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Défier le chrono, une spécialité helvétique

Keystone

Depuis leur introduction dans les grands rendez-vous mondiaux, les épreuves de contre-la-montre ont souvent permis aux cyclistes suisses de s'illustrer. Il devrait en être de même au Tessin, avec le sacre attendu de Fabian Cancellara ce jeudi.

C’est parti. Jusqu’à dimanche, les amateurs de vélo du monde entier ont le regard tourné vers Mendrisio, où ont débuté mercredi les Championnats du monde de cyclisme sur route 2009. Sous un soleil quasi printanier et dans une ambiance de joyeuse kermesse populaire, les espoirs – moins de 23 ans – ont donné les premiers coups de pédale de la compétition lors d’un contre-la-montre de 33,2 kilomètres, suivis par les dames l’après-midi.

Les Suisses n’ont pas vraiment brillé lors de cette première journée. Chez les espoirs, le meilleur d’entre eux, Nicolas Schnyder, a pris la 22e place. Du côté des dames, Karin Thürig, double championne du monde de la spécialité, ne s’est classée qu’au 9e rang d’une course disputée sur 26,2 kilomètres.

Mais c’est néanmoins de l’épreuve chronométrée que devrait venir la première médaille suisse. Fabian Cancellara est en effet le grandissime favori de la course de jeudi. Jugeant ses chances de victoire nulles, l’Ecossais David Millar, l’un des meilleurs spécialistes, a même préféré renoncer à prendre le départ!

Patron du Tour de Romandie, ancien cycliste professionnel et consultant pour la télévision suisse durant ces Mondiaux de Mendrisio, Richard Chassot analyse pour swissinfo.ch les raisons de l’ultra-domination du cycliste bernois dans la discipline.

swissinfo.ch: Pratiquement tous les spécialistes s’accordent à dire que Fabian Cancellara sera sacré champion du monde du contre-la-montre jeudi. Partagez-vous cet avis?

Richard Chassot: Quand il se prépare pour remporter le titre mondial ou olympique et qu’il est en forme, Fabian Cancellara est pratiquement imbattable. C’est un talent-né. Il développe une puissance, une explosivité et une vélocité, soit un rythme de pédalage, à nul autre pareil.

Mais par expérience, je sais aussi qu’un pépin technique ou qu’une chute est vite arrivée et peut anéantir en quelques secondes les ambitions d’une saison. Sauf accident, le sacre lui semble promis, même s’il y a quelques concurrents qui semblent également bien affûtés.

swissinfo.ch: Peu avant son sacre aux Jeux olympiques de Pékin en 2008, Fabian Cancellara avait affirmé que le 70% d’un contre-la-montre se jouait dans la tête. N’est-ce pas un peu exagéré?

R.C.: Evidemment, même avec le meilleur mental du monde, un cycliste moyen n’a aucune chance. Mais dans la lutte que se livrent les meilleurs, le contre-la-montre se joue effectivement en grande partie dans la tête ou plutôt dans la capacité à souffrir plus que les autres.

Un spécialiste du contre-la-montre doit pouvoir gérer tout seul sa douleur, il n’a aucun point de repère auquel s’accrocher comme c’est souvent le cas lors des courses en ligne. Cancellara se connaît assez bien pour connaître le niveau de souffrance vers lequel il doit tendre pour gagner. Il n’a pas besoin du chronomètre pour savoir s’il est dans le coup, ses propres sensations suffisent. Un coureur qui n’a jamais gagné n’a pas ces références, il a donc moins confiance en ses capacités.

swissinfo.ch: Au niveau de la technique également, il semble au-dessus du lot. C’est d’ailleurs l’un des seuls à s’entraîner assidûment sur sa machine de contre-la-montre durant l’hiver.

R.C.: Là aussi, il a une capacité à prendre les virages beaucoup plus rapidement que les autres concurrents. Il est également capable d’utiliser le bon braquet afin de pouvoir développer la puissance optimale au bon moment.

Technologiquement, il est à la pointe. La position sur le vélo est très importante et les nombreux essais en soufflerie sont primordiaux pour atteindre une meilleure pénétration dans l’air. Tous ces éléments combinés rendent cette discipline extrêmement complexe et Cancellara en maîtrise tous les ressorts.

swissinfo.ch: Cette position si particulière, où le coureur se trouve presque couché sur le vélo, nécessite-t-elle un entraînement physique et musculaire particulier?

R.C.: Si vous demandez à un grimpeur, même professionnel, de faire 40 km sur un vélo de contre-la-montre sans entraînement, je peux vous garantir qu’il aura bien de la peine à redescendre de sa machine.

Cette position recourbée n’est pas du tout habituelle. Les fessiers et le bas du dos sont énormément mis à contribution. Ça offre certes davantage d’aérodynamisme, mais ça rend également la respiration plus difficile. C’est un peu comme lorsque vous faites du ski. Vous irez beaucoup plus vite en position de «schuss», mais encore faut-il être capable de se maintenir dans cette position un certain temps !

swissinfo.ch: Depuis leur introduction dans le programme des Mondiaux (1994) et des Jeux olympiques (1996), plusieurs cyclistes suisses se sont illustrés dans les épreuves chronométrées (voir ci-contre). Avez-vous une explication?

R.C.: Je pense que c’est uniquement dû au hasard. En Suisse, on ne fait rien pour promouvoir cette discipline. Pour ma part, j’ai pratiquement découvert le contre-la-montre quand je suis passé chez les professionnels. Ce sont des talents isolés qu’on a fait travailler dans les équipes pro pour en faire des spécialistes.

Mais il n’y a pas en Suisse de culture du contre-la-montre comme c’est par exemple le cas dans les pays de l’Est, une tradition qui vient de l’époque où se pratiquaient encore les contre-la-montre par équipes.

swissinfo.ch: La topographie du pays devrait plutôt favoriser l’émergence de grimpeurs, non?

R.C.: Effectivement. La majorité des courses en Suisse sont faites pour les grimpeurs et non pour les spécialistes de contre-la-montre ou de classiques. C’est donc assez paradoxal que Fabian Cancellara gagne Paris-Roubaix alors qu’il n’y a pratiquement pas de pavés en Suisse.

A contrario, on manque à l’heure actuelle de grimpeurs au plus haut niveau. Des coureurs comme Cancellara, Rast ou encore Elmiger sont des rouleurs qui ont appris le métier dans les équipes professionnelles et non durant leurs années d’apprentissage du vélo en Suisse.

Samuel Jaberg, Mendrisio, swissinfo.ch

Les débuts. Introduit en 1994 dans le programme des Championnats du monde de cyclisme, le contre-la-montre a rapidement souri aux Suisses. En 1996, Alex Zülle est sacré champion du monde à Lugano, tandis que Tony Rominger termine à la 3e place.

Spartacus. En 2005, le bronze de Madrid marque le début du règne sans partage de Fabian Cancellara sur la discipline. En 2006 et 2007, «Spartacus» est sacré champion du monde du contre-la-montre. En 2008, à Pékin, le coureur bernois décroche l’or olympique. Au classement des nations, la Suisse occupe la 2e place du palmarès derrière l’Allemagne.

Au féminin. Chez les dames, Nicole Brändli a été la première Suissesse à s’illustrer en remportant l’argent lors des éditions 2001 et 2002 des Mondiaux. Karin Thürig s’adjuge le bronze en 2002 avant d’être sacré championne du monde en 2004 et 2005, puis décroche encore l’argent en 2006. A Pékin, la cycliste lucernoise décroche le bronze du contre-la-montre.

Tessin. Les Championnats du monde de cyclisme 2009 ont lieu du 23 au 27 septembre à Mendrisio. Disputés chaque année depuis 1927, hormis durant la Seconde Guerre mondiale, les Mondiaux sont organisés pour la 4e fois après 1953 (Lugano), 1971 (Mendrisio) et 1996 (Lugano) dans le canton du Tessin.

Cancellara. Le Bernois Fabian Cancellara, champion olympique en titre, est le principal atout helvétique. Grandissime favori du contre-la-montre de jeudi, il vise également la victoire lors de la course en ligne de dimanche. Aucun coureur n’a jamais réussi tel doublé.

Apothéose. Six Suisses, soit Michael Albasini, Rubens Bertogliati, Fabian Cancellara, Mathias Frank, Gregory Rast et Oliver Zaugg prendront le départ de la course en ligne de dimanche, point d’orgue de ces Mondiaux.

Jeudi 24 septembre (11h30)
Course en ligne élite messieurs (49,8 km)

Samedi 26 septembre
Course en ligne dames (124,2 km)
Course en ligne moins de 23 ans (179,4 km)

Dimanche 27 septembre
Course en ligne élite messieurs (262,2 km)

Contre-la-montre moins de 23 ans (33,2 km)
1. Jack Bobridge (Australie) 40’44”
2. Nelson Oliveira (Portugal) + 18″
3. Patrick Gretsch (Allemagne) 27″

22. Nicolas Schnyder (Suisse) 2’52”
55. Nino Oeschger (Suisse) 3’39”

Contre-la-montre dames (26,8 km)
1.Kristin Armstrong (USA)35’26”
2. Noemi Cantele (Italie) + 55″
3. Linda Willemsen (Danemark) 58″

9. Karin Thuerig (Suisse) 1’38”
28. Pascale Schnider (Suisse) 4’08”

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