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La Chine en déficit commercial: et alors?

Les chiffres chinois du commerce extérieur sont relativement sûrs, estime Gilbert Etienne. Keystone

Pressée par les Américains de réévaluer sa monnaie, la Chine vient d’annoncer son premier déficit commercial mensuel depuis six ans. Un hasard? Toujours est-il que, pour le moment, les deux partenaires «jouent intelligemment», constate Gilbert Etienne, spécialiste suisse de la Chine.

Féru d’Asie, professeur honoraire à l’Institut des Hautes études internationales et du développement à Genève, Gilbert Etienne est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés en particulier à la Chine et à l’Inde, ainsi qu’au développement*.

swissinfo.ch: La Chine vient d’annoncer son premier déficit commercial mensuel depuis six ans. D’abord, faut-il faire confiance aux chiffres économiques chinois?

Gilbert Etienne: Ça dépend. Il faut être prudent concernant le produit national brut. Mais les chiffres du commerce extérieur sont relativement sûrs. On peut leur faire confiance.

swissinfo.ch: Ce déficit ne tombe-t-il pas à point nommé alors que la pression internationale, américaine surtout, s’accentue pour que les autorités chinoises réévaluent leur monnaie?

G.E.: Dans un sens, oui. Mais il faudrait avoir les détails de ce déficit, ce qui n’est pas le cas à ma connaissance.

Mais depuis l’année dernière, qui ne s’est finalement pas mal terminée pour la Chine, puisqu’elle a fait plus de 8% de croissance, on constate un déplacement des échanges – de la Chine vers les Etats-Unis à la Chine vers l’Asie du sud-est et l’Extrême-Orient.

Quant à la question du yuan, elle appelle discussion. D’abord, le déficit américain n’existe pas uniquement vis-à-vis de la Chine. D’autre part, il ne faut pas oublier que ces biens exportés de Chine reposent en grande partie sur des composants importés.

On dit souvent que la Chine est l’atelier du monde. Ce n’est pas vrai. La Chine est l’atelier de l’assemblage, ce qui n’est pas pareil. Une grande partie des équipements de bureau, de l’électronique et autres reposent largement sur des composants importés d’Asie – du Japon, de Malaisie, de Singapour. Ils sont assemblés sur place en Chine et exportés.

swissinfo.ch: Cette question de la valeur de la monnaie chinoise, quelle issue lui voyez-vous?

G.E.: Pour le moment, Américains et Chinois jouent intelligemment. Les Américains ont refusé de condamner la Chine pour des manipulations de change, et les Chinois se montrent modérés. Le Président Hu Jintao est allé à Washington pour la conférence sur le nucléaire.

De part et d’autre, on se rend compte qu’il ne faut pas casser la maison. D’autant plus que les liens d’interdépendance, avec les bons du trésor américain chez les Chinois, jouent un rôle considérable.

Sur cette question de la monnaie, il n’est pas impossible qu’on débouche sur des ajustements. La question est fortement discutée en Chine même – vous avez des Chinois en faveur d’une réévaluation, d’autres qui maintiennent le système actuel.

Ce qu’il faut en tout cas éviter, c’est de donner l’impression de condamner la Chine à une soumission. Il faut trouver des accommodements relativement souples.

swissinfo.ch: Ce déficit restera-t-il de votre point de vue une exception dans la longue progression économique de la Chine?

G.E.: C’est très difficile à dire.(…) Mais allez vous balader en Asie ou en Afrique: vous verrez l’abondance des biens chinois, qui commence d’ailleurs à susciter des réflexes parfois hostiles.

L’Argentine, qui livre beaucoup de soja à la Chine, trouve que les produits manufacturés chinois commencent à prendre trop de place. Il y a également eu quelques grincements en Afrique du Sud, où les textiles locaux sont touchés.

On dit toujours qu’il faut que la consommation interne chinoise augmente très fortement. Oui, mais il ne faut pas oublier que les salaires, en dehors d’une certaine classe aisée, sont encore relativement modestes.

On nous dit: les Chinois économisent pour leur vieux jours, pour l’éducation de leurs enfants, donc ils achètent moins. C’est en partie vrai, mais dans pas mal de cas, les salaires n’augmentent pas assez et les gens ne peuvent pas consommer plus.

swissinfo.ch: On parle toutefois de plus en plus de la hausse des coûts de la main d’œuvre en Chine. Une limite à la croissance chinoise, selon vous?

G.E.: Il faudra voir. On parle de plus de 120 millions de migrants ruraux dans les grandes villes, souvent très mal payés. Des ajustements devront avoir lieu.

D’un autre côté, on remarque, notamment dans le Sud, autour d’une région en plein boom comme Canton, que les migrants sont moins nombreux. Ils préfèrent trouver un travail chez eux, hors de l’agriculture mais sur le plan local, plutôt que de venir dans des conditions très dures à Canton.

swissinfo.ch: Mais, in fine, voyez-vous une limite à la marche en avant économique chinoise?

G.E.: A voir les chiffres actuels – numéro un à l’exportation, numéro deux pour le PIB même s’il faut le prendre avec des pincettes – on assiste à une énorme mise en marche. Il peut y avoir des à-coups, des troubles sociaux, mais un effondrement actuellement parait improbable…

Du point de vue conjoncturel, la Chine, comme l’Inde, a échappé aux crises bancaires que nous connaissons. C’est un atout. Ensuite, cette poussée des classes moyennes émergeantes est un facteur de croissance encore très loin d’être épuisé.

swissinfo.ch: Face à cette marche en avant, la petite Suisse a-t-elle un avantage réel à un accord de libre-échange avec Pékin?

G.E.: La Suisse est dans une situation très particulière. C’est un des rares pays qui ont une balance commerciale positive avec la Chine. Nous lui vendons plus que nous lui achetons. C’est tout de même pas mal… Un accord de libre-échange sera sans doute bénéfique pour les deux parties.

Vous remarquerez aussi que ce n’est pas la première fois qu’un pays bouscule le paysage économique mondial. On a eu les Etats-Unis et l’Allemagne au début du 20e siècle, et à partir des années 60-80, le Japon puis les fameux dragons d’Extrême-Orient – Corée du Sud, Taïwan, etc.

Le Japon et les dragons n’ont pas trop perturbé l’économie mondiale – il y a eu des ajustements, mais rien de dramatique. Avec la Chine, le problème, c’est la taille. L’énormité de l’économie chinoise va peser toujours plus lourd sur nous.

Il y a aussi la dimension politique. Le Japon et les dragons, au moment où ils commençaient à peser lourd sur l’économie mondiale, étaient devenus des pays démocratiques multipartistes. On en est encore très loin en Chine. Ce n’est plus un Etat totalitaire, mais encore un Etat autoritaire, où le parti communiste jouit d’un très grand pouvoir. Et cela ne va pas changer si rapidement.

Du fait de la taille de la Chine, du fait de ces différences de système politique, les ajustements ne vont pas être faciles. Il faudra du doigté, de l’intelligence de l’autre côté, et aussi une meilleure connaissance de la Chine.

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

*«Repenser le développement – Messages d’Asie» Ed. Armand Colin, Paris, 2009. Ou encore: «Chine et Inde: la grande compétition» Ed. Dunod, 2007

Quatre. La Chine est le 4e marché d’exportation de la Suisse après l’Union européenne, les Etats-Unis et le Japon.

Cinq. Les exportations de la Suisse vers la Chine avoisinent les 6 milliards de francs, pour un montant des investissements directs du même ordre.

Poids. La Chine exporte pour sa part l’équivalent de 5 milliards de francs en Suisse. L’excédent commercial est donc du côté de la Suisse.

Initial. A fin 2009, les deux pays se sont entendus sur le lancement d’une étude en vue d’un accord de libre-échange.

Terme. Au terme de ce processus devraient commencer les négociations en vue de l’accord proprement dit. Elles pourraient prendre deux ans.

Obstacle. Mais l’accueil par la Suisse de deux ex-détenus ouïgours de Guantanamo pourrait avoir compliqué la donne, comme l’ont suggéré les autorités chinoises.

Ouverture. Le but d’un tel accord sera de faciliter l’accès aux marchés respectifs pour les entreprises des deux pays en réduisant les barrières douanières.

Finance. La Suisse espère y inclure le secteur des services, ce qui servirait en particulier le secteur financier.

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