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«Les jeux de tir égocentriques alimentent la fantaisie des tueurs de masse»

Faut-il blâmer les jeux vidéos pour la vague de violence qui touche l'Europe cet été? Keystone

Les tueurs de masse ont un point commun: ils sont jeunes et de sexe masculin. En Allemagne, les meurtriers de Winnenden, Erfurt et Munich jouaient par ailleurs tous les trois à «Counter-Strike». Doit-on y voir un lien? Le chercheur et psychiatre Josef Sachs analyse les rapports complexes entre le monde réel et virtuel.

Les tueurs de Winnenden, Erfurt et Munich jouaient tous les trois intensivement à des jeux de tir en ligne. Doit-on pour autant blâmer ces jeux vidéo?

Le massacre d’Erfurt a eu lieu en 2002 au gymnase de Gutenberg. Un jeune de 19 ans a abattu 16 personnes. La tuerie de Winnenden s’est produite en 2009 dans l’école secondaire d’Albertville. Un jeune de 17 ans y a tué 15 personnes. La tuerie la plus récente a eu lieu la semaine dernière à Munich dans un centre commercial. L’auteur de 18 ans a tué 9 personnes. 

Josef Sachs: On ne peut pas uniquement faire porter le chapeau à ces jeux violents. De nombreux facteurs doivent concorder pour mener à une tuerie de masse. Les auteurs ont généralement grandi dans un milieu où la violence est acceptée voire même glorifiée. Souvent, l’acte est précédé de plusieurs mois voire d’années de dérapages. Ces jeunes étaient de plus en plus frustrés, ils ont construit une haine à l’égard des autres et du monde en général. Souvent, ils ont également été rejetés par leur environnement social. Les jeux de tir à la première personne et les jeux de tactique en ligne s’ajoutent souvent à cet environnement, mais ce n’est pas toujours le cas.

Les auteurs n’ont-ils pas déjà exercé la violence avant un tel passage à l’acte?

Cela peut surprendre, mais de nombreux tueurs de masse n’étaient pas violents au sens strict avant le passage à l’acte. En revanche, ils choquaient par leurs propos, en acceptant et en banalisant la violence.

Qu’est-ce que des jeux comme «Counter-Strike» peuvent provoquer chez des adolescents présentant une telle prédisposition?

Les auteurs de tels actes me répètent constamment que ces jeux de tir égocentriques (Ego-Shooter-Games) ont alimenté leur fantaisie. Avant de passer à l’acte, ils le jouent déjà à plusieurs reprises dans leur tête. Au début, ils le font pour la plupart du temps de manière ludique, sans avoir l’intention de véritablement perpétrer une tuerie. A un moment donné, survient une transition presque imperceptible de la fantaisie ludique à une planification quasi militaire d’un acte de violence.

Ces jeux sont-ils à votre avis susceptibles d’entraîner des personnes dans une spirale de violence?

Jusqu’en 2015, Josef Sachs était employé comme psychiatre judiciaire du canton d’Argovie. Il était également responsable de l’unité de médecine légale de la clinique Königsfeld de Brugg. Il travaille désormais dans son propre cabinet. Josef Sachs réalise des évaluations d’auteurs de violence pour les tribunaux et les procureurs. Il accompagne également les délinquants sur le plan médical. srf

Les jeux agissent sur les jeunes présentant une certaine prédisposition comme une sorte de tutoriel. Ils apprennent par exemple à exercer la violence et à appliquer des stratégies. Par ailleurs, les jeux rendent, jusqu’à un certain point, les adolescents insensibles à la violence. La peur s’en va et le seuil d’exercice de la violence tend à s’abaisser.

Seuls les jeux vidéo produisent-ils un tel effet, ou d’autres médias contenant de la violence – comme les films et les livres – peuvent-ils également avoir une influence?

Les jeux de tir égocentriques comme «Counter-Strike» ou d’autres encouragent particulièrement à la violence, car le joueur agit par lui-même. Lorsque l’on agit soi-même, on apprend et on intériorise davantage ces actes intenses que lorsqu’on ne fait que les lire, les écouter ou les regarder.

Est-ce une coïncidence si les meurtriers de Winnenden, Erfurt et Munich ont tous les trois joué intensivement à «Counter-Strike»?

Je ne pense pas que ce jeu encourage davantage la violence que d’autres jeux de tir égocentriques. «Counter-Strike» est simplement très populaire chez les jeunes. Ce n’est certainement pas un hasard si des jeunes potentiellement violents aiment y jouer. Au-travers de ces jeux, ils peuvent vivre leurs fantasmes violents.

Comment les parents devraient-ils réagir lorsqu’ils se rendent compte que leur enfant se retire et joue souvent à de tels jeux?

Les adolescents se retirent souvent pour jouer à des «killergames» ou à d’autres jeux. Cela ne concerne pas uniquement des personnes potentiellement violentes, mais également d’autres jeunes tout à fait normaux. Je ne conseille pas aux parents d’interdire ces jeux. Cela pourrait en effet produire l’effet inverse. Ils pourraient y jouer davantage encore en signe de protestation. Les parents devraient en parler avec leur fils ou leur fille. Ils peuvent également leur proposer des activités de loisir alternatives. Cela peut également être utile d’attirer leur attention sur d’autres jeux d’ordinateurs tout aussi intéressants. 

Aux yeux du psychiatre Panteleimon Giannakopoulos, on assiste cet été à un phénomène de contagion d’actes réalisés par des personnes vulnérables:

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(Traduction de l’allemand: Samuel Jaberg)

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