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«Tout nouveau débat sur l’Europe nous renforce»

Lukas Reimann a été élu à la présidence de l'Asin le 26 avril dernier. Keystone

L’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), fer de lance de l’isolationnisme suisse, change de président. Lukas Reimann, 31 ans, en a repris les rênes fin avril. «L’ASIN est plus nécessaire que jamais», affirme-t-il.

Les relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE) traversent une phase décisive: le ministre des affaires étrangères Didier Burkhalter a annoncé vouloir soumettre un nouvel accord-cadre aux citoyens d’ici 2016. Il devrait régler les questions institutionnelles entre la Confédération et Bruxelles.

Parmi les points les plus discutés figurent la reprise automatique du droit européen et la haute-main de la Cour européenne de justice en cas de conflit à propos des accords. Ce projet est «extrêmement dangereux pour la Suisse», affirme le conseiller national saint-gallois Lukas Reimann, de l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice), le nouveau président de l’Organisation pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN).

Fondée par Christoph Blocher, principale figure de l’opposition à tout rapprochement avec l’UE en Suisse, l’ASIN n’est pas un parti. Elle dispose de gros moyens pour mener ses campagnes.

Pour Christoph Blocher, le processus «qui nous mènera insidieusement vers l’adhésion» est si grave qu’il a décidé de quitter son poste de parlementaire à fin mai pour se concentrer sur la lutte contre le projet de Didier Burkhalter. swissinfo.ch a rencontré son jeune émule, Lukas Reimann.

swissinfo.ch: Vous avez annoncé vouloir convaincre davantage de jeunes d’adhérer à l’ASIN. Quelle est votre stratégie?

Lukas Reimann: Depuis que j’ai repris la présidence, plus de 100 personnes ont adhéré, parmi lesquelles de très nombreux jeunes. Nous défendons des valeurs beaucoup de jeunes partagent, mais nous devons les communiquer. Nous sommes présents sur Twitter et Facebook.

Agé de 31 ans, le juriste st-gallois est membre de l’Union démocratique du centre (UDC). Il a été élu en 2007 à la Chambre du peuple, dont il était alors le membre le plus jeune. Il fait partie du comité de l’ASIN depuis ses 17 ans.

Lukas Reimann s’est fait remarquer pour ses positions conservatrices et critiques envers l’islam.

Le Conseil national vient de rejeter une de ses interpellations parlementaire pour la création d’un bureau de dénonciation des cas de corruption dans la Confédération. La gauche le soutenait, contrairement à son parti.

swissinfo.ch: Vous avez effectué votre éducation politique au sein de l’ASIN. Comment définiriez-vous l’organisation?

Lukas Reimann: A mes yeux, c’est un mouvement populaire qui est un exemple parfait du succès de la Suisse et qui veut que ce succès perdure. Nous nous engageons pour le maintien de tous les éléments qui ont fait la force de notre pays: la démocratie directe, la liberté, l’indépendance et la neutralité.

swissinfo.ch: L’UDC et l’ASIN sont les grands vainqueurs de la votation du 9 février dernier. Cela s’est-il répercuté sur les adhésions?

L.R.: Le nombre d’adhésions a augmenté déjà pendant la campagne et, effectivement, s’est accéléré après le résultat. Cela nous motive et conforte notre travail.

swissinfo.ch: Que représente le scrutin du 9 février? Est-ce un signal du peuple au Conseil fédéral, une injonction à ne pas poursuivre sur la voie du rapprochement avec Bruxelles? Ou une volonté de revenir en arrière par rapport aux bilatérales?

L.R.: C’est d’abord l’expression de la volonté de décider soi-même de son avenir, ni plus, ni moins. Les citoyens veulent décider eux-mêmes qui ils veulent acceptent dans le pays et qui ils veulent refuser. La limitation de l’immigration est désormais inscrite dans la Constitution. Sa mise en œuvre doit avoir la plus haute priorité, même si cela a des conséquences pour la politique européenne de la Suisse.

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swissinfo.ch: Avez-vous reçu des applaudissements des anti-européens d’autres pays, après le 9 février?

L.R.: Pas directement. Mais nous avons un bon réseau de contacts en Europe depuis longtemps. J’ai par exemple siégé au Comité de «TEAM», l’alliance européenne des mouvements critiques envers l’UE. Je tiens à préciser qu’aucun groupement d’extrême-droite n’en fait partie.

swissinfo.ch: Quelles sont les limites fixées par l’ASIN à cet égard?

L.R.: L’ASIN est une organisation démocratique qui respecte et soutient les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution. Les forces d’extrême-droite qui veulent abolir ces droits fondamentaux n’ont jamais eu et n’auront jamais leur place en son sein.

swissinfo.ch: Selon les pronostics, les anti-européens vont progresser aux élections européennes du 25 mai prochain. L’ASIN va-t-elle chercher à renforcer ses réseaux européens à cette occasion?

L.R.: L’ASIN se concentre sur la politique en Suisse. Mais nous suivons les développements européens. J’ai de grands espoirs que le camp eurosceptique sorte renforcé des prochaines élections, à droite comme à gauche. Pour nous, il est important de ne pas être les seuls eurosceptiques. Pour les autres, il est important de montrer qu’il y a une option de rechange en dehors de l’UE, et qu’elle fonctionne.

L’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) s’engage pour le maintien de la démocratie directe, de l’indépendance et d’une neutralité complète.

Elle combat tout rapprochement avec l’Union européenne (UE). L’organisation compte actuellement 30’100 membres cotisants et 10’100 donateurs et sympathisants.

Selon le directeur Werner Gartenmann, la votation du 9 février 2014 et le succès de l’initiative dite «contre l’immigration de masse» a apporté 350 adhésions.

L’ASIN a été fondée en 1986 après le refus des Suisses d’adhérer à l’ONU, notamment par Christoph Blocher, de l’UDC, qui a en été son premier président jusqu’en 2003. En 2004, Pirmin Schwander, autre UDC, a repris la présidence.

Fin 2004, le mouvement comptait 45’000 membres. 

En 2012, l’ASIN a été désavouée en votation, avec le refus, par 75% des suffrages, de son initiative demandant que les accords internationaux soient soumis à l’approbation du peuple. La même année, elle n’a pas réussi à réunir le nombre de signatures nécessaires pour lutter contre l’accord fiscal avec l’Allemagne, l’Autriche et la Grande-Bretagne.

swissinfo.ch: L’ASIN n’a pas le monopole de la lutte anti-européenne. Christoph Blocher veut créer un comité «contre l’adhésion insidieuse à l’UE». Vous serez en concurrence?

L.R.: Pas du tout. L’ASIN compte parmi ses fondateurs et est présente dans le comité. Un comité interpartis a davantage de poids dans une campagne de votation. Nous jouerons un grand rôle car nous voulons empêcher que la Suisse se lie trop à l’UE. Ce comité se sabordera après la votation.

swissinfo.ch: Vous frottez-vous déjà les mains en pensant à la campagne annoncée par le ministre des Affaires étrangères Didier Burkhalter pour que les Suisses se prononcent lors d’une sorte de «super-votation» sur nos relations avec l’UE?

L.R.: Nous ne nous réjouissons pas du tout de cette votation, extrêmement dangereuse pour le pays. Si la Suisse se rapproche de l’UE de la façon proposée, nous devrons accepter que des juges étrangers tranchent, en cas de conflit, sur les accords bilatéraux. C’est pourquoi nous parlons d’un processus insidieux, car ce contrat cadre amènerait à l’adhésion. Nous devons nous préparer assez tôt à cette votation, car nous n’avons pas le droit de la perdre.

swissinfo.ch: Pas la moindre trace de réjouissance? C’est la campagne contre le non à l’EEE, en 1992, qui vous a fait atteindre 16’000 membres.

L.R.: Tout débat de politique européenne renforce notre position en ce que nous pouvons y participer. Mais nous y participons contre notre gré, et pas pour grandir. Nous le faisons pour la Suisse, dont nous voulons conserver la liberté, l’indépendance, la neutralité et la démocratie.

Je préférerais dissoudre l’ASIN, car cela voudrait dire que nous n’en avons plus besoin. Mais nous en sommes loin. C’est le contraire qui est vrai: L’ASIN est plus nécessaire que jamais.»

(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

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