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Les banques suisses suivent l’argent au Panama

Fin 2013, l’ONU tablait sur une croissance de 7,5% au Panama. Paula Dupraz-Dobias

Soleil, coût de la vie avantageux et faible taux d'imposition. C’est ce qui a poussé banquiers privés ou avocats à poser leur attaché-case au Panama l'année dernière. Et nombre de banques suisses ont ouvert des bureaux dans ce pays où les nouvelles régulations ne sont pas encore appliquées.

Le Panama est réputé pour sa faible pression fiscale, notamment l’exonération fiscale sur les revenus gagnés à l’étranger par les résidents étrangers. Par ailleurs, la pression croissante des autorités fiscales internationales sur les banques et la concurrence croissante d’autres centres financiers ont incité de nombreux établissements financiers suisses à rechercher des lieux plus accueillants.

En février, la banque tessinoise BSI a obtenu une licence au Panama, tandis qu’UBS, Credit Suisse et Lombard Odier, entre autres, ont des bureaux de conseil qui agissent comme agents de liaison avec leurs clients. En novembre dernier, Julius Baer y a lancé une entreprise de gestion de patrimoine acquise auprès de Merrill Lynch.

PKB Privat Bank est la première banque privée suisse à s’être installée au Panama. C’était en 2012. «Nous voulions diversifier notre clientèle et nous développer en Amérique latine», explique son directeur, Francesco Catanzaro.

Interrogé par email, un porte-parole de Lombard Odier déclare: «L’année dernière, nous avons ouvert un bureau au Panama pour nous rapprocher de la clientèle locale. C’est aussi depuis longtemps un centre de services financiers pour toute la région.»

Vive concurrence

La croissance économique dans la région est forte, C’est un marché prometteur pour les banquiers et les gestionnaires d’actifs, selon Giuseppe a Marca, propriétaire suisse de GaMFOs, une entreprise familiale active dans le secteur financier. Mais la concurrence pour ce marché lucratif est vive, vu le nombre croissant de gestionnaires de fortune qui s’installent dans la région, selon Giuseppe a Marca, qui ajoute: «Il faut y être depuis un certain temps. Sinon, c’est très difficile de s’implanter.»

Francesco Catanzaro, lui, assure: «Le marché de la banque privée est très peu développé ici.» La PKB Privat Bank confirme que le Panama reste petit en termes de volume d’actifs sous gestion, soit environ 80 milliards de dollars, alors qu’en Suisse il se monte à 2000 milliards de dollars. Mais ce chiffre devrait croître de manière exponentielle au Panama.

Selon le Knight Frank’s World Wealth Report 2013, l’Amérique latine a connu une croissance de 146% du nombre d’ultra riches ces dix dernières années. Un chiffre qui devrait encore croître de 46% dans les dix prochaines.

Un rapport du Boston Consulting Group assure que le patrimoine privé de l’Amérique latine atteindra 5900 milliards de dollars en 2017.

La fortune privée mondiale était de 135’500 milliards de dollars en 2012, dont 8500 milliards offshore.

 

Le quotidien espagnol El Pais estime qu’en 2013, le Panama abritait 115 de ces ultra riches, soit une valeur nette de 16 milliards de dollars.

A la fin 2013, l’ONU tablait sur une croissance de 7,5% au Panama, soit le plus fort taux d’Amérique latine. Le canal, qui est actuellement en cours d’agrandissement, devrait augmenter de plus d’un milliard de dollars les revenus annuels du pays.

«Les choses sont devenues très difficiles en Suisse, avec les cas médiatisés de certaines banques, les nouvelles règles et la fin du secret bancaire», explique Roberto Aleman. L’avocat est un associé du cabinet juridique Icaza, Gonzalez-Ruiz & Aleman, qui a des bureaux dans plusieurs centres offshores et à Genève. Il estime que les banquiers helvétiques ont été incités à gagner le Panama, parce qu’ils croient pouvoir mieux y protéger la confidentialité de leurs clients.

Les règles du jeu changent

Mais les temps changent aussi au Panama. Francesco Catanzaro avertit que le durcissement des réglementations bancaires vers la transmission d’informations sur les clients sont également en cours au Panama: «Le rythme est un peu plus lent, mais la tendance à se conformer aux normes de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) est bien là.»

Roberto Aleman estime, lui, que les Etats-Unis et leur dispositif FATCA, qui oblige les établissements financiers à révéler les noms des détenteurs américains de comptes, ne seront pas trop préoccupés par d’autres personnes associées aux Etats-Unis ayant des comptes bancaires suisses au Panama. «Je ne pense pas que les autorités voudront aller si loin (dans leur traque)».

Pour l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), ce changement de paradigme n’est que la poursuite du modèle d’échange d’informations sur la base d’une demande.

En juin 2013, le gouvernement suisse a chargé l’administration fédérale de collaborer à l’élaboration de ce nouveau modèle.

Le Comité des affaires fiscales de l’OCDE a l’intention d’approuver le nouveau modèle en juin 2014 et en septembre, il reviendra aux Etats membres du G-20 de donner leur aval politique.

Le standard ne fixe aucune règle par rapport aux problèmes hérités du passé.

L’avocat relève néanmoins que les règlements pour l’ouverture de comptes bancaires au Panama sont devenus plus stricts. On applique désormais la règle «Connaissez votre client (KYC)», ce qui signifie que l’un des détenteurs doit être présent lors de l’ouverture pour répondre aux questions de la banque.

Icaza, Gonzalez-Ruiz & Aleman, un des plus anciens cabinets d’avocats au Panama, a créé des milliers de sociétés pour des ressortissants étrangers, y compris suisses, qui bénéficient ainsi d’une imposition très faible et de confidentialité.

Suite à un nouveau régime introduit l’année dernière, les actions au porteur dans les sociétés panaméennes doivent être confiées à la garde d’un dépositaire. Ce type d’actions sont librement négociables et ne nécessitent donc pas l’inscription du nom du propriétaire.

Roberto Aleman assure que «les actions au porteur sont plus ou moins en train de disparaître». Mais elles sont toujours utiles «pour la planification successorale et pour les affaires qui sont déclarées».

Des dizaines de sociétés suisses

Créé par un hacker, un site d’information sur les sociétés panaméennes figurant au Registre du commerce panaméen recense des dizaines de sociétés dirigées par des banquiers et des avocats suisses.

En avril 2013, le projet «Offshore Leaks», mené par des dizaines de journalistes du monde entier, a révélé les noms de personnes liées à des comptes offshore. Les hebdomadaires suisses Matin Dimanche et SonntagsZeitung, ont révélé que 200 à 300 avocats suisses ont aidé activement des clients à frauder le fisc, en créant des comptes offshore dans des sociétés libres d’impôt, y compris au Panama.

Selon Roberto Aleman, lorsque le nom d’un banquier ou d’un avocat suisse est inscrit dans de nombreuses entreprises, «c’est qu’il veut fournir un service pour ses clients». Et d’ajouter que «certains d’entre eux peuvent avoir des entreprises pour eux-mêmes».

Comme «un pourcentage important» de l’activité de l’avocat consiste à créer des entreprises pour des clients suisses, la disparition du secret bancaire en Suisse n’a pas été sans conséquences. «Beaucoup de sociétés enregistrées dans le Registre public de Panama sont dissoutes. Les gens les abandonnent  parce qu’ils détiennent des comptes au nom de ces entreprises.»

Lorsqu’on lui demande quelles alternatives juridiques existent pour les clients qui cherchent la confidentialité, Roberto Aleman répond: «C’est de plus en plus difficile. Nous nous dirigeons vers une situation où la confidentialité ne fera plus partie du jeu.»

(Traduction de l’espagnol: Frédéric Burnand)

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