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La tragédie de l’amiante face à la justice

C'est l'usine piémontaise de Casale Monferrato qui a fait le plus de victimes. swissinfo.ch

C'est ce lundi à Turin que débute la première de cinq audiences préliminaires dans l'affaire du scandale de l'amiante. La procédure pourrait amener sur le banc des accusés deux anciens dirigeants de l'entreprise Eternit, dont le milliardaire suisse Stephan Schmiheiny.

Alors que l’amiante a déjà provoqué des milliers de morts dues au mésothéliome, du nom de cette inflammation broncho-pulmonaire cancérigène, tous les regards se tournent vers Turin, au nord de l’Italie.

Des centaines de proches de victimes et des représentants de nombreuses associations, venus pour certains de l’étranger, doivent participer à un grand rassemblement devant le tribunal de Turin, sous les projecteurs des médias du monde entier.

Et le procureur, Raffaele Guariniello affronte cette première journée d’audiences armé d’un acte d’accusation de 108 pages, contenant les noms des victimes de la maladie ainsi que les fautes dont la multinationale Eternit, leader mondial du fibrociment, se serait rendue coupable.

Le magistrat piémontais accuse deux anciens dirigeants et actionnaires majoritaires d’Eternit Italie (qui comptait quatre sites de production dans la Péninsule), de catastrophe criminelle et d’homicide par négligence pour ne pas avoir respecté la réglementation destinée à prévenir les dégâts causés par l’amiante sur la santé des travailleurs.

«Geste humanitaire»

C’est en l’absence des deux principaux intéressés, le milliardaire Stephan Schmidheiny et le baron belge Jean-Louis de Cartier, que s’ouvre cette première audience. Ces hearings, qui prendront fin le 23 avril, doivent permettre à la Cour de déterminer la nécessité d’ouvrir un procès contre les deux accusés. Le cas échéant, la procédure, déjà décrite en Italie comme le «procès de l’impossible», débuterait en automne.

Il se pourrait cependant qu’une partie des 2889 personnes parties civiles au procès acceptent l’offre de dédommagement présentée il y a quelques semaines par Stephan Schmidheiny, par le biais de son entreprise Becon SA. Le porte-parole du milliardaire, Peter Schürmann, a indiqué à swissinfo qu’il s’agissait d’un «geste humanitaire envers les victimes et leurs proches» voulu par monsieur Schmidheiny.

Echapper au procès

Mais divers mouvements, dont l’association des familles des victimes de l’amiante, ne l’entendent pas de cette oreille. Ils dénoncent en cœur «une stratégie ayant pour seul but d’éviter le procès».

Il y a quelques jours, l’un des avocats de Stephan Schmidheiny dans la Péninsule, Astolfo di Amato, reconnaissait devant les caméras des télévisions que le versement de 60’000 euros pour chaque victime décédée (et de 20’000 pour chaque malade) seraient soumis à la condition que les parties se retirent de la procédure.

Les partisans d’un procès redoutent que, face aux lenteurs de la justice italienne et en ces temps de crise et de menace accrue de chômage, l’offre soit acceptée par la plupart des familles.

Le drame de Casale Monferrato

Des quatre sites de production d’Eternit en Italie (Cavagnolo près de Turin, Casale Monferrato près d’Alessandria, Bagnoli dans la province de Naples et Rubiera en Emilie Romagne), c’est celui de Casale Monferrato dans le Piémont, qui a fait le plus de victimes.

Dans cette commune, 1646 travailleurs et habitants ont déjà perdu la vie. Et jusqu’à l’horizon 2020, 70 nouveaux cas par année pourraient encore se déclarer. Ce n’est qu’au-delà ce cette date que les dimensions de la tragédie commenceront progressivement à régresser, estiment les spécialistes.

Le scandale continue

Hors l’Italie, la multinationale Eternit fait l’objet d’autres enquêtes judiciaires ou de plaintes pénales, comme au Nicaragua, au Brésil et en Afrique du Sud. Et les associations de défense des travailleurs et de la santé dénoncent le fait que d’autres Etats continuent à ce jour d’utiliser de l’amiante. Il s’agit notamment de la Chine, de l’Inde et des pays de l’ex-Union soviétique.

Considérée comme un matériau indestructible et exceptionnel, cette roche fibreuse (aussi appelée asbeste) a connu un boom dans la construction entre 1950 et la fin des années 70. Durant cette grande période de l’amiante, la famille Schmidheiny contrôlait des usines dans seize pays, employant non moins de 23’000 travailleurs.

La décision du tribunal de Turin créera un précédent aussi pour les immigrés italiens et espagnols qui avaient travaillé sur les sites de Payerne et de Niederurnen en Suisse.

swissinfo, Nicole della Pietra

Les dangers que présente l’amiante contenu dans la fibre de ciment, sont identifiés pour la première fois dans la seconde moitié des années 1940.

La plus grave affection provoquée par ce matériau est le mésothéliome malin, un cancer broncho-pulmonaire.

Selon l’Organisation mondiale du travail, 100’000 à 140’000 personnes meurent chaque année des suites de pathologies provoquées par ce produit toxique.

En Suisse, un groupe d’expert de l’Office fédéral de la Santé publique avait apporté la preuve du caractère cancérigène du matériau en 1977.

Mais ce n’est qu’en 1990 que son interdiction légale est entrée en vigueur. Jusque là, environ 4 millions de tonnes de produits contenant de l’amiante ont été vendues.

L’amiante d’Eternit a fait 45 morts dans le pays, parmi d’anciens travailleurs d’Eternit SA, filiale d’Holcim à Niederurnen (Glaris) et Payerne (Vaud).

Les ouvriers avaient travaillé dans l’entreprise avant que des mesures de protection ne soient prises en 1978. La maladie a un temps de latence qui peut varier entre 10 et 40 ans.

C’est la caisse nationale d’assurance SUVA qui a versé des dédommagements aux victimes (environ 80’000 francs par personne).

A la fin 2005, les dépenses liées aux maladies de l’amiante atteignaient 423 millions de francs pour la Suva. Sur 435’000 accidents et maladies traités par an, moins de 200 cas sont liés à l’amiante.

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