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Comment les Biennois veulent revitaliser leur démocratie

Le 3 novembre dernier, plus de 4000 personnes ont manifesté à Bienne contre un projet de contournement autoroutier de la ville. Une mobilisation citoyenne sans précédent dans cette ville d'un peu plus de 50'000 habitants qui connaît des taux d'abstention records. swissinfo.ch

Bienne, dans le canton de Berne, est surtout connue pour être la capitale de l’horlogerie et la plus grande ville bilingue de Suisse. Autre particularité moins glorieuse: ses habitants figurent parmi les plus grands abstentionnistes du pays. Pour remédier à cette fatigue démocratique, les autorités veulent instaurer un modèle de politique plus participative.

Nous vivons l’âge d’or des droits populaires, du tout participatif. Forums, tables rondes et débats d’idées autour de la chose politique ne cessent d’être organisés ici ou en France. Tandis que «les gilets jaunes» revendiquent outre-Doubs un droit au référendum, des présidents de commune tentent de réveiller en chacun des Suisses la fibre civique qui les démange… ou qui les démangeait.

A Bienne, cela fait en effet déjà belle lurette que plus de la moitié des autochtones se sont désintéressés des affaires politiques. Les taux de participation aux votations depuis 25 ans font peine à voir.

Le dernier règlement de la ville de BienneLien externe, remodelé en 1996, remonte en réalité aux années 1960. Les autorités souhaitent maintenant réformer ce document, qu’elles qualifient de «constitution et véritable cœur juridique» de la municipalité, en tâtant «le pouls de la population». Un modèle plus participatif pourrait-il pallier cette désaffection dans les urnes? Début de réponse la semaine passée à la salle Farel à Bienne.

Le nouveau règlement de la ville de Bienne mis en consultation auprès des citoyens. swissinfo.ch

«Recentrage de la démocratie»

Une petite centaine d’élus et d’électeurs locaux s’étaient réunis ce soir-là pour écouter le maire Erich FehrLien externe (socialiste) définir la voie à tracer et à suivre pour que la communauté locale se sente à nouveau concernée par la politique. Mieux: que les habitants participent de manière plus fervente et réactive à la vie de la cité. Et accessoirement de partager avec les autorités le fardeau de la responsabilité qu’entraîne la gouvernance d’une ville de moyenne importance comme Bienne (56’000 habitants).

«Nous devons faire en sorte qu’à l’avenir les électeurs se prononcent sur des sujets qui en vaillent vraiment la peine» Erich Fehr, maire de Bienne

«Un recentrage de la démocratie, c’est ce que nous vivons», analyse d’emblée le maire de la ville. La capitale seelandaise est championne cantonale en termes d’abstentionnisme. «Nous devons faire en sorte qu’à l’avenir les électeurs se prononcent sur des sujets qui en vaillent vraiment la peine», avance Erich Fehr. Résultat: la traditionnelle votation annuelle sur le budget de la ville pourrait être purement et simplement biffée dans les prochaines années, pour autant que la quotité d’impôt reste stable. En revanche, le seuil de signatures pour faire aboutir un référendum populaire pourrait être revu à la baisse.

Un modèle de politique plus participative est dans l’air à Bienne avec quelques innovations au programme: droit de pétition, vote de consultation non contraignant, prise de décision favorisée dans les quartiers, etc. Des Biennois – dont les noms ont été tirés au sort – ont déjà pu faire part de leurs objections, de leurs souhaits et de leurs critiques, lors de la phase d’élaboration de la nouvelle charte administrative. Ils souhaitent notamment que les étrangers établis à Bienne puissent, dans un futur assez proche, avoir eux aussi leur mot à dire dans les affaires locales. Chaque habitant, qu’il ait le droit de vote ou non, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, devrait pouvoir s’exprimer politiquement. Cette vision est partagée par de nombreux Biennois.

Le nouveau texte impose également davantage de transparence de la part des élus municipaux sur d’éventuels conflits d’intérêts par exemple, ainsi qu’un devoir d’information plus soutenu à l’attention de la population. Il n’est pas question pour autant d’ancrer dans la prochaine constitution municipale une aide attitrée aux médias locaux, principaux relais des débats politiques, et dont l’existence est économiquement mise à mal aujourd’hui. «L’aide aux médias est d’abord du ressort fédéral afin de permettre le meilleur équilibre entre les différentes régions linguistiques du pays», estime Erich Fehr.

Glissement de tendance

«Le centralisme du pouvoir en France et les possibilités restreintes qu’ont les citoyens de pouvoir s’exprimer directement sont des freins dans la société actuelle. La participation accrue des autochtones dans la vie politique devient un enjeu crucial», se justifie le maire de Bienne pour lancer sa réforme.

Erich Fehr (à gauche) est le maire de Bienne, une ville industrielle où sont notamment fabriquées les célèbres montres Rolex et Omega. © KEYSTONE / ANTHONY ANEX

La cinquantaine entamée, il doit se rendre à l’évidence. Le règne de la politique à papa où les rôles étaient clairement définis entre gouvernants et gouvernés, entre édiles et administrés, est révolue. Il observe ce glissement de tendance depuis son bureau de la mairie, au Pont-du-Moulin, cabine du pilote de la dixième ville de Suisse. Une loge familière. Il s’y était déjà assis, adolescent, quand Hermann Fehr, son père, présidait aux destinées de Bienne (1976-1990). Mais aux vifs débats des années 1960, 1970 et 1980, a succédé un ras-le-bol pour la politique.

L’abstentionnisme les dimanches de votations Lien externe(parfois dépassant les 70%) traduit ce désintérêt. Le conseil municipal a dû tirer la sonnette d’alarme il y a cinq ans déjà avec des chiffres à l’appui. Entre 1991 et 2012, le déficit participatif moyen par rapport aux autres villes, au canton de Berne et à la Confédération, se situait à Bienne entre 2,7 et 15 points, selon le type de scrutin.

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Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer cette déconnexion entre peuple et élus: une population plus jeune qu’ailleurs à Bienne, l’absence d’une université, enfin le plurilinguisme qui ne favoriserait pas une lecture toujours attentive des documents de vote. 

Des pistes ont déjà été étudiées par le passé pour redonner envie aux citoyens de se déplacer aux urnes: simplification des messages électoraux, extension du vote électronique, rappel par SMS, installation de nouvelles boîtes aux lettres pour le dépôt des votes par correspondance. Le 25 novembre dernier, quatre Biennois sur dix ont approuvé le budget 2019 de la ville, une votation couplée avec d’autres objets cantonaux et fédéraux. Dix ans plus tôt, à peine trois Biennois sur dix votaient le budget annuel.

Saut dans l’inconnu

Que l’on soit établi en France ou en Suisse, l’application concrète de la démocratie directe reste un exercice de haute voltige car il ne s’agit ici ni d’une science exacte ni d’un bien définitivement acquis. Quelque chose en progrès. «Il y a des propositions originales dans notre nouveau règlement, mais elles ne sont pas légion. Ce cadre ne permet pas d’être totalement créatif. Nous partons un peu dans l’inconnu», confesse Barbara Labbé, chancelière de la ville. Depuis deux ans, elle se démène pour doter Bienne d’un outil administratif moderne, d’une «constitution» à la page pour répondre aux aspirations du moment.

Le service juridique municipal va devoir maintenant réceptionner d’ici la fin du mois d’avril les dernières doléances et les derniers commentaires des autochtones sondés par questionnaire (facultatif) lors de la phase de consultation de la réforme du règlement, qui vient de débuter. Les Biennois joueront-ils le jeu? «J’espère que oui. Que des habitants qui n’ont pas le droit de vote ici répondront positivement à cette invitation. Nous aimerions aussi savoir si les préoccupations exprimées depuis maintenant deux ans ont bien été traduites dans le projet de loi, ce qui n’est jamais simple», s’inquiète la responsable. 

Les participants à la réunion publique de la semaine passée à Bienne étaient surtout des élus du Conseil de ville (législatif), déjà engagés eux-mêmes en politique. Un peu perdus dans ce landerneau, quelques-uns des 80 citoyens – sur les 600 tirés au sort – qui ont apporté leur pierre en livrant leur appréciation de la situation lors de l’élaboration du projet. A cela s’ajoutent 1200 Biennois qui ont répondu à un premier questionnaire sur les contours du futur règlement. La suite reste maintenant à écrire. Le corps électoral devra encore avaliser le nouveau règlement lors d’une votation en mai 2020.  Avec quel taux de participation?

Bienne, cité bilingue et industrielle

Située au pied de la chaîne du Jura, à cheval entre la Suisse germanophone et francophone, Bienne (Biel en allemand) Lien externeest la plus grande ville bilingue du pays (56’000 habitants). Ancienne cité ouvrière, la capitale de la région du Seeland est aujourd’hui encore un haut lieu de production de montres suisses prestigieuses telles que Rolex ou Omega. Le numéro un mondial de l’horlogerie, Swatch Group, y a installé son siège social depuis sa création en 1983.

Durement frappée par la crise horlogère des années 1970-1980, Bienne est aujourd’hui en pleine phase de revitalisation. Les projets urbanistiques et culturels y foisonnent et la population croît à nouveau régulièrement depuis le début des années 2000. La dixième plus grande ville de suisse est également l’une des plus cosmopolites du pays. Plus de 140 nationalités s’y côtoient et la proportion d’étrangers atteint 34% de la population totale. En légère baisse, le taux d’aide sociale reste cependant l’un des plus élevés (11,5%) en comparaison nationale.

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