas prendre le même chemin avec le Credit Suisse qu’à l’époque d’UBS, relève Peter V. Kunz, expert en questions fiscales à l’Université de Berne. À la suite de ce témoignage, je ne pense pas qu’il y aura des poursuites pénales supplémentaires à l’encontre des banques suisses. »

Un avis que ne partage pas Beckett Cantley. Ce spécialiste de la fiscalité à la faculté de droit John Marshall à Atlanta (États-Unis) souligne qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir du sénateur Levin et de son sous-comité d’enquêtes (PSI).

Beckett Cantley est aussi préoccupé par l’irritation évidente montrée par Levin et ses collègues sénateurs face au retard dans l’obtention des noms des fraudeurs américains. Cela pourrait être interprété comme la preuve que Credit Suisse n’a pas tiré les leçons de l’affaire UBS.

«Credit Suisse pourrait se retrouver dans une situation pire que celle d’UBS si la banque ne trouve pas un terrain d’entente avec le DoJ», estime Beckett Cantley.

En 2008 , le DoJ a commencé son enquête sur UBS pour  son soutien aux fraudeurs du fisc américain. Un an plus tard, UBS a reconnu sa culpabilité et a payé une amende 780 millions de dollars.

Le gouvernement suisse a autorisé la remise de quelque 4.500 noms de clients d’UBS à l’Internal Revenue Service,  en violation du secret bancaire suisse.

Le DoJ a entamé des enquêtes criminelles contre 14 autres banques suisses, dont Credit Suisse.

En 2012, Wegelin –  la plus ancienne banque suisse –  a vendu ses activités non américaines à Raiffeisen, suite à l’enquête du DoJ. Un an plus tard, la banque a fermé ses portes.

L’année dernière, la banque Frey a annoncé qu’elle cessait ses activités en raison des enquêtes pour fraude fiscale menées aux Etats-Unis.

En août 2013, la Suisse et les États-Unis ont conclu un accord permettant aux banques suisses acceptant de coopérer avec la justice américaine d’échapper aux poursuites pénales.

À la fin de l’année dernière, 106 banques suisses avaient signé le programme.

Plusieurs banquiers suisses, des avocats et des conseillers en gestion de fortune ont été cités à comparaître par les Etats-Unis, dont au moins sept anciens employés du Credit Suisse.

Beaucoup sont restés dans l’ombre. Mais l’un des anciens directeurs d’UBS, Raoul Weil, a été arrêté en Italie et extradé vers les États-Unis à la fin de l’année dernière.

Détermination renouvelée

Peter V. Kunz estime, lui,  qu’il ne faut pas peindre le diable sur la muraille. Le DoJ n’a pas le type de preuves qu’avait fournies l’ancien employé d’UBS Bradley Birkenfeld, qui pointaient les pratiques néfastes des cadres de la banque.

Si l’accord helvético-américain de l’été dernier, méprisé par Levin, n’a pas permis de dévoiler autant de noms tout de suite, il a tout-de-même poussé plus de 100 banques suisses à admettre d’un seul coup leur culpabilité.

Peter V. Kunz souligne aussi que les autorités suisses se sont depuis longtemps remises du choc de l’affaire UBS. La panique a laissé la place à la détermination.

«Beaucoup d’erreurs ont été faites dans le cadre de l’affaire UBS, mais les nerfs se sont maintenant calmés. Le DoJ doit être conscient qu’il n’obtiendrait pas un résultat similaire qu’avec UBS, s’il recourait aux mêmes tactiques contre Credit Suisse. »

Amende salée en perspective

De son coté, la banque veut  clore le chapitre de l’évasion fiscale pour se concentrer pleinement sur ​​ses affaires.

L’année dernière, sa division de gestion du patrimoine a attiré 18.9 milliards de francs suisses d’actifs. La même année, UBS a engrangé 28.6 milliards de francs.

«Credit Suisse a sûrement souffert de certains dommages à sa réputation, avance Andreas Brun, analyste à la Banque Cantonale de Zurich. Mais plus en Suisse que dans d’autres pays. »

Après avoir payé récemment une amende de 196 millions de dollars au régulateur financier américain pour avoir donné des conseils d’investissement non autorisés, Credit Suisse a une réserve d’environ 300 millions de francs pour régler les questions en suspens de l’évasion fiscale .

Andreas Brun estime pourtant que la facture finale pourrait bien dépasser les 780 millions de dollars versés par UBS en 2009.

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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