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«En Suisse, Jorge Luis Borges pouvait être lui-même»

Borges avec son épouse Maria Kodama à Buenos Aires en 1976. Fundación Internacional Jorge Luis Borges

Le grand écrivain et penseur argentin est mort, voici vingt ans, à Genève. Sa dépouille repose dans la cité de Calvin.

Pour Jorge Luis Borge, la Suisse est un pays prônant la tolérance et le respect. Où des personnes de langues et de religions différentes vivent en harmonie.

A l’occasion du 20ème anniversaire de la mort de Jorge Luis Borges, des hommages à son oeuvre et à sa mémoire lui sont rendus dans le monde entier: à Buenos Aires bien sûr mais aussi à Lisbonne, Madrid, Paris, New York, Puerto Rico et Genève.

Controversé et polémiste, Borges, géant de la littérature mondiale, avait choisi la Suisse pour y vivre ses derniers jours. Aujourd’hui encore, nombre de ses compatriotes argentins n’ont pas accepté sa décision de mourir à Genève.

Tolérance et solidarité

En fait, peu d’entre eux savent que la Suisse a marqué la vie de l’écrivain.

Jorge Luis Borges est venu en Suisse en 1914, accompagné de sa famille. Il était encore adolescent. Son père devait soigner sa cécité progressive.

Cette même année, lorsque la première guerre mondiale a éclaté, la famille Borges a dû s’établir à Genève. Le jeune Borges est allé aulycée Jean Calvin où il a étudié notamment le latin, le français et l’allemand.

Ces langues lui ont permis d’élargir ses connaissances littéraires et de découvrir Schopenhauer et Nietzsche entre autres grands philosophes.

Bloqué dans une ville étrangère, entouré par un conflit qu’il ne comprenait pas, le futur écrivain a appris à apprécier profondément la tolérance et la solidarité genevoises.

«Il s’est rendu compte de la manière dont les réfugiés de la première guerre mondiale y avaient été accueillis. Il en a été marqué pour le restant de ses jours », se souvient Maria Kodama, ex-élève et seconde femme du grand écrivain.

«Vendu» à un photographe

«Genève était la ville de ses études et il l’aimait surtout pour son sens du respect des autres», ajoute Maria Kodama.

«Pour lui, en Suisse, il existait encore l’éthique et le respect qui avaient disparu ailleurs. Il voulait mourir tranquille auprès de la femme qu’il aimait, comme n’importe qui d’autre. »

Justement, Borges a souffert dans sa patrie natale d’un manque de respect évident. Sérieusement malade, il a été photographié sur son lit à l’hôpital. Et c’est son infirmière qui l’a littéralement «vendu» à un photographe.

L’attitude des Genevois

Cela explique en partie son attachement à Genève. Durant les derniers mois de sa vie, l’écrivain aimait se promener avec sa femme dans les rues de la vieille-ville.

«C’était merveilleux de voir l’attitude des gens qui le reconnaissaient. Je m’en rendais compte car ils me regardaient, souriaient et continuaient leur chemin. Je le lui disais et il était content que l’on sache qui il était mais qu’on le laisse quand même tranquille», note encore Maria Kodama.

Critique et auto-protection

Cela dit, Jorge Borges a eu, dans sa jeunesse, des mots assez durs sur la Suisse.

«C’était étrange, souligne sa veuve. Il disait que dès le moment où il avait dû quitter la Suisse, le fait de la critiquer était devenu une forme d’auto-protection.»

«Il me racontait que lorsqu’il se trouvait face à un changement forcé, comme son départ de la Suisse, ce qu’il avait de mieux à faire était d’y penser comme s’il s’était agi d’une amputation ».

Borges devait réussir son «amputation» de la Suisse. Pour ne pas trop souffrir de nostalgie, «il s’est mis à critiquer un pays dont il voulait parvenir à se détacher. Lorsqu’il a surmonté cette phase de son existence, il est allé jusqu’à affirmer que la Suisse était l’une de ses patries ».

Osvaldo Ferrari – poète et ami de Borges – met en évidence le côté cosmpolite de l’écrivain argentin: « il aimait l’idée que chacun de nous puisse se sentir citoyen du monde, une idée qui protège contre le nationalisme qu’il considérait comme un des pires maux du siècle ».

swissinfo, Norma Dominguez
(Traduction, Gemma d’Urso)

– Jorge Luis Borges Acevedo est né à Buenos Aires le 24 juin 1899. Il est mort à Genève le 14 juin 1986.

– Il a été un des plus influents et importants écrivains du 20ème siècle. Il s’est rendu célèbre surtout pour ses récits fantastiques dans lesquels il conjuguait les idées philosophiques et métaphysiques.

– En 1914, il s’établit avec sa famille à Genève où il a résidé jusqu’en 1918 avant de se rendre à Lugano, Majorque et d’autres villes européennes puis de rentrer à Buenos Aires.

– Il a décrit ses sentiments pour la Suisse dans son livre « Les conjurés », son ultime oeuvre littéraire dédiée «en héritage à l’humanité ».

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