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La résurrection selon Romain Sardou

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«Délivrez-nous du mal», c'est le titre du nouveau roman que publie Romain Sardou, installé à Neuchâtel depuis plusieurs années. Une intrigue haletante qui mêle violence médiévale, complot chrétien et intérêt prononcé de l'auteur pour l'irrationnel.

Avec «Pardonnez nos offenses», en 2002, Romain Sardou attelait ses personnages hauts en couleur au thème de l’Apocalypse.

Après avoir abordé le conte et le polar contemporain à travers d’autres ouvrages, il nous ramène au 13e siècle avec «Délivrez-nous du mal», centré cette fois-ci sur la quête de la résurrection…

Attention, il ne s’agit pas d’un pensum pour amicale de théologiens. Mais à nouveau d’un roman populaire, sombre et violent, qui nous emmène de Rome au Quercy en passant par le Languedoc post-cathare.

C’est haletant – Sardou, en adepte de Dumas, maîtrise les mécaniques romanesques implacables – et déconcertant: si l’auteur charge l’Eglise catholique de terribles complots, il semble ne pas remettre en doute un instant l’irrationnel le plus débridé… Paradoxe?

swissinfo: Avec «Délivrez-nous du mal», vous poursuivez la déclinaison du «Notre père», puisqu’il y avait eu «Pardonnez nos offenses»… Le début d’une série?

Romain Sardou: Peut-être. Neuf livres, prenant pour thème chaque demande du Notre Père, avec en plus un «Ainsi soit-il» à la fin. J’ai plusieurs projets de romans, qui tout en restant autonomes, tournent tous autour du même noyau, et se dérouleraient dans la 2e moitié du 13e siècle. Mais annoncer neuf livres est un peu dangereux. Je ne sais pas si j’irai au bout ou pas.

swissinfo: Vous renouez donc avec certains lieux et personnages de votre premier roman… C’est votre côté Balzac?

R.S.: Balzac va se retourner dans sa tombe! A chaque fois qu’on écrit un roman, on doit en couper plein d’éléments, on a le sentiment qu’on n’a pas tout dit, qu’on n’a pas refermé son sujet. C’est un plaisir de se dire qu’on va pouvoir, dans un autre livre développer un élément, retrouver un personnage. Balzac, c’est évidemment la référence absolue, mais plein d’auteurs aiment faire ça.

swissinfo: Vos romans historiques sont riches de détails très documentés. Un exemple: les croix de bois sur les murs d’un bordel pour éviter que les hommes n’urinent contre les murs! Où trouvez-vous ce genre d’éléments?

R.S.: Celui-ci, je l’ai trouvé dans un exemplaire de «Science et Vie», ou une revue de ce genre, qui parlait de découvertes archéologiques médiévales. Il y avait ce détail, que j’ai trouvé succulent! Je passe parfois des heures dans des bibliothèques à chercher des textes qui ne me servent à rien, et des fois, j’achète une revue par hasard et je tombe sur un détail savoureux.

On croit souvent que la recherche de documentation est un truc ennuyeux, mais en fait c’est passionnant. En plus, je ne suis pas historien, je ne cherche pas à donner une vision totale du Moyen-Age, je suis à l’affût de ce qui va coller à mon histoire ou à mes personnages. On est toujours content de trouver une pépite. Et puis il y en a que j’invente…

swissinfo: Vous nous racontez une Eglise catholique manipulatrice, violente, immorale… sans pour autant mettre en cause le pape.

R.S.: Pendant le Moyen-Age, il y a eu de longues périodes sans pape, parfois durant plusieurs années, lorsque le conclave ne parvient pas à se mettre d’accord sur la désignation d’un nouveau pape. Lors de ces interrègnes se mettait en place un collège constitué de membres de la Curie. Ce sont des périodes jubilatoires pour un romancier. Alors que toute la carrière d’un pape est documentée, il y a peu d’éléments sur ces périodes. Ce sont de grands trous dans lesquels le romancier peut s’amuser. Toute ma théorie, tous les «méchants» de mes romans font partie de ces interrègnes.

swissinfo: Vous dénoncez les manips de certains membres de l’Eglise catholique tout en partant du postulat que le paranormal, le miraculeux, existe! Stigmates, communication avec les morts, voyance, guérison miraculeuse… le narrateur admet tout!

R.S.: A cette époque, l’irrationnel fait partie de la vie des gens. On croit souvent qu’au Moyen-age, l’Eglise est extrêmement puissante, installée, omniprésente. Mais au 13e siècle encore, si les gens sont chrétiens – ils n’ont d’ailleurs pas le choix – à côté de cela, il y a toujours des croyances païennes, des superstitions millénaires. Le travail de l’Eglise à l’époque, c’est justement de superposer quelque chose de chrétien sur chacune de ces croyances. Un travail de colonisation, d’acculturation comme disent les spécialistes, afin de récupérer tout cela.

swissinfo: Ce ne sont pas que vos personnages qui ont cette vision des choses, mais aussi le narrateur… Vous êtes l’un des membres d’honneur de l’INREES, Institut de recherche sur les expériences extraordinaires. Goût littéraire pour le paranormal ou conviction profonde?

R.S.: Sur chacun de ces problèmes dits irrationnels, les deux versions me conviennent. Y a-t-il de la vie sur d’autres planètes? Si c’est le cas, c’est extraordinaire. Si ce n’est pas le cas, c’est extraordinaire aussi, parce qu’on est seul. Pareil pour la vie après la mort. S’il y en a une, c’est formidable. Sinon, cela veut dire que notre vie a une importance capitale.

Je suis quelqu’un qui a beaucoup de difficulté à savoir à quoi il ne croit pas. Il y a plein de choses où je me dis: pourquoi pas? Qui suis-je pour dire que quelque chose n’existe pas, ou est impossible?

En fait, je n’essaie pas de savoir à quoi je crois, mais plutôt d’identifier les choses auxquelles fondamentalement je ne crois pas. Et je m’aperçois qu’il n’y en a pas tant que ça. Une démarche comme celle de l’INREES, qui souhaite apporter des données, des structures de réflexion, aux scientifiques, me convient donc bien.

swissinfo: Le fait qu’il y ait un festival du film fantastique à Neuchâtel doit vous combler!

R.S.: Je n’y suis pas encore allé. Et là, c’est autre chose, c’est juste du fantastique, comme mes livres! Et honnêtement, je ne nage quand même pas dans l’irrationnel 24 heures sur 24! Je ne suis pas tous les soirs branché avec mon antenne à dire ‘Petit homme vert, parle-moi!»

Interview swissinfo, Bernard Léchot à Neuchâtel

Né en 1974, Romain Sardou est le fils du chanteur Michel Sardou.

Il quitte le lycée avant le bac pour étudier l’art dramatique auprès de Jean-Laurent Cochet notamment. En 2000, il s’installe à Los Angeles où il travaille pour Disney.

Deux ans plus tard, il revient en Europe et s’attaque à l’écriture de romans. Le premier, «Pardonnez nos offenses» (2002), se vend à 300’000 exemplaires et est traduit en une grosse quinzaine de langues!

Suivent «L’Eclat de Dieu» (2004) et «Personne n’y échappera» (2006), un sombre polar américain. Il est aussi l’auteur de contes: «Une Seconde avant Noël» et «Sauver Noël» (2006).

Il vit à Neuchâtel depuis 6 ans, avec sa femme et ses enfants, et passe chaque année quelques mois en Floride, où vit sa mère.

Août: «Lots of Love», traduction de la correspondance inédite de Francis Scott Fitzgerald et de sa fille Scottie (Ed. Bernard Pascuito Editeur)

Septembre: «Délivrez-nous du mal», roman (XO Editions)

Octobre: Réédition du conte «Sauvez Noël» (Ed. Pocket)

Novembre: Nouveau conte : «L’Arche de Noël» (XO Editions)

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