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Droits de l’homme et entreprises en Suisse: encore un effort

Lingots d'étain dans une usine qui appartenait au géant suisse Glencore avant d'être nationalisée par le gouvernement bolivien en 2007 Reuters

La Suisse doit se conformer aux normes internationales et ses entreprises doivent rendre des comptes sur leur responsabilité sociale. C’est l’avis de John Ruggie, auteur des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Entretien.

En matière d’éthique des entreprises, l’Union européenne et les Etats-Unis sont beaucoup plus avancés que la Suisse, selon John RuggieLien externe, ancien Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales. A ce titre, il a été une des chevilles ouvrières des PrincipesLien externe directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme adoptés en juin 2011.

Actuellement professeur à la Harvard’s Kennedy School of Government, John Ruggie était fin janvier à Genève pour une conférenceLien externe intitulée «Droits de l’homme sans frontières: risques et défis pour les entreprises suisses» à l’Institut de hautes études internationales et du développement.

John Ruggie Keystone

swissinfo.ch: Depuis la publication des Principes directeurs en 2011, seule une douzaine d’Etats ont lancé des plans d’action. Etes-vous déçu ?

John Ruggie: Je pense que certains gouvernements ont connu un démarrage lent, mais ils commencent à s’y mettre. Même les États-Unis – un système de gouvernement horriblement complexe – ont annoncé qu’ils vont essayer de mettre sur pied un plan d’action national, tout comme la Colombie et le Mozambique. Pour ce faire, le Ghana a demandé de l’aide. Donc ça commence à se répandre.

Les plans nationaux d’action ne sont qu’une composante d’une image beaucoup plus grande. Les éléments individuels des principes directeurs ont déjà été intégrés dans les politiques nationales et, dans certains cas, le droit national.

swissinfo.ch: Une nouvelle enquête a révélé qu’un peu moins de la moitié des grandes entreprises sont engagées dans des partenariats en matière de développement durable et qu’un cinquième des 4000 cadres interrogés estiment que leurs conseils d’administration assurent une surveillance importante en la matière. Le développement durable est encore loin d’être appliqué…

JR: Le travail est en cours. Comme tout traité, cela prend du temps à surmonter les contestations et se traduire dans les faits.

Une entreprise mondiale comme Coca Cola, par exemple, opère dans 200 pays et territoires. Pour traduire un engagement politique en action sur le terrain, en particulier si vous ne possédez pas les franchises, les usines d’embouteillage ou les sucreries, cela prend beaucoup de temps. Les gens doivent être formés, suivis, évalués et ces compétences intégrées dans les calculs de primes annuelles.

swissinfo.ch: Dans une interview en 2006 à swissinfo.ch, vous félicitiez la Suisse pour son action envers les entreprises pour qu’elles respectent les droits humains quand elles font des affaires à travers le monde. Diriez-vous la même chose aujourd’hui?

JR: Je pense que la Suisse était extrêmement favorable au PacteLien externe mondial de l’ONU quand il a commencé en 1999. La Suisse a été dans l’ensemble favorable à mon mandat et a joué un rôle important dans un certain nombre de domaines. Je pense que le gouvernement suisse n’est pas dans une position de leadership, même s’il en est proche. D’autres Etats sont allés plus vite et plus loin.

swissinfo.ch: Les critiques disent que toutes les solutions proposées jusqu’ici en Suisse ont mis l’accent sur des mesures volontaires et que ni le gouvernement ni le parlement n’ont formulé des exigences juridiquement contraignantes pour les entreprises basées en Suisse. Ils disent qu’il est maintenant temps de forcer les entreprises et de ne plus compter sur leur bonne volonté. Quel est votre sentiment?

JR: Si les États-Unis et l’UE ont une exigence obligatoire de rapport extra-financier, je vois mal la Suisse y échapper.

Je pense que la Suisse sera obligée d’introduire des mesures obligatoires. Cela ne signifie pas que l’ensemble des principes directeurs devraient être traduits dans un seul projet de loi. Ce serait humainement impossible. Comme je le dis depuis le début, il faut trouver un savant mélange de politiques.

swissinfo.ch: La coalition suisse Droit sans frontièresLien externe envisage de lancer une initiative populaire en avril prochain pour exiger des entreprises suisses qu’elles respectent les droits humains et les normes environnementales à l’étranger comme en Suisse. Qu’en pensez-vous?

JR: Je pense que pour établir la responsabilité des entreprises, il faut avoir un processus d’examen adéquat. Les principes directeurs disent que si un gouvernement est impliqué dans une entreprise, que ce soit par un crédit ou une garantie à l’exportation, il devrait exiger que le processus d’examen ait lieu. Je pense que cette initiative devrait exiger un tel principe.

Si la Suisse adopte l’exigence d’un rapport extra-financier, il est difficile d’imaginer qu’elle puisse se passer d’un examen.

swissinfo.ch: Ces dernières années, la Suisse est devenue une plaque tournante du négoce des matières premières. Ce qui constitue un gros risque pour sa réputation, selon certains. Êtes-vous d’accord?

JR: Je pense que c’est affaire de transparence. Or pour le moment, nous savons si peu, car il y a un tel manque de transparence dans les opérations sur matières premières.

Je pense que la Suisse, comme les pays de l’UE, devra faire des progrès pour mettre en place un plan d’action national. Ce sont des questions importantes non seulement pour la réputation de l’entreprise, mais aussi celle des pays. Il faut rétablir la confiance de la population dans le business et dans la capacité et la volonté du gouvernement de faire ce que les gouvernements sont censés faire: gouverner dans l’intérêt public.

Les principes directeurs

Le 24 mars 2011, John Ruggie, Représentant spécial chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, a remis son rapport final au Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Ce rapport présente les principes directeurs («Guiding Principles») énoncés par John Ruggie.

Il s’agit d’un instrument permettant d’identifier et de prévenir les violations des droits de l’homme dans le cadre des activités économiques des entreprises. Le concept repose sur trois piliers:

– les Etats sont tenus de veiller activement à ce que les entreprises ne portent pas atteinte à la protection des droits de l’homme.

– les entreprises doivent intégrer la protection des droits de l’homme au sein de leur culture d’entreprise et les introduire dans leurs processus internes.

– des mécanismes efficaces de réparation et de règlement des litiges pour les victimes de violations des droits de l’homme commises par les entreprises.

Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand

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