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La décennie des révoltes populaires est terminée

Claude Longchamp devant le palais fédéral
swissinfo.ch

Le peuple suisse n’a plus accepté une seule initiative populaire depuis les dernières élections fédérales, qui ont eu lieu en 2015. Au cours des législatures précédentes en revanche, il en avait approuvé deux, trois, ou même quatre. Est-ce un hasard ou le vent a-t-il tourné?

Dans le système politique suisse, l’initiative constitue l’instrument d’opposition par excellence: celui qui veut modifier la Constitution doit réunir 100’000 signatures et remporter une votation à la majorité du peuple et des cantons, en général contre la volonté du gouvernement et du Parlement.

330 initiatives ont été lancées depuis l’introduction de ce droit il y a 125 ans. Le peuple a voté sur 210 d’entre elles et les opposants ont gagné 22 fois. Cela représente un taux de succès de 10,5%.


«Un oui lors d’un jour de votation a longtemps été l’événement politique de la décennie»

Longtemps, un oui lors d’un jour de votation a été l’événement politique de la décennie. Mais tout a changé en 2004. À partir de cette année-là, onze initiatives populaires ont connu le succès dans les urnes en l’espace dix ans. Durant la législature 2004-2007, le taux d’acceptation a même atteint la proportion record de 40%.

«Fenêtre d’opportunité» grande ouverte

Pour analyser les chances de succès des initiatives populaires, les politologues parlent volontiers de «window of opportunity», autrement dit de «fenêtre d’opportunité». Ils entendent par là un intervalle durant lequel certains objectifs peuvent plus facilement être atteints.

Et effectivement, la période allant de 2004 à 2014 a été favorable aux initiatives sur les questions touchant à l’immigration et à la mondialisation. Elles ont débouché sur un durcissement du code pénal et de nouvelles lois pour la préservation de l’environnement naturel. Six initiatives ont émané de la droite, deux du camp rouge-vert et l’une n’avait pas de couleur bien définie.

L’auteur

Claude Longchamp est l’un des politologues et des analystes de la vie politique les plus expérimentés et renommés de Suisse.

Il a été le fondateur de l’institut de recherche gfs.bernLien externe dont il est resté le directeur jusqu’à sa retraite et dont il préside encore le Conseil d’administration. Claude Longchamp a analysé pendant 30 ans les votations et les élections suisses à la télévision publique alémanique SRF.

Pour swissinfo et sa plateforme pour la démocratie directe #DearDemocracy, il écrit chaque mois une chronique dans la perspective des élections fédérales de 2019.

Politologue et historien, il est également l’auteur de deux blogs: zoonpoliticonLien externe, consacré aux études politiques, et StadtwandererLien externe, consacré à l’histoire.

Crise de confiance

Durant cette phase de transition, la confiance dans le gouvernement est tombée à un niveau inhabituellement bas pour la Suisse. La crise a commencé avec l’élection de Christoph Blocher au Conseil fédéral. Elle a entraîné une chute de la confiance de l’électorat du centre et de la gauche à l’égard des autorités. La situation s’est inversée après sa non-réélection. La défiance venait désormais de la droite. La population rurale déstabilisée, les personnes peu formées sans grandes perspectives sur le marché du travail et la classe moyenne inquiète pour son mode de vie ont constitué les principaux soutiens des initiatives populaires de la droite. Ils étaient une cible facile pour des campagnes populistes.

L’électorat de l’UDC (voir ci-dessous pour les abréviations des partis) a évidemment largement voté en faveur de ces projets. Mais des citoyens et des citoyennes sans parti se sont aussi laissé convaincre par certaines initiatives. Et, dans des proportions plus ou moins importantes, elles ont aussi rencontré un écho chez les électeurs d’autres partis. Cela leur a permis de trouver une majorité.

Retour à la normale

Je n’affirme pas que cette tendance est totalement révolue. Mais la situation exceptionnelle est terminée. Il y a eu un retour à la normale. Le virage est pris.

Trois constatations viennent étayer cette thèse:

Premièrement, le flux d’initiatives populaires se tarit. La Suisse est sortie de la concentration incroyable qu’elle a connue de 2012 à 2015 avec 25 initiatives en l’espace d’une législature. Des études montrent que la confiance dans les institutions atteint maintenant des niveaux record.

«L’UDC a perdu l’avance presque incontestée qu’elle possédait sur le terrain des initiatives»

Deuxièmement, l’UDC est à nouveau pleinement intégrée dans le Conseil fédéral. Elle a en revanche perdu l’avance presque incontestée qu’elle possédait sur le terrain des initiatives. Le rejet populaire de son «initiative de mise en œuvre» en février 2016 a constitué un tournant. Dans le même temps, les réseaux sociaux ont vu émerger une nouvelle forme de société civile où des mouvements parfois presque inconnus lancent des campagnes sur internet. Leur bilan dans les urnes est maintenant meilleur que celui de l’UDC, qui n’a plus connu un seul succès avec ses initiatives au cours des quatre dernières années.

Troisièmement, la politique des autorités a une meilleure assise. L’échec de l’initiative des Verts pour sortir du nucléaire en témoigne de manière exemplaire. Il vient aussi du fait qu’avec l’appui du souverain, le gouvernement et le Parlement ont lancé la transition énergétique en temps opportun. La même tendance semblait aussi se dessiner avec l’initiative des syndicats pour l’augmentation de l’âge de la retraite. Le projet des autorités n’a été rejeté qu’ensuite.

Recettes actuelles pour le retour à la normale

C’est donc le retour à la normale. Le fait qu’aucune initiative n’ait connu le succès depuis 2015 est un simple hasard. Mon pronostic: à l’avenir également, une initiative sur dix sera adoptée. Elles auront toujours de bonnes chances de réussir si elles abordent des problèmes largement partagés et proposent des solutions non partisanes et modérées. Voilà ce que l’opposition doit faire.

En face, il y a le gouvernement et le Parlement. Il leur faudra analyser soigneusement les agendas des initiants et décider de manière crédible si des concessions sont nécessaires, sur quels points et dans quelle mesure. Les mauvaises décisions stratégiques rendent plus difficile la mise en place d’alliances solides réunissant une majorité des partis gouvernementaux, les milieux concernés qui comptent et des appuis dans la société civile. Même dans un contexte normalisé, les initiatives ont plus de chances de succès lorsque de telles alliances font défaut ou si elles sont fragiles. Parmi les initiatives actuellement pendantes, cette situation pourrait en particulier toucher l’initiative «multinationales responsables». On verra si la réaction viendra à temps.

Les partis

UDC: Union démocratique du centre (droite conservatrice)

PS: Parti socialiste (gauche)

PLR.Les Libéraux-Radicaux: Parti libéral-radical (droite libérale)

PDC: Parti démocrate-chrétien (centre droite)

PES: Les Verts ou Parti écologiste (gauche)

PVL: Parti vert’libéral (centre)

PBD: Parti bourgeois-démocratique (centre)

JS: Jeunesse socialiste suisse (gauche)

(Traduction de l’allemand: Olivier Huether)

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