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La Suisse lance sa révolution fiscale

La réforme fiscale va encore faire couler beaucoup d'encre et échauffer beaucoup d'esprits. Keystone

Rester attractif et garder les entreprises étrangères tout en supprimant les traitements de faveur pour les holdings: tels sont les objectifs principaux de la 3e réforme de la fiscalité des entreprises. Le projet n’en est encore qu’au stade préliminaire, mais il suscite déjà un tremblement de terre. La presse suisse parle de «révolution» et d’«exercice d’équilibrisme».


L’UE et l’OCDE ne tolèrent plus la concurrence déloyale qui fait bénéficier les entreprises étrangères en Suisse de statuts spéciaux. Berne n’avait pas d’autre choix que de lancer une réformeLien externe. Mise en consultation dès lundi, elle devrait s’appliquer à partir de 2019.

Au total, la Confédération devrait y perdre 1,7 milliard de francs. La majeure partie viendra du milliard qu’elle s’engage à verser aux cantons comme dédommagement pour les pertes qu’ils vont subir.

Pour éponger la facture, Berne compte sur 300 millions de rentrées supplémentaires en engageant 70 à 80 nouveaux inspecteurs fiscaux. Le nouvel impôt sur les gains en capital provenant des titres, dont la droite ne veut pas entendre parler, devrait rapporter 300 autres millions. La Confédération devra aussi trouver des économies pour un milliard. Devant la presse, la ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf s’est dite confiante. Sa planification permettra d’atteindre l’objectif sans effort supplémentaire, affirme-t-elle.

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Pas le choix

La Neue Zürcher ZeitungLien externe voit dans le paquet proposé «un large bouquet assorti, qui contient un peu de tout». Soit pas mal de belles choses, mais aussi «quelques excroissances, plutôt disgracieuses». La meilleure chose qu’on y trouve, c’est la volonté du gouvernement fédéral de ne pas toucher à l’autonomie fiscale et financière des cantons. Chacun garde la faculté de réagir à un possible départ d’une entreprise et d’adapter le niveau de sa fiscalité, se réjouit le quotidien zurichois.

Les privilèges fiscaux accordés par certains cantons «passent» de plus en plus mal à l’international, rappelle un commentaire commun à l’Aargauer ZeitungLien externe, la Solothurner Zeitung, la Südostschweiz et quatre autres quotidiens régionaux alémaniques. Il fallait donc que la Suisse agisse. «Ne rien faire, comme continue de le préconiser l’UDC [droite conservatrice] aurait été une très mauvaise idée. L’indigne combat d’arrière-garde pour le secret bancaire nous apprend qu’il faut prendre les devants si l’on veut influencer les choses au plan international. Il ne s’agit pas pour la Suisse de s’incliner. Il s’agit de poser au niveau mondial des règles obligatoires pour l’imposition des entreprises».

Quant aux propositions du gouvernement, le commentateur les juge «utilisables». «C’est un mix intelligent entre baisses fiscales et nouveaux revenus. Et le Conseil fédéral [gouvernement] a réussi tant bien que mal à éviter qu’à la fin, ce soient les ménages privée qui payent pour les baisses de rentrées fiscales des entreprises».

Belles empoignades en perspective

Pour Le TempsLien externe, cette réforme est «un casse-tête bien plus complexe qu’un cube Rubik». Car il va falloir «rassembler autour d’un projet commun vingt-six cantons, vingt-six places financières et économiques pour qui il a des significations très différentes». Autant dire que la procédure de consultation s’annonce très dure et que le projet a peu de chances d’en sortir indemne. «Chacun défendra ses intérêts propres avec hargne».

Mais, rappelle le quotidien romand, «les compromis devront être trouvés, car la Suisse n’a pas le choix. Les régimes fiscaux spéciaux ont longtemps été un long fleuve tranquille, un cours d’eau d’abondance dans lequel les cantons – certains davantage que d’autres – puisaient de gros poissons bien en chair. Mais le monde a changé et ces appâts fiscaux ne sont plus admis par la communauté internationale».

Parmi les cantons qui ont le plus à perdre, Vaud et Genève ont justement accueilli nombre de multinationales «Or, pour rester compétitifs, ces cantons vont adopter un taux unique d’imposition qui leur fera perdre des centaines de millions» notent les deux quotidiens locaux 24 heuresLien externe et La Tribune de GenèveLien externe.

Dans leurs colonnes, le grand argentier du canton de Vaud Pascal Broulis réagit pourtant plutôt positivement. Pour lui, le Conseil fédéral a fait «un pas appréciable en optant pour des versements compensatoires à hauteur de 1 milliard de francs». Ce qu’il conteste en revanche, «c’est que ce montant global soit versé sur le mode de l’arrosage».

Sans compter, comme le souligne également 24 heures, que si Vaud peut espérer engranger quelques centaines de millions au titre de cette compensation fédérale, il risque de les reperdre au titre de la péréquation financière, ce mécanisme qui voit les cantons les plus riches payer pour les plus pauvres. Le quotidien vaudois prédit donc lui aussi des négociations «serrées et intenses».

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Le grain de sable

La LibertéLien externe compare quant à elle le projet à une montre suisse: «complexe, ingénieuse, juste à l’heure. […] Ingénieux, le projet l’est de par l’équilibre qui s’en dégage. Equilibre, d’abord, entre les mesures d’économie, les nouvelles recettes et les importantes baisses d’impôt. Equilibre, aussi, entre cantons, par le jeu de mesures de compensation visant tout à la fois à calmer les mécontents et à muscler les plus faibles».

Mais, note le quotidien fribourgeois, cette horlogerie fine «n’est pas à l’abri d’un incident mécanique. La réforme table en effet sur de nouvelles niches fiscales liées à la création de valeur et à la propriété intellectuelle. Or, ce n’est que fin 2015 que l’on saura si ces ‘licence boxes’ sont acceptées internationalement».

Et bien sûr, il y a le risque de proposer un impôt sur les gains en capital. «Sachant que la majorité bourgeoise du parlement s’y oppose, la ministre des Finances s’apprête à rejouer ‘Mission impossible’», prédit La Liberté.

«Stupidité capitale»

Et comme pour lui donner raison, la Basler ZeitungLien externe jette l’entier du paquet aux orties. Pour elle, les entreprises «doivent s’orienter uniquement vers leurs clients et non vers l’Etat et ses lois. Or, la fiscalité des entreprises en Suisse est déjà si compliquée qu’aucune firme responsable ne prend de décision sans consulter son expert fiscal». Et le projet du gouvernement ne va rien arranger, «bien au contraire».

De toute façon, pour le quotidien désormais proche de la droite conservatrice, les impôts sur les entreprises sont «nuisibles» et «le meilleur impôt sur les entreprises, c’est pas d’impôt sur les entreprises du tout». Quant à l’impôt envisagé sur les gains en capital, «c’est encore pire, il nie la dynamique de notre économie de marché. Pour un pays sans matières premières, proposer un tel impôt est une stupidité capitale». 


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