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Les militants russes des libertés contre-attaquent en réseau

Les trois nominés du Prix Martin Ennals ont été présenté mardi soir à Genève. Patrick Gilliéron Lopreno

Décerné à Genève, le prix Martin Ennals couronne cette année le Joint Mobile Group, une ONG russe de défenseurs des droits humains qui poursuit collectivement l’action entamée par la journaliste assassinée Anna Politkovskaïa en Tchétchénie.

Il y a eu la journaliste Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006 pour avoir enquêté sur les violence contre les libertés et les droits en Tchétchénie. En 2009, Natalia Estemirova, Zarema Saydulayeva et Alik Dzhabrailov, activistes fervents, subissaient le même sort. En abattant ces symboles, les tueurs donnaient un signal fort visant à réduire au silence toute voix critique en Tchétchénie.

Mais coupez la tête de l’hydre, il en renaîtra au moins sept, dit la légende. C’est sur ce leitmotiv que s’est constitué en 2009 le Joint Mobile Group (JMG), un réseau d’avocats et de défenseurs de droits humains, opérant en Tchétchénie depuis la Russie par équipes volantes. Leur point fort: une organisation disséminée qui rend quasi impossible une répression ciblée de la part des autorités.

Le prix Martin Ennals 2013 leur a été attribué mardi à Genève, pour récompenser leur pugnacité et leur inventivité alors que la Tchétchénie tout comme la Russie sombrent dans l’impunité. Cette prestigieuse distinction, fruit d’une collaboration entre 10 des plus importantes organisations internationales des droits de l’homme, vise à encourager les défenseurs en danger, qui ont besoin d’une protection immédiate.

Qualifié de Nobel des droits humains, le Prix Martin Ennals, du nom de l’un des plus grands défenseurs des droits de l’homme – devenu en 1968 secrétaire général d’Amnesty International – a été créé en 1993.

Chaque année, un prix de 20’000 francs est décerné à une personne faisant preuve d’un combat exceptionnel, par des moyens courageux et innovants, contre les violations des droits de l’homme. Le prix vise à encourager les défenseurs en danger et qui ont besoin d’une protection immédiate.

A côté des ministères (suisse, espagnol, allemand, irlandais, finlandais) des Affaires étrangères,  la Ville de Genève est un partenaire particulièrement important: elle prend en charge les principaux coûts (en nature et en services) lors de l’organisation de la cérémonie annuelle.

La Fondation Martin Ennals est le fruit d’une collaboration entre dix des plus importantes organisations internationales des droits de l’homme, qui en composent le Jury: Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme, l’Organisation Mondiale Contre la Torture, Front Line, la Commission Internationale de Juristes, le Service International pour les Droits de l’Homme, Human Rights First, Diakonie Allemagne et HURIDOCS.

Chape de terreur en Tchétchénie

«Les assassinats de 2009 ont jeté une chape de terreur en Tchétchénie. Les ONG ont toutes été obligées d’arrêter leurs activités: vu que leurs employés étaient tchétchènes, leur vie était en danger», explique Igor Kalyapin. Principal instigateur du Joint Mobile Group, il dirige en Russie le Comité contre la Torture (CAT).

Sous les ordres du président pro-russe Ramzan Kadyrov, le gouvernement tchétchène contrôle la vie des citoyens dans les moindres détails. Kidnappings, tortures, assassinats dominent leur quotidien.

«Nous étions devant un dilemme, poursuit Igor Kalyapin. Soit on admettait que les tueurs étaient parvenus à leurs fins et avaient gagné, soit on imaginait une autre manière de lutter contre les abus. Avec notre nouvelle configuration, les autorités russes ou tchétchènes ne peuvent plus s’attaquer à des symboles, poursuit Igor Kalyapin. Si l’un, voire plusieurs d’entre nous disparaissions, les missions ne cesseraient pas pour autant. Il était capital de donner cette lueur d’espoir aux populations, de leur montrer qu’il était toujours possible de se battre, de dénoncer les violations.»

Procédures légales

De fait, les membres du JMG sont régulièrement menacés, détenus ou intimidés. Au cours de leurs missions, les équipes continuent d’enquêter sur des cas d’enlèvement, de torture, de disparitions forcées et de meurtres. Une permanence 24h/24 a été mise en place afin de soutenir les victimes et leur famille et d’éviter les représailles.

Aujourd’hui, le mouvement qui compte des dizaines de membres est devenu l’une des principales sources d’informations sur les violations des droits humains commises en Tchétchénie. Leur approche consiste à utiliser le système judiciaire russe mais aussi à recourir aux mécanismes internationaux que la Russie a ratifiés. «Nous travaillons publiquement, insiste Igor Kalyapin, car nous intervenons dans les procédures légales. Toutes ces informations sont ensuite utilisées pour faire pression sur les autorités ou comme preuves lors des procès.»

«Une distinction mondiale telle que le prix Martin Ennals nous permet d’élever notre voix et de rappeler que la Russie viole toutes les lois internationales. Nous sommes très déçus que les pays étrangers se montrent si embarrassés à demander un comportement acceptable à la Russie. C’est d’autant plus inquiétant qu’une grande partie de la population russe pense que la démocratie et la défense des droits de l’homme restent un concept proprement occidental.»

Une Egyptienne et un Haïtien nominés au prix Martin Ennals 2013:

Née dans une famille de défenseurs de droits humains, Mona Seif est l’une des fondatrices du Mouvement populaire «No to Military Trials for Civilians» qui milite pour l’arrêt des procès militaires intentés à des civils. «Mon histoire est celle de cet enfant, Amr el-Beheir, que l’armée a arrêté quinze minutes après l’avoir libéré.

Ils lui ont très vite intenté un procès en secret, sans que sa famille ni un avocat n’en soient informés, et l’ont condamné à cinq ans de prison. Depuis, les mêmes images défilent dans mon esprit: ma main qui lâche son bras, le laissant entrer dans la voiture. Je n’aurais jamais dû le laisser partir, j’aurais dû écouter ma petite voix qui me disait de le garder. Mais ceci est mon histoire, ma destinée et c’est là que j’ai commencé.»

Mario Joseph, reconnu comme étant le plus influent avocat haïtien des droits humains, dirige, depuis 1996, le Bureau des Avocats Internationaux (BAI) situé à Port-au-Prince (Haiti). Il a travaillé sur le massacre de Raboteau en 2000, Yvon Neptune contre Haïti, le premier cas haïtien traité par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme.

«Aujourd’hui, la plus grave violation des droits de l’homme en Haïti est l’occupation du pays par l’ONU. Cette mission continue de violer les droits du peuple haïtien dans l’impunité la plus totale», souligne Mario Joseph.

Carole Vann / InfoSud

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