Des perspectives suisses en 10 langues

Enquête en destitution contre Trump justifiée, selon des experts

Jerry Nadler (au centre) préside la commission judiciaire qui est chargée de rédiger l'acte d'accusation du président Donald Trump. Celle-ci envisage quatre chefs: abus de pouvoir, corruption, entrave à la bonne marche du Congrès et entrave à la justice. KEYSTONE/AP/ALEX BRANDON sda-ats

(Keystone-ATS) Après deux mois d’enquête, le congrès des Etats-Unis a ouvert mercredi le débat juridique pour déterminer si les faits reprochés au président américain justifient une destitution. Le débat acrimonieux a reflété la fracture entre démocrates et républicains.

Trois professeurs de droit ont jugé que l’enquête en destitution contre Donald Trump était justifiée et même nécessaire pour protéger la démocratie américaine, lors d’une audition fleuve au Congrès. Invités par la majorité démocrate, ils ont été accusés de partialité par les élus républicains. Puis ont été contredits par un confrère, convié lui par les républicains, qui a jugé les preuves “insuffisantes” pour mettre le président en accusation (“impeachment”).

Donald Trump est dans la tourmente, parce qu’il a demandé à l’Ukraine d’enquêter sur le démocrate Joe Biden, un de ses adversaires potentiels à la présidentielle de 2020. Il assure avoir été dans son bon droit, mais l’opposition démocrate est convaincue qu’il a abusé de ses pouvoirs, notamment en gelant une aide militaire de près de 400 millions de dollars destinée à ce pays en conflit avec la Russie.

Après avoir auditionné 17 témoins, la commission du renseignement de la chambre des représentants a conclu, dans un rapport d’enquête publié mardi, que M. Trump avait “placé ses intérêts personnels et politiques au-dessus des intérêts nationaux, cherché à miner l’intégrité du processus électoral américain et mis en danger la sécurité nationale”. Les démocrates assurent avoir réuni des “preuves accablantes” pour nourrir leur dossier d’accusation.

Le président républicain, qui nie avoir exercé des pressions sur Kiev, a encore dénoncé mercredi une “blague” démocrate “mauvaise” pour le pays. Au même moment, les parlementaires entamaient le débat juridique pour déterminer si sa conduite correspondait à l’un des motifs de destitution mentionnés dans la Constitution: “trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs”. Sans hésiter, trois professeurs d’université prestigieuses ont répondu par l’affirmative.

La polémique autour de Baron

“Si l’on ne peut pas mettre en accusation un président qui utilise son pouvoir à des fins personnelles, nous ne vivons plus dans une démocratie, nous vivons dans une monarchie ou une dictature”, a notamment estimé Noah Feldman, professeur de droit à Harvard, devant la commission judiciaire de la Chambre.

“Si le Congrès ne le destitue pas, la procédure de destitution aura perdu tout son sens, tout comme les garanties constitutionnelles destinées à empêcher l’installation d’un roi sur le sol américain”, a renchéri Michael Gerhardt, de l’université de Caroline du Nord.

Pamela Karlan de l’université Stanford a elle accusé Donald Trump d’avoir commis “un abus de pouvoir particulièrement grave” en demandant à un pays étranger de l’aider à gagner l’élection. Elle a souligné que la Constitution américaine ne donnait pas au chef de l’exécutif le pouvoir absolu d’un roi. “Donald Trump peut appeler son fils Barron, mais ne peut pas en faire un baron”, a-t-elle plaisanté en référence au dernier fils du président.

Un enfant “doit être tenu à l’écart de la politique”, a réagi sur Twitter sa mère Melania Trump. “Pamela Karlan, vous devriez avoir honte de vos courbettes politiques, évidemment partisanes”, a-t-elle encore asséné. Faire référence au fils du président, qui n’a que 13 ans, “vous donne l’air méchante”, lui a également dit l’élu républicain Matt Gaetz en l’interrogeant sur ses dons aux campagnes de plusieurs candidats démocrates.

Mme Karlan s’est excusée d’avoir cité l’adolescent, sans revenir sur le fond de sa déclaration.

“Menace continue”

Voix dissonante dans ce panel d’experts, Jonathan Turley, de l’université George Washington, a déploré le manque de “preuves directes” contre le président et la “précipitation” des démocrates. Dans ce débat, “il y a tellement plus de rage que de raison”, a-t-il pointé. De fait, chaque camp s’est montré virulent mercredi.

Donald Trump “représente une menace continue pour la Constitution et notre démocratie”, a accusé l’élu démocrate Jerry Nadler en conclusion de près de huit heures d’auditions, retransmises en direct à la télévision.

Le républicain Doug Collins a rétorqué que le dossier contre le président était vide. “Il n’y a rien de mal, rien qui ne mérite une mise en accusation”, a-t-il lancé en dénonçant un processus “injuste”. “On ne sait même pas quelles sont les prochaines étapes”, a-t-il noté.

Les Etats-Unis divisés

Jerry Nadler, qui préside la commission judiciaire, a laissé entendre que d’autres témoins pourraient être auditionnés prochainement, sans en dire plus.

Sa commission, qui est chargée de rédiger l’acte d’accusation du président, envisage quatre chefs: abus de pouvoir, corruption, entrave à la bonne marche du Congrès et entrave à la justice. Si elle les retient, ils seront soumis à un vote en séance plénière à la chambre basse du Congrès, peut-être avant Noël.

Compte tenu de la majorité démocrate dans cette enceinte, Donald Trump deviendra le troisième président de l’histoire des Etats-Unis mis en accusation au Congrès, après Andrew Johnson en 1868 et Bill Clinton en 1998, tous deux acquittés ensuite. Le Sénat, à majorité républicaine, sera ensuite chargé de juger le président et il faudrait une majorité des deux tiers pour le destituer, ce qui paraît très improbable.

Comme leurs élus, les Américains sont divisés sur les poursuites ouvertes contre Donald Trump, avec 49% qui les soutiennent et 44% qui y sont opposés, selon RealClearPolitics.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision