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Tidjane Thiam: un «choix audacieux mais sensé»

Le président du conseil d'administration Urs Rohner prend congé de Brady Dougan (à droite) et accueille Tidjane Thiam (à gauche) à la tête de Credit Suisse. Keystone

La presse de mercredi commente abondamment le prochain changement à la direction générale de Credit Suisse (CS). Pour les éditorialistes, la nomination du franco-ivoirien Tidjane Thiam préfigure assurément un changement de stratégie pour la deuxième banque suisse.

Sans être au cœur des commentaires des journaux suisses, l’origine africaine du nouveau patron de CS, une première à la tête d’une grande entreprise suisse, est évoquée dans le contexte économique et politique suisse : Ainsi l’«Agefi»: «Il n’est pas encore acquis que Tidjane Thiam soit la bonne personne pour assurer le développement de Credit Suisse ces prochaines années, mais personne ne pense à ce stade que le risque d’erreur de casting soit particulier, culturel ou lié à des questions de nationalité. Cet événement vient surtout rappeler que les équipes de management des entreprises suisses, les grandes en particulier, sont les plus internationalisées du monde», écrit le journal des affaires.

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Credit Suisse: Dougan s’en va, Thiam arrive

Ce contenu a été publié sur Né en Côte d’Ivoire, Tidjane Thiam a été élevé en France, pays où il a effectué ses études. Après plusieurs années passées auprès de McKinsey & Company, il a travaillé pour le gouvernement ivoirien, en dernier lieu en tant que ministre du plan et du développement, avant de retrouver McKinsey en tant que partenaire. De…

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Des commentateurs, en Suisse romande surtout, en profitent d’ailleurs pour décrocher quelques traits contre le vote du 9 février 2014, où le peuple avait accepté de limiter le nombre de travailleurs étrangers autorisés à venir en Suisse.

«Tidjane Thiam est le premier dirigeant d’une entreprise suisse d’une telle taille à être d’origine africaine. Le choix du Franco-Ivoirien à la tête d’une banque aussi associée à la Suisse est sans doute la meilleure réponse que l’économique pouvait donner à l’initiative du 9 février. Pour prospérer, la Suisse a besoin de cadres brillants qu’il faut aussi aller chercher à l’étranger. Et Tidjane Thiam ne ressemble en rien à un alibi», écrit le quotidien romand «Le Temps».

Se fier à la bourse

Les commentateurs estiment qu’à première vue, le président du conseil d’administration de CS Urs Rohner a fait un bon choix en désignant le Franco-Ivoirien. En tout cas, ils saluent les prestations de ce dernier en Grande-Bretagne. «Les premiers éléments semblent montrer qu’il a fait un choix audacieux, mais sensé, alors que la France regrette déjà d’avoir laissé filer une perle, qu’elle a négligée», note «Le Temps».

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Dans leur commentaire commun, la «Tribune de Genève» et «24 heures» avancent quelques éléments expliquant ce choix. «Ce sont plutôt ses bons résultats avec Prudential en Asie, où Brady Dougan disait avoir du retard sur ses concurrents, qui ont fait la différence. Ou ses liens avec les Etats-Unis. Tidjane Thiam est réputé proche de Barack Obama, ce qui facilitera les relations avec une puissance tatillonne à l’égard des financiers». 

De l’avis général, un bon choix donc, qui est d’ailleurs confirmé par la réaction des marchés. «Parfois le cours des actions est significatif. Ces huit dernières années, sous la direction de Brady Dougan, le titre de Credit Suisse a perdu 80% de sa valeur. Hier il s’est envolé de 7,76%, alors que celui de l’assureur Prudential, que Tidjane Thiam va quitter, a chuté de près de 3%», soulignent «24 heures» et la «Tribune de Genève».

Changement de stratégie

Les journaux sont unanimes pour dire que ce changement à la tête du CS préfigure un changement de stratégie. On peut même parler de «tournant fondamental de stratégie et de culture du CS», estiment le «Bund» et le «Tages-Anzeiger». Dans leur commentaire commun, les deux quotidiens alémaniques ajoutent: «On peut parier qu’avec le départ de Dougan, ce n’est pas seulement son règne de huit ans à la tête du CS qui prend fin. D’autres têtes dirigeantes, en particulier dans la banque d’investissement, devront aussi chercher de nouveaux défis».

En effet, pour bon nombre d’observateurs, c’est bel et bien la banque d’investissement qui est visée. «Beaucoup espèrent quelque chose de totalement nouveau de la banque et d’une nouvelle personnalité à sa tête. Il doit entamer un éloignement d’une banque d’investissement risquée et capitalistique et mettre en valeur des marchés en Asie où il est visiblement très bien connecté. Il doit faire en sorte, et c’est le plus important pour le groupe, que les actionnaires, qui n’ont pas vraiment eu à se féliciter du CS ces dernières années, aient à nouveau une raison d’être optimistes», juge l’«Aargauer Zeitung».

Même son de cloche du côté du «Temps» pour qui Tidjane Thiam «regardera aussi probablement moins la banque d’investissement, chère à son prédécesseur qui en était issu et qui n’a jamais vraiment accepté de d’en défaire, pour se concentrer sur la gestion de fortune et d’actifs. Alors que la banque d’affaires est de moins en moins rentable, c’est une bonne nouvelle pour l’établissement et ses actionnaires».

Pour autant, il ne faut pas enterrer trop vite la banque d’investissement. «La réaction positive de la bourse ne peut être comprise que comme l’espoir d’un changement de stratégie. Mais celui qui croit qu’à l’exemple d’UBS, Thiam va concentrer la banque sur la gestion de fortune et initier le démantèlement de la banque d’investissement devrait faire erreur. La banque ne peut pas se permettre une telle mesure – et ne le devrait pas non plus. Au cours des trois dernières années, Dougan a fait reposer la banque d’investissement sur un base nettement plus solide et elle est depuis devenue un pourvoyeur de revenus tout à fait fiable et participe au fait que ses actionnaires puissent continuer à percevoir un dividende raisonnable», juge par exemple la «Basler Zeitung».

«Coup de marteau»

Le changement de directeur marque donc un certain désaveu pour la stratégie du directeur général sortant de CS, l’Américain Brady Dougan. Mais de l’avis général, c’est l’amende de 2,8 milliards de dollars récemment infligée au CS par les Etats-Unis pour avoir aidé des contribuables américain à frauder leur fisc qui a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La «Neue Zürcher Zeigung» qualifie d’ailleurs cette amende de véritable «coup de marteau».

Faisant un large usage de la métaphore maritime tout au long de son commentaire, l’«Express» partage cet avis. «Sans doute que le ressac aux embruns fortement salés dû aux 2,8 milliards d’amendes infligé à l’établissement par la justice américaine nécessite que quelqu’un écope», note le quotidien de Neuchâtel.

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Certains commentateurs reconnaissent pourtant certains mérites à Brady Dougan. «Ce n’était par exemple pas une évidence que le CS ne demande jamais l’aide de l’Etat, et qu’il ne frappe pas à la porte du contribuable suisse, contrairement à UBS», reconnaît la très libérale «Neue Zürcher Zeitung».

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