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«Tous les footballeurs présents au Brésil seront contrôlés»

Directeur du laboratoire suisse d'analyse du dopage, Martial Saugy juge cohérentes les mesures contre le dopage mises en place dans le football. Keystone

Des contrôles antidopage seront effectués sur tous les joueurs qui participeront à la Coupe du monde de football au Brésil. Sur mandat de la FIFA, c'est au Laboratoire suisse d'analyse du dopage (LAD) qu'il appartiendra d'analyser les échantillons de sang et d’urine. Entretien avec son directeur Martial Saugy.

Le Laboratoire d’analyse du dopage (LAD), unique en son genre en Suisse, a son siège dans un édifice austère d’Epalinges, commune de 8000 habitants aux portes de Lausanne, dans le canton de Vaud.

Le LAD a été désigné par la FIFA et l’Agence mondiale antidopage (AMA) pour effectuer tous les tests antidopage du Mondial de football brésilien, après que le laboratoire Ladatec de Rio de Janeiro s’est vu retirer en août 2013 son accréditation pour ne pas avoir respecté les exigences internationales fixées par l’AMA.

Le directeur du LAD, Martial Saugy, est affirmatif: «Les 736 joueurs qui participeront la Coupe du monde de football seront soumis à des tests, la plupart avant le début de la compétition». La phase de contrôle a débuté le 3 mars.

Martial Saugy, directeur du LAD

Au vu de la rapidité avec laquelle circulent les informations de nos jours, il me paraît très difficile de mettre sur pied une structure organisée pour doper une équipe entière.

swissinfo.ch: Le LAD collabore avec la FIFA depuis 1998. Peut-on dire que le dopage est un phénomène peu enraciné dans le football?

Martial Saugy: Il y a des sports plus exposés, dans lesquels les performances physiques revêtent une importance primordiale. Je pense par exemple au cyclisme et à l’athlétisme.

De manière générale, les sports individuels sont davantage exposés au dopage que les sports d’équipe. Au vu de la rapidité avec laquelle circulent les informations de nos jours, il me paraît très difficile de mettre sur pied une structure organisée pour doper une équipe entière. Mais un footballeur peut très bien se doper de manière individuelle.

La FIFA prend le problème du dopage au sérieux. Les fédérations et les organisations continentales, à l’exemple de l’UEFA, ont toujours effectué de nombreux contrôles. Le football figure à la première place dans les statistiques de l’AMA en ce qui concerne le nombre d’analyses.

Par ailleurs, la FIFA est en train de modifier quelque peu sa stratégie. Elle a l’intention de mettre sur pied des contrôles «longitudinaux», à savoir introduire le passeport biologique et effectuer des tests en dehors des compétitions. L’UEFA utilise déjà cette méthode, tout comme d’autres fédérations nationales.

swissinfo.ch: Peu de cas de dopage sont mis au jour dans le football. Est-ce aussi parce que les tests y sont moins sévères et moins évolués que dans d’autres sports?

M.S.: Comme je l’ai dit, il y a une évolution dans la stratégie de contrôle. On aurait certainement pu faire mieux, définir une stratégie plus intelligente. Mais depuis le Mondial de 2010 en Afrique du Sud, la FIFA montre clairement aux organisations continentales qu’elle entend se diriger vers ce système de contrôles en dehors des compétitions.

D’un autre côté, le monde du football n’a pas totalement tort lorsqu’il affirme qu’à l’époque où il y avait uniquement des contrôles d’urine durant une compétition ou à la fin d’un match, le facteur aléatoire faisait qu’il était très risqué pour un joueur de prendre des substances interdites. Les programmes de contrôle – je parle de l’Europe, que je connais bien – sont appliqués de manière très sérieuse.

En 2012, plus de 30 laboratoires accrédités par l’Agence mondiale antidopage (AMA) ont effectué des analyses sur plus de 260’000 échantillons, soit 10% de plus qu’un an auparavant.

Dans 4723 de ces échantillons, des valeurs atypiques ou la présence de substances interdites ont été décelées (ce qui ne constitue pas encore une violation des règles antidopage). Les anabolisants (2279 échantillons) représentent le plus grand nombre de cas.

Avec 28’008 échantillons, le football a été le sport le plus contrôlé. Suivent l’athlétisme (27’836) et le cyclisme (20’624).

En ce qui concerne le football, des valeurs atypiques ou la présence de substances interdites ont été décelées dans 315 cas. Dans l’athlétisme, ce chiffre s’élevait à 451, dans le cyclisme à 502.

source: Agence mondiale antidopage

swissinfo.ch: Le laboratoire que vous dirigez a analysé les échantillons recueillis dans le cadre de la Coupe des Confédérations en juillet 2013. Combien de cas positifs avez-vous mis au jour?

M.S.: Aucun. Nous avons réalisé des contrôles avant la compétition. Lorsqu’il participent à tel événement, les joueurs savent qu’ils seront susceptibles d’être contrôlés. Et qu’un contrôle positif déclenchera un énorme scandale. La menace est dissuasive. Ce n’est pas forcément agréable à dire, mais c’est la réalité.

swissinfo.ch: 736 joueurs participeront à la Coupe du monde de football (32 sélections composées de 23 joueurs chacune). Seront-ils tous contrôlés?

M.S.: Oui. En réalité, cela concerne davantage que 736 joueurs, car dans certains cas les présélections sont plus importantes. Certains de ces tests seront effectués en Europe, avant que les équipes ne s’envolent pour le Brésil. Dans ce cas, la FIFA travaillera avec les responsables des contrôles de l’UEFA, qui sont tous des médecins.

La FIFA dispose également de personnes formées pour recueillir les échantillons. Ces spécialistes effectueront les contrôles au Brésil et tout le matériel sera envoyé à Lausanne. Nous nous occuperons ensuite des analyses.

swissinfo.ch: Ce dispositif doit nécessiter une logistique énorme.

M.S.: Pour nous, c’est un peu la routine. Si le laboratoire de Rio de Janeiro (Ladatec) n’avait pas perdu son accréditation, nous aurions tout de même collaboré avec lui. Bien sûr, les choses sont désormais un peu plus compliquées, car la FIFA devra envoyer tous les échantillons à Lausanne.

Mais sur un plan politique, il aurait été délicat d’envoyer les échantillons à d’autres laboratoires en Amérique du Sud, par exemple en Colombie, à Cuba ou au Mexique. La décision a été prise par la FIFA, qui préfère perdre 12 heures de vol pour transférer tout le matériel chez nous, à Lausanne.

Martial Saugy, directeur du LAD

Sur un plan politique, il aurait été délicat d’envoyer les échantillons à d’autres laboratoires en Amérique du Sud, par exemple en Colombie, à Cuba ou au Mexique.

wissinfo.ch: Quelles seront les substances auxquelles vous prêterez le plus attention durant la Coupe du monde?

M.S.: Toutes les substances, conformément au vœu de la FIFA. Les stéroïdes sont les principaux produits utilisés par les athlètes qui se dopent, mais ils sont peu répandus dans le football. Ensuite, il y a les hormones de croissance, l’EPO et les stimulants tels que les amphétamines.

Il est toutefois important de chercher avant tout des produits qui pourraient avoir une influence sur un tel tournoi. Je pense en particulier à la testostérone. C’est un produit qui permet de mieux récupérer et qui peut être efficace dans le cadre d’une compétition qui dure quasiment cinq semaines.

swissinfo.ch: Supposons qu’un joueur célèbre finisse dans les mailles du filet des contrôles antidopage. Ne pourrait-il pas y avoir des pressions de la part de la FIFA, d’une sélection ou d’un club pour éviter que l’affaire ne soit rendue publique?

M.S.: Les échantillons que nous recevons sont dotés d’un numéro, pas d’un nom. Par conséquent, l’anonymat est complet. Telle est la règle et elle est très stricte. En cas de résultat positif, il ne serait pas uniquement transmis à la FIFA, mais également à l’AMA. Si nous ne le faisions pas, nous perdrions tout notre crédit et notre laboratoire serait fermé du jour au lendemain. Cette règle de fonctionnement permet d’éviter toute forme de pression sur notre laboratoire.

D’autre part, notre laboratoire ne peut pas simplement fermer les yeux et dire que tous les échantillons sont négatifs. L’AMA peut introduire à tout moment des échantillons positifs dans le processus pour vérifier que notre laboratoire fonctionne bien. Il existe donc une surveillance du laboratoire pour éviter toute collusion avec les fédérations.

swissinfo.ch: Supposons encore qu’un footballeur soit contrôlé positif. Qui en sera tenu responsable? L’athlète seul ou également le médecin de la sélection?

M.S.: Le premier responsable est le joueur, qui a par ailleurs droit à une contre-analyse. Si le test positif est confirmé, le joueur sera disqualifié puis sanctionné par la FIFA. Dans le cadre de son enquête, la FIFA demandera au joueur de prendre position. Si le joueur affirme que le produit lui a été prescrit par le médecin, la FIFA et l’AMA pourraient prendre des mesures contre ce dernier. En cas de preuve de sa responsabilité, il pourra également être puni. Cette procédure est inscrite dans le Code mondial antidopage, que la FIFA applique.

Martial Saugy, directeur du LAD

La politique antidopage appliquée au football est cohérente compte tenu de la taille du sport et des risques.

swissinfo.ch: Pour la première fois, les données des joueurs seront utilisées pour compiler le passeport biologique. Qu’apportera cet instrument?

M.S.: Avant la Coupe du monde, tous les joueurs subiront un contrôle du sang et de l’urine. Nous allons recueillir tout ce qui est nécessaire pour établir les données de base des joueurs. Le passeport biologique n’est pas limité à des données telles que le nombre de globules rouges ou le taux d’hématocrite, mais il comprend également des informations contenues dans l’urine. Cela permet d’établir une sorte d’empreinte biologique de chaque joueur. Chaque personne a une biologie particulière. L’objectif du passeport biologique est précisément de veiller à ce que chaque joueur maintienne sa biologie particulière. Des changements rapides de certains paramètres peuvent indiquer un possible acte de dopage.

C’est la première fois que le principe du passeport biologique est appliqué de manière quasiment systématique au football. Nous sommes cependant habitués à réaliser ce travail, car le passeport biologique est déjà depuis longtemps une réalité dans le cyclisme et en partie dans l’athlétisme.

swissinfo.ch: Le football n’est-il pas un peu en retard par rapport à d’autres sports?

M.S.: Objectivement, on sait que dans l’athlétisme, mais surtout dans le cyclisme, il y a eu et il y a toujours de gros problèmes avec le dopage, notamment en ce qui concerne la prise d’EPO. L’introduction du passeport biologique a été la meilleure façon de s’attaquer à ce problème. Dans le football, le risque n’est pas nul, mais il est plus faible.

Il y a également une question d’échelle. Le cyclisme compte environ 800 professionnels. Dans le football, uniquement pour la Coupe du monde, nous arrivons pratiquement à ce chiffre. Introduire un passeport biologique dans une dimension comparable à ce qui se fait dans le cyclisme ou l’athlétisme nécessite une énorme organisation. Je rappelle également que d’autres sports n’ont pas de passeport biologique, par exemple le tennis ou le hockey sur glace.

Pour résumer, je dirais que la politique antidopage appliquée au football est cohérente compte tenu de la taille du sport et des risques.

(Traduction et adaptation du portugais: Samuel Jaberg)

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