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Les saints de l’islam à Martigny

Les musulmans vénèrent aussi les saint chrétiens, comme le témoigne le tombeau de Saint Jean Baptiste dans la mosquée de Damas. Catherine Touaibi

Le Manoir de Martigny présente «Parcours sacré», exposition sur les grandes traditions religieuses, en lien avec l’année 2010 de l’ONU sur le rapprochement des cultures. Gros plan sur les photos de Catherine Touaibi montrant des tombeaux de saints dans le Grand Maghreb.

«Formuler un dialogue ouvert sur le destin de l’homme»: l’objectif de cette exposition est ambitieux. «C’est vrai que c’était un défi de créer une rencontre sans tomber dans l’histoire des religions, concède le directeur du Manoir, Mads Olesen. Nous avons donc volontairement renoncé à toute objectivité pour permettre à chacun de ressentir la lumière de cet héritage de l’humanité.»

Le volet consacré à l’islam par le musée d’art contemporain valaisan propose les photos de Catherine Touaibi sur des tombeaux de saints vénérés par les soufistes. Une femme, blonde aux yeux bleus, fribourgeoise et d’éducation catholique: un profil plutôt inattendu…

Un regard de femme occidentale

«C’est vrai, admet Mads Olesen en riant. Mais ce travail offre un regard de femme occidentale, un témoignage touchant et sensible sur cette tradition ésotérique et mystique de l’islam. C’est un regard très humain sur des personnes qui prient dans des lieux saints.»

Mausolée d’un ermite perdu au sommet d’une montagne du Maroc, tombeau d’une sainte égyptienne, cimetière des saints à Fès, au Maroc, femmes priant sur la tombe d’un maître spirituel, bougies luisant au fond d’une grotte en Tunisie… Catherine Touaibi présente une trentaine de photos de dimensions relativement modestes. Des instantanés sans fioritures ni matériel sophistiqué.

«Mon but, c’est de saisir l’instant qui ne reviendra pas, de témoigner de cette foi des gens en prière. Mais je reste discrète, je ne les prends pas de face, pour ne pas les offenser et je ne peux pas emmener un équipement trop voyant. Je me fonds dans le décors et j’attends, parfois pendant des heures, le moment où je sens que je peux prendre ma photo. Il m’est arrivé de devoir y retourner plusieurs fois», explique la photographe.

Un de ces instantanés montre des chrétiennes recueillies devant le sanctuaire de Jean-Baptiste (le prophète Yahyia pour les musulmans), dans la mosquée des Omeyades de Damas (Syrie), à côté d’un musulman faisant sa prière vers la Mecque.

«Cette mosquée est extraordinaire parce qu’elle a été construite sur une église qui, elle-même, avait été édifiée sur le temple de Jupiter, père des dieux romains», poursuit Catherine Touaibi.

Spiritualité sans étiquette

Et de relever que beaucoup de saints musulmans ont vécu à la même période (11e – 13e siècles) que des chrétiens comme François d’Assise, qui avait du reste voyagé en Egypte.

Pourquoi cet intérêt? «Je suis née à Fribourg, haut lieu de spiritualité en Suisse, qui compte encore une foule de couvents et de monastères, et j’ai toujours été attirée par le mysticisme, caractéristique des confréries soufistes», répond l’intéressée.

«C’est un enseignement de sagesse universelle qui nous est parvenu via une chaîne de disciples et de maîtres spirituels. C’est un questionnement de soi qui nous ramène vers le sacré, une notion plutôt mise de côté de nos jours dans nos sociétés.»

Catherine Touaibi a embrassé l’islam il y a une dizaine d’années. Mais elle avait découvert l’Orient dès 1982, lors de son mariage avec un Algérien: «J’ai été très frappée par la générosité de l’accueil, par cette culture orientale qui n’a rien en commun avec le côté figé de l’Occident.»

«Son» premier tombeau a été celui du cheikh Sidi ben Kassi, ancêtre de la famille de son mari. «Je me suis passionnée au fur et à mesure. Souvent, il y a la dépouille de la personne, mais pas toujours. Mais il y a quelque chose de magique dans ces tombeaux, on perd la notion du temps et de l’espace.»

Un virage à 80 degrés

Au début des années 2000, Catherine Touaibi a opéré un autre grand tournant dans sa vie professionnelle cette fois. Après avoir travaillé dans le tourisme et le marketing pendant trente ans, elle s’est mise à son compte. «Je ne pouvais plus concevoir ma vie à travailler, à produire et à consommer. J’ai voulu lui donner du sens, donner de l’espace à cette part orientale que j’ai découverte en moi.»

Et puis cette voyageuse a découvert la photo, en 2003, au hasard d’une exposition. Au fil des années, elle a photographié environ 80 tombeaux de grands maîtres spirituels plus ou moins connus au Maroc, en Algérie, en Turquie, en Syrie et en Egypte, mais aussi au Pakistan et en Inde. Prochaines étapes: l’Iran, l’Irak et l’Arabie saoudite.

En 2009, elle a été invitée à exposer dans une université algérienne. «Mon travail de documentation photographique suit exactement le titre de l’exposition, ‘Parcours sacrés’, c’est mon propre parcours. L’intérêt du public algérien, et celui des Suisses cette année à Martigny, m’ont beaucoup encouragée et je suis en train de préparer un livre.»

Déconstruire les peurs

Mais Catherine Touaibi cherche aussi à jeter des ponts concrets entre l’Orient et l’Occident «pour déconstruire la peur réciproque et montrer que nos religions sont surtout porteuses d’espoir».

Très déçue par la votation des Suisses sur l’interdiction des minarets, en novembre 2009, elle en a aussi tiré les leçons. «Je me suis rendu compte que le débat reste au ras du sol et que la majorité silencieuse s’exprime peu sur le message de l’islam, alors qu’elle devrait contribuer à le dé-diaboliser.»

La confrérie à laquelle appartient la Fribourgeoise (Association internationale soufie Alâwoiyya, AISA) organise du reste un congrès en octobre prochain à Genève à l’occasion de son centenaire.

Intitulé «Pour un Islam libre et responsable», ce congrès convie des gens de tous horizons, des religieux, des écologistes, etc… «Nous voulons montrer un autre regard, démonter les clichés trop politisés des extrêmes pour, en quelque sorte, remettre l’église au milieu du village!», conclut Catherine Touaibi.

Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch

Film. L’exposition présente «Quatre messages de lumière pour le 21e siècle», film d’Alexandre Bugnon avec Pierre Rabhi (écologiste chrétien), le Cheikh Khaled Bentounes, le prêtre ouvrier franciscain Alain Richard et le lama bouddhiste Dagri Rimpoché.

Photos. Mais aussi des photos de Catherine Touaibi, Christian Eggs et Oswald Ruppen, respectivement sur les tombeaux en terre Sainte, le bouddhisme tibétain et le christianisme en noir et blanc.

Martigny. Inscrite dans la thématique du festival «Journées des Cinq continents 2010», l’exposition dure jusqu’au 15 août 2010, du mardi au dimanche de 14h à 18h, au Manoir de Martigny.

Fribourg. Née à Fribourg (Suisse), vit et travaille à Zurich.

Tourisme. Diplômée en Relations Publiques SAWI et autodidacte en photographie. Durant une trentaine d’années, a travaillé dans le domaine du tourisme et organisé de nombreuses manifestations spéciales en Suisse et à l’étranger.

Islam. Convertie à l’Islam en 2000, est membre du Conseil scientifique de l’Association internationale soufie Alâwiya (AISA).

Photo. Se lance dans la photo en 2003 et expose depuis 2007. «Les tombeaux des saints en terre d’Islam» a été présentée une première fois en 2009 à l’Université Kharouba de Mostaganem, en Algérie.

8e siècle. Le soufisme est un mouvement spirituel, mystique et ascétique de l’islam et une doctrine ésotériste apparue dès le 8e siècle dans le sunnisme mais s’est transformée en plusieurs dissidences chiites, ismaïliennes, druzes.

Points communs. Il a des points communs avec l’ascétisme monastique chrétien, voire le bouddhisme et l’hindouisme.

Confréries. Il compte actuellement une quarantaine de confréries de taille et d’importance très variables réparties dans le monde.

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