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Des espions colombiens sur territoire suisse?

Vue aérienne de Bogota. L'espionnage visant des opposants serait allé bien au-delà des frontières colombiennes. swissinfo.ch

La Colombie pourrait avoir violé la souveraineté de la Suisse en menant sur territoire helvétique des opérations de renseignement visant des opposants, selon le député socialiste Carlo Sommaruga, qui réclame une enquête. De son côté, l’ambassadrice de Colombie à Berne tempère.

«Les audiences du procès contre Jorge Noguera, ex-responsable du Département administratif de sécurité (DAS), le service de renseignement colombien, ont fait apparaître des aspects internationaux impliquant entre autres la Suisse», a précisé Carlo Sommaruga dans un entretien accordé à swissinfo.ch ainsi qu’au cours d’une conférence de presse à Berne.

«Si le cas est avéré, a ajouté le parlementaire, cela s’est produit en violation de la souveraineté et de la loi suisses puisqu’aucun pays tiers ne peut effectuer d’opérations de renseignement sur sol helvétique.»

«Notre devoir en tant que politiques est désormais de rassembler un ensemble de faits qui nous permettront de déposer un plainte pénale contre l’Etat colombien pour ces activités illégales en Suisse. Et cela, en collaboration avec les organisations de droits de l’homme et les avocats travaillant en Colombie.»

Carlo Sommaruga s’est rendu au début de l’année en Colombie dans le cadre d’une visite organisée par l’ONG Swissaid au cours de laquelle il a rencontré des organisations de paysans, des représentants de mouvements des peuples autochtones et de défense des droits de l’homme et des syndicalistes. Il a également assisté à une audience du procès contre Jorge Noguera, destitué de sa charge pour avoir transmis aux paramilitaires des informations provenant de la principale institution responsable de la sécurité colombienne.

Accusations en Belgique

Dans une déclaration publique faite récemment à Berne, Carlo Sommaruga a annoncé sa décision d’enquêter sur les faits. Il a aussi répété que «si les versions évoquées sont confirmées, alors le DAS a bel et bien violé la souveraineté nationale suisse.» Et d’ajouter qu’il est nécessaire de réunir les éléments de preuve suffisants «pour les soumettre au procureur général suisse» et le cas échéant, «mettre en route une procédure judiciaire».

La député socialiste n’est pas le seul à avoir haussé le ton. Le quotidien belge Le Soir a révélé que le service de renseignement colombien aurait ordonné «la mise sur pied de plusieurs opérations d’espionnage visant à surveiller, filmer ou enregistrer des adversaires supposés du gouvernement colombien.» Il ne s’agirait pas seulement de citoyens de ce pays mais aussi d’Européens.

Outre la Belgique – où plusieurs syndicats et ONG ont exigé une enquête et des poursuites juridiques contre les responsables – les activités d’espionnage se seraient aussi déroulées en France et en Espagne.

Pas de «chuzadas» en Europe

Pour l’ambassadrice de Colombie à Berne, Claudia Turbay Quintero, les activités de renseignement extraterritoriales se déroulent dans le cadre de la coopération internationale.

«A ma connaissance personne n’a été victime de «chuzadas», a déclaré l’ambassadrice Claudia Turbay Quintero ,faisant allusion à une pratique d’écoutes téléphoniques illégales utilisées dans son pays contre des opposants au régime. A ce propos, l’ambassadrice rappelait que le président Alvaro Uribe s’était dit prêt à être incarcéré si la preuve de cette pratique était apportée.

«S’il existe des activités terroristes ou de guérilla entreprises contre les intérêts de la démocratie colombienne, la seule manière de les détecter passe par la coopération des services de renseignements au niveau international», assure la diplomate. Et d’ajouter que «le renseignement est une activité de sécurité basée sur la coopération internationale. Ce n’est pas le fait d’un gouvernement cherchant à défendre un intérêt particulier mais celui d’un groupe de gouvernements unis par des accords de coopération pour la sauvegarde de la démocratie.»

« En période préélectorale, les oppositions et les tentatives d’affaiblir le gouvernement et d’entraver sa capacité d’action sont monnaie courante. Je crois que ces accusations en font partie», conclut-elle.

Marcela Águila Rubín, swissinfo.ch
(Traduction de l’espagnol: Elisabeth Gilles)

Ecoutes. Le Département administratif de sécurité (DAS) a été accusé de filatures et écoutes téléphoniques illégales, nommées «chuzadas» en Colombie, de leaders de l’opposition, de juges, journalistes, responsables syndicaux, parlementaires, défenseurs des droits humains et même de magistrats de la Cour suprême.

Plainte. L’ONU s’est plaint formellement auprès du gouvernement colombien de la «surveillance et de l’interception» dont a été l’objet au moins un de ses rapporteurs des droits humains ainsi qu’un rapporteur de l’Organisation des Etats d’Amérique (OEA) de la part des «services de renseignements civils et militaires». Washington a suspendu en avril dernier son aide à la centrale de renseignement colombienne suite au scandale déclenché par ces surveillances illicites.

Détention. Plusieurs anciens hauts fonctionnaires du Département administratif de sécurité (DAS) sont détenus pour ce type d’activités d’espionnage et accusés de délits d’association aggravés, prévarication par action et abus de pouvoir. Selon les dénonciations, cet organisme a été infiltré par des paramilitaires. A la suite de quoi journalistes et opposants ont été victimes de mesure d’intimidation.

Présidence. Le DAS dépend directement de la Présidence colombienne, qui a demandé son démantèlement et la création d’un nouveau bureau civil de renseignements. Une telle institution doit être approuvée par le Parlement, qui n’a pas encore ouvert les débats à son sujet.L’ancien président Alvaro Uribe a nié à plusieurs reprises que ces écoutes aient été ordonnées par son bureau. Il a même déclaré en avoir lui-même été victime.

Confortablement élu le 20 juin 2010 à la présidence de la Colombie, Juan Manuel Santos s’est engagé à poursuivre dans la politique de fermeté à l’égard de la guérilla tracée par son prédécesseur Alvaro Uribe.

Avec 69% des suffrages et plus de neuf millions de voix, l’ancien ministre de la Défense est le président le mieux élu de l’histoire de la Colombie et aura les coudées franches pour s’attaquer aux problèmes du pays: le chômage, les déficits et les relations avec le Venezuela voisin.

Alavaro Uribe, qui ne pouvait constitutionnellement briguer un troisième mandat, quittera son poste en août auréolé de ses succès contre les maquisards marxistes des Farc et les milices paramilitaires, avec près de 70% d’opinions favorables.

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