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La Suisse bien partie pour signer avec la Chine

La Présidente de la Confédération lors de sa rencontre avec le président du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale Wu Bangguo le 12 août dernier à Pékin. Keystone

Comme une bonne partie de la planète, la Suisse fait les yeux doux à la Chine dans le domaine économique et se réjouit déjà d’être un des premiers pays occidentaux à signer avec Pékin un accord de libre échange. Un optimisme exagéré?

Doris Leuthard, et avec elle la délégation de hauts capés de l’économie qui l’accompagnaient, sont rentrés triomphants de Chine la semaine dernière. Dans leurs bagages, la promesse que le nain et la superpuissance plancheront sur un accord de libre-échange commun.

D’aucun voient même la Suisse brûler la politesse aux autres pays européens. A ce stade, la Norvège est pourtant bien placée, alors que la Nouvelle-Zélande peut s’enorgueillir d’avoir été la première grande économie développée à signer avec Pékin en 2008.

Les Suisses se font-ils des illusions à se penser au centre de l’intérêt chinois? «L’étude de faisabilité a été relativement rapide, quelques mois, note en tout cas Gérald Béroud, spécialiste de la Chine. Il faut croire que les Chinois souhaitent aller plus loin. Il faudra voir sur quoi porteront les négociations. Mais avec la Suisse, la Chine veut tester un accord pour voir si cela peut servir de modèle avec d’autres.»

Une chose est sûre, avec la montée en puissance de l’économie chinoise, on sa bat pour signer avec la Chine. «Les Chinois sont très heureux de voir que les pays se font concurrence entre eux dans ce but», constate Jean-Pierre Lehmann. Ce professeur à l’IMD confirme que Pékin pourrait utiliser la négociation avec la Suisse comme un levier vis-à-vis de l’Union européenne ou du Canada par exemple.

Conclure, c’est autre chose

Mais Jean-Pierre Lehmann calme le jeu. «On annonce le début d’une négociation. Conclure, c’est autre chose!» En très bon connaisseur de la Chine, il rappelle son caractère dictatorial. «La politique chinoise n’est pas toujours prévisible ni transparente. Cette négociation va occuper pas mal de fonctionnaires et de temps. Et s’accompagner d’énervements.»

Une certitude en tout cas, les dirigeants chinois ne se lèvent pas le matin obnubilés par leur rapport à la Suisse. D’abord, le marché suisse est trop petit pour les intéresser. Ensuite, comme l’explique Jean-Pierre Lehmann, la Chine est plutôt darwinienne. Elle se voit parmi les cinq ou six grandes puissances mondiales. «Et dans cet agenda, la Suisse ne compte pas», assure l’économiste.

La Suisse n’est pas moins pleine d’attraits pour Pékin. Elle investit généreusement dans l’Empire du milieu et les Chinois sont intéressés par ses grandes entreprises et ses technologies, explique l’économiste.

«Cela fait 60 ans que les relations économiques mais aussi techniques, scientifiques et culturelles entre la Suisse et la Chine se développent, rappelle Gérald Béroud. Elles sont de plus en plus intenses et approfondies, comme pour la plupart des pays. Mais ce n’est pas nouveau.»

Une constante depuis 1978

Pour le fondateur de Sinoptic, site qui vise à favoriser les relations entre la Suisse et l’espace chinois, cette intensification des relations est une constante depuis l’ouverture voulue par Deng Xiaoping en 1978.

Les partenariats entre la Chine et les écoles polytechniques fédérales, la formation des fonctionnaires supérieurs chinois, le dialogue en matière de droits de l’homme, les échanges dans le domaine du droit, la formation des gardiens de prison en sont quelques exemples. «On peut les multiplier, assure Gérald Béroud. Il devient même difficile de suivre tout ce qui se passe.»

Dans la ruée mondiale vers la Chine, la Suisse bénéficierait même d’une «rente de situation», selon lui. Sur deux plans. D’abord, elle a été l’un des premiers pays occidentaux à reconnaître les nouvelles autorités chinoises en 1950. Ensuite, elle bénéficie d’une image plus qu’enviable dans l’Empire du milieu.

«Evoquez la Suisse avec n’importe quel chauffeur de taxi, employé d’hôtel ou rencontre de hasard, vous aurez tout de suite des images et des compliments adressés à notre pays. Un pays doté d’une belle nature, d’un système stable, d’une technique, d’une précision, d’une manière de faire extrêmement professionnelle et très fine.»

Quels avantages pour la Suisse

Gérald Béroud juge qu’un secteur comme l’horlogerie suisse, dont les produits de luxe sont grevés de fortes taxes, tirerait profit d’un accord de libre échange. Le secteur financier aussi, complète Jean-Pierre Lehmann. La question de la protection des produits, marques et procédés est un autre point crucial à ses yeux.

«C’est un problème pour tout le monde en Chine. Obtenir un régime de propriété intellectuelle plus strict serait important pour les entreprises de la pharma notamment.»

Sous un angle plus politique, la Suisse a-t-elle un intérêt à se rapprocher de la Chine? Le simple fait que Pékin prenne du poids sur la scène internationale justifie une bonne relation, normale et équilibrée, estime Gérald Béroud.

«Dans beaucoup de domaines, grâce à son ouverture internationale, la Suisse peut montrer qu’elle est un partenaire ou une voie de passage intéressante pour la Chine», juge-t-il.

Jean-Pierre Lehmann se montre plus prudent. «La Suisse a-t-elle une quelconque influence sur la Chine dans le dossier iranien? Non!» Pour lui, en matière géopolitique, «la Suisse n’a rien à tirer de l’émergence de la Chine». Il rappelle aussi que «plus on se rapproche politiquement de la Chine, plus elle est en position d’exiger.»

«Dans l’esprit de Doris Leuthard, juge d’ailleurs Jean-Pierre Lehmann, la Suisse a intérêt à se rapprocher de la Chine sur le plan économique, commercial et du tourisme. Pas sur le plan politique.»

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

La Chine est membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 2001. En parallèle, elle a signé des accords de libre échange bilatéraux avec des pays comme le Pakistan, le Chili, Singapour, la Nouvelle-Zélande.

Pékin est actuellement en négociation avec l’Australie, la Norvège, l’organisation des pays du Golfe ou encore l’union douanière du Sud de l’Afrique. Des accords de libre échange à un stade moins avancés sont aussi envisagés avec la Corée du Sud, le Japon ou l’Inde.

La Chine (avec Hong Kong) est le principal partenaire commercial de la Suisse en Asie et le quatrième marché dans le monde pour les produits suisses après l’Union européenne, les Etats-Unis et le Japon.

La Suisse exporte davantage en Chine que l’inverse. Surtout dans le domaine des machines et de l’électronique, de la chimie et la pharma, ainsi que des instruments de précision, des montres et bijoux. Ses importations de Chine concernent les mêmes domaines et, en plus, les chaussures et textiles.

Quelques 300 entreprises suisses et 700 filiales sont représentées en Chine et y emploient plusieurs dizaines de milliers de personnes.

La Suisse s’y profile aussi par le biais de tout un arsenal d’instruments (Swiss Business Hub, Présence Suisse, chambres de commerce, Swissnex, etc).

La Chine investit aussi en Suisse, même si le phénomène est encore limité.

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