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Droits humains: la Suisse lâche le dialogue bilatéral

Un Chinois porteur d’une pétition arrêté par la police le 5 mai à Pékin. La Chine a accru la répression sur les contestataires ces derniers mois. Reuters

La Suisse veut renforcer sa stratégie de promotion des droits humains en l’intégrant à tous les domaines de la politique étrangère, et en abandonnant les dialogues bilatéraux avec des pays particuliers. Nouvelle étape ou constat d’échec?

Considérée comme une œuvre charnière de la cheffe du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Micheline Calmy-Rey, la stratégie du dialogue bilatéral a permis d’engager des discussions sur les droits humains avec l’Iran, la Chine et le Vietnam.

Mais dans une prise de position publiée fin mai, Micheline Calmy-Rey déclarait que les dialogues bilatéraux étaient «trop axés sur la modification du standard normatif dans les pays concernés», et que le nombre «restreint» de critères ne tenait «pas suffisamment compte des circonstances particulières dans le pays, ni développement en cours.»

De plus, l’instrument du dialogue menaçait «de devenir un outil isolé pour la promotion des droits humains et d’être de ce fait marginalisé», ajoutait le DFAE dans son communiqué. Selon l’explication officielle, mettre un terme aux dialogues bilatéraux permettra de renforcer la politique suisse des droits humains. Les sujets liés aux droits fondamentaux seront diversifiés et intégrés à «toutes les consultations politiques de la Suisse, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales.»

La décision d’abandonner le mécanisme du dialogue bilatéral a été critiquée par des parlementaires, qui l’interprètent comme un aveu: selon eux, cela montre bien que cette politique n’a pas atteint ses buts de promotion des droits humains.

Succès limité

Doris Fiala, députée libérale-radicale zurichoise et membre de la Commission des affaires étrangères, estime ainsi que l’analyse du DFAE sur le dialogue direct est «déprimante». «Cela montre que cette politique n’a eu aucun effet sur des pays comme la Chine et l’Iran.» 

«Il est même arrivé que nous nous ridiculisions avec cette stratégie, ce n’est plus acceptable», s’est énervée Doris Fiala, interrogée par l’agence de presse ATS. «Le changement de politique décidé revient à mettre des beaux mots pour cacher un échec total», critique, également dans un article de l’ATS, un autre Zurichois, Christoph Mörgeli, de l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice). 

Mais d’autres spécialistes estiment que la nouvelle stratégie permettra aux diplomates d’intensifier la discussion sur les droits humains dans tous les domaines de politique étrangère et économique en cours avec d’autres pays. C’est l’avis du directeur de l’organisation non-gouvernementale «Genève pour les droits de l’homme» Adrien-Claude Zoller: «La nouvelle stratégie va consolider les efforts menés précédemment dans des situations très précises», explique-t-il. 

«Je ne vois pas cela comme un échec, au contraire, poursuit-il. Tous les pays, petits ou grands, ont ces problèmes avec la Chine, par exemple. Tout le monde parle avec la Chine et cette dernière ne veut pas parler.» 

Consolidation

L’intégration de la promotion des droits humains dans tous les secteurs de politique étrangère est, selon Adrien-Claude Zoller, «la deuxième phase» d’un programme qui a vu la Suisse augmenter régulièrement ses initiatives pour la défense des droits humains depuis dix ans. «La Suisse a plutôt bien structuré son programme autour de quelques idées fortes.» 

Le DFAE peut compter sur «des diplomates spécialisés dans la promotion de la sécurité humaine dans des pays précis», ajoute Adrien-Claude Zoller. Intégrer tout ce qui a été fait jusqu’ici dans ce domaine «et qui est plutôt bon» dans la politique globale des affaires étrangères, y compris économique, «est très intéressant.» 

Selon François Nordmann, diplomate à la retraite, plusieurs facteurs ont forcé le gouvernement suisse à changer d’approche dans sa politique des droits humains, comme le choix des partenaires, les rencontres irrégulières et la «concurrence» avec l’Union européenne. «Je pense que le gouvernement avait fait des droits humains une priorité absolue pour sa politique étrangère sur une longue période et que, maintenant, il a compris que les droits humains sont une dimension de la politique étrangère.» Les efforts sont ainsi «redirigés.» 

Multilatéralisme

La décision de laisser tomber les dialogues bilatéraux permettra à la Suisse de renforcer son approche multilatérale avec des organisations comme le Conseil des droits de l’homme et dans son partenariat avec l’Union européenne, ajoute François Nordmann. «Il s’agit de consolider nos efforts et de travailler avec l’Union européenne, qui a une certaine masse critique, et d’établir des partenariats. Nous avons besoin de nous concentrer sur le renforcement de l’approche multilatérale avec le Conseil des droits de l’homme.» 

En dépit de sa taille, la Suisse participe activement et prend «des décisions courageuses», ce qui a un effet positif sur le Conseil des droits de l’homme, estime encore Adrien-Claude Zoller. La Confédération a aussi initié des améliorations qui ont été adoptées par plusieurs pays, par exemple sur l’efficacité et sur la transparence. 

«Pour la Suisse, la question est de savoir quelle politique globale elle veut mener», ajoute le directeur. La Suisse a ainsi pris les devants pour bloquer les fonds des dictateurs déchus, souligne Adrien-Claude Zoller, et elle a mis en place un bureau à Tunis, par le biais de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Elle a aussi été active dans des zones où la diplomatie suisse a un impact important sur les droits humains. 

«En Tunisie, la Suisse a engagé une coopération dont on voit les résultats: les droits humains sont déjà un élément de la politique étrangère. Je le vois déjà en œuvre en Tunisie et je pense que c’est très positif», conclut Adrien-Claude Zoller.

Nouveauté. Selon le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), le dialogue bilatéral sur les droits humains était, en décembre 2009, un mécanisme politique «relativement nouveau» pour mettre en œuvre une politique des droits humains.

Objectifs concrets. Les objectifs de cette politique étaient d’améliorer la situation des droits humains à moyen et long terme. Concrètement, il s’agit de la libération de prisonniers politiques et de la promotion de la coopération avec les Nations Unies, de l’abolition de la peine de mort, de la protection des citoyens contre la torture, de l’amélioration de l’enquête criminelle et pénale ou encore de la protection des minorités et de la liberté religieuse.

Plusieurs pays. La Suisse a engagé des dialogues avec la Chine, le Vietnam, l’Iran, la Russie et Cuba. En 2005, l’ambassade suisse de Jakarta a aussi lancé un dialogue sur les droits humains avec l’Indonésie pour améliorer la protection des populations vulnérables telles que les femmes, les minorités religieuses et les travailleurs émigrés.

Traduction de l’anglais: Ariane Gigon

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