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Deux litres d’eau pour résister au «voile noir»

Après les Allemands, les pilotes américains testent maintenant la combinaison à eau. autoflublibelle.com

Pour protéger les pilotes de chasse, des chercheurs suisses et allemands développent une nouvelle combinaison… à eau.

Car dans un chasseur moderne, le maillon faible est le pilote. Son organisme n’est pas fait pour supporter les accélérations et les virages dont la machine est capable.

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et l’apparition du moteur à réaction, il ne suffit plus d’avoir l’estomac bien accroché pour piloter un avion de chasse.

Lors d’un virage serré à grande vitesse, le pilote est littéralement écrasé sur son siège par une force qui peut atteindre dix fois son propre poids. On parle alors de 10 G.

Les effets sont ravageurs. Les organes internes se déplacent de 15 centimètres, la respiration n’est possible qu’avec un masque à air comprimé et le sang s’accumule dans les membres.

Le cerveau est alors privé de l’oxygénation que lui apporte une circulation normale. Les conséquences peuvent rapidement être fatales. Le pilote ne voit plus qu’en noir et blanc, son champ de vision rétrécit et il finit par s’évanouir.

Ce fameux «voile noir» s’accompagne également de douleurs terribles dans les bras et dans les jambes.

Les limites du coussin d’air

Dès les années 50, il a donc fallu développer des méthodes capables de contrer ces effets. Les combinaisons des pilotes comportent des coussins d’air dans les jambes, qui se gonflent pour renvoyer le sang dans le haut du corps.

Mais ce système a désormais atteint ses limites. Si le bon vieux Mirage des années 60 mettait trois secondes pour atteindre sa limite à 7,5 G, les avions actuels peuvent écraser leurs pilotes sous 10 G de pression en une demi-seconde.

Le gonflage des coussins intervient trop tard. Le pilote ne peut donc pas utiliser sa machine au maximum de ses capacités sous peine d’y risquer sérieusement sa vie.

La libellule plus solide que l’homme

La libellule ne connaît pas ce genre de problèmes. Lors de ses changements brutaux de trajectoire, ce petit animal aussi agile que gracieux peut être soumis à des pressions de 30 G, qui tueraient n’importe quel être humain.

Le secret est à l’intérieur: comme tous les insectes, la libellule n’a ni veines ni artères. Son sang coule librement dans tout son corps, remué en permanence par un cœur en forme de tube, qui flotte dans le liquide avec les autres organes.

Et c’est ce rembourrage liquide qui rend l’animal capable d’acrobaties aériennes largement hors de portée de tout engin conçu par l’homme.

Une idée vieille de 70 ans

A vrai dire, l’idée d’utiliser du liquide pour protéger le corps des pilotes des effets de la gravitation est plus ancienne que notre connaissance approfondie des libellules.

Dès les années 30, des médecins allemands avaient remarqué qu’un corps immergé dans l’eau échappe aux problèmes de circulation sanguine dus à l’accélération.

Trente ans plus tard, c’est un Américain, R. Flanagan Gray, qui construit la première combinaison anti-G remplie d’eau. Il s’agit d’une sorte de scaphandre de métal, qui ne peut être testé qu’en centrifugeuse.

Pas question de se mouvoir dans un tel attirail, totalement dépourvu d’articulations. Mais son inventeur parvient tout de même à supporter durant cinq secondes une accélération de 31 G !

L’avancée d’un pionnier suisse

Il faudra toutefois encore vingt ans pour voir la combinaison à eau testée en vol.

En 1987, Andreas Reinhard, alors pilote des Forces aériennes suisses, est le premier à avoir l’idée de s’inspirer directement du formidable système de protection anti-gravité de la libellule.

Il commence par tailler dans une bâche de protection pour piscine une combinaison qu’il remplit de 28 litres de liquide. L’ensemble est pesant et tellement peu pratique que le pilote a besoin d’assistants pour l’aider à monter dans son cockpit. Mais ça marche.

De 28 à moins de 2 litres

L’étape suivante sera de trouver des matériaux textiles légers, résistants, et surtout qui ne se déforment pas sous l’effet de la pression tout en restant assez flexibles pour permettre au pilote de bouger.

Après différentes tentatives, Andreas Reinhard choisit de faire fabriquer cette matière directement par Life Support Systems, la compagnie qu’il a créée.

Autre défi: réduire la quantité de liquide utilisée dans la combinaison afin de rendre celle-ci plus pratique.

Au cours des essais menés dans un centre de l’Armée de l’air allemande, l’équipe d’Andreas Reinhard finit par remarquer que l’efficacité de la protection ne dépend pas du volume d’eau, mais de la hauteur d’une colonne de liquide épousant de corps du pilote.

Dans sa version actuelle, la combinaison ne contient donc plus que quatre minces tubes qui partent des épaules pour descendre jusqu’aux chevilles. Contenance totale: moins de deux litres.

Quant au liquide, il s’agit simplement d’eau distillée, additionnée d’une sorte d’antigel, pour le cas où le pilote devrait s’éjecter en haute altitude. En cas de crash en mer, ses quatre tubes peuvent même lui servir de ration d’eau de survie.

Testée par l’US Air Force

Baptisée Libelle G-Multiplus, cette combinaison est produite en collaboration entre Life Support Systems et l’allemand Autoflug. Le partenaire d’Andreas Reinhard est actif depuis plus de 80 ans dans les techniques aptes à sauver la vie des pilotes comme les parachutes et les sièges éjectables.

L’innovation intéresse beaucoup les forces aériennes. Testée avec succès par l’Armée de l’air allemande, la combinaison à eau est actuellement en train de subir la dernière phase d’un examen comparatif de la part des spécialistes de l’US Air Force, qui doit s’achever en mai.

Quant à la Suisse, elle n’a pas les moyens de mener des essais à si grande échelle et elle attend pour voir. «Si les résultats de ces tests menés aux Etats-Unis sont concluants, nous serons bien sûr intéressés», confirme Jürg Nussbaum, porte-parole des Forces aériennes helvétiques.

swissinfo, Marc-André Miserez

De fabrication helvético-germanique, la combinaison à eau Libelle G-Multiplus est présentée comme la solution d’avenir pour la protection des pilotes de chasse.

– Un G représente une pression équivalente à une fois le poids du pilote.

– Sur un Mirage des années soixante, la pression maximale était de 7,5 G.

– Les avions de chasse de la dernière génération peuvent soumettre l’homme à des pressions de 9 à 10 G.

– Les combinaisons traditionnelles à coussins d’air ne permettent plus d’utiliser ces machines au maximum de leurs performances.

– Les tests effectués jusqu’ici ont montré que la combinaison à eau permet de recouvrer ses esprits après avoir subi une pression 9 à 10 bien plus rapidement qu’avec une combinaison à air.

– A 4 ou 5 G, le pilote ne sent même pratiquement plus les effets de la pression.

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