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La Ligue des Tessinois: de la protestation au pouvoir

Deux hommes lisent un journal au milieu d une assemblée.
De bonnes raisons de rire: Boris Bignasca (fils du fondateur de la Ligue des Tessinois, feu Giugliano Bignasca) et son oncle Attilio Bignasca (ex-coordinateur de la Lega) en mars 2015 à Lugano. © Keystone / Ti-press / Samuel Golay

Mouvement populiste régional, la Ligue des Tessinois devrait à nouveau figurer parmi les gagnants des prochaines élections cantonales au Tessin. L’électorat apprécie aussi bien sa politique anti-européenne que son mot d’ordre «Les Tessinois d’abord» et l’a déjà promue au rang de parti le mieux représenté au sein du gouvernement cantonal. Elle mène cependant sa campagne électorale sans publier de programme.


Elections cantonales tessinoises 

Les Tessinois renouvelleront le 7 avril leur gouvernement (Conseil d’Etat – cinq sièges) et leur parlement (Grand conseil – 90 sièges). Lors de l’élection au Conseil d’Etat de 2015, la Ligue des Tessinois avait obtenu 27,6% des voix, remportant ainsi deux sièges. 

Deuxième avec 26,25% des suffrages, le PLR n’avait obtenu, lui, qu’un seul siège, comme le PDC, troisième avec 17,54% des voix alors que le cinquième siège était revenu au PS (14,81%). Avec sa propre liste intitulée «La Droite», l’UDC n’avait obtenu que 4,5% des voix, soit moins que les Verts qui avaient récolté 6,5% des suffrages. 

Au Grand Conseil cependant, c’est le PLR qui était arrivé en tête, remportant 24 sièges, contre 22 à la Lega, 17 au PDC, 13 au PS, 6 aux Verts, 5 à La Droite, 2 aux partis d’extrême-gauche MpS + PC et 1 à Montagna Viva. Le 7 avril, la Lega a pour ambition de devenir le premier parti du Grand Conseil.

Le Tessin constitue un cas particulier en Suisse non seulement parce qu’il est le seul canton (exclusivement) italophone du pays, mais aussi parce qu’une formation populiste y est le parti le mieux représenté au gouvernement. Depuis 2011, la Ligue des Tessinois, anti-européenne et régionaliste, occupe deux des cinq sièges du Conseil d’Etat. 

Elle devrait conserver ses deux mandats le 7 avril, le directeur de l’environnement Claudio Zali et celui de la justice, Norman Gobbi, étant reconduits, selon un sondage publié par le groupe de presse du Corriere del Ticino. En 2015, l’UDC tessinoise avait proposé ce politicien très déterminé comme candidat au Conseil fédéral. 

La droite sociale 

La Lega est elle aussi un phénomène unique en Suisse parce que ce mouvement est limité à un seul canton. Avec deux conseillers nationaux seulement à Berne, elle n’a que peu de poids au niveau national. Afin gagner un peu plus d’influence, les deux députés de la Lega ont rejoint les rangs du large groupe parlementaire de l’Union démocratique du centre (UDC), le grand parti de la droite conservatrice. 

Ce qui n’a rien d’un hasard, parce que la Lega et l’UDC ont de nombreux points communs. Elles ont apparenté leurs listes pour les cantonales, même si la Ligue des Tessinois se présente comme le «parti des petites gens» et a une fibre plus sociale que l’UDC. Son fondateur Giuliano Bignasca, décédé en 2013, a toujours dit: «nous sommes la droite sociale». Elle a d’ailleurs toujours revendiqué des coups de pouce pour les rentiers AVS. 

Comme nous l’avons déjà mentionné, la Lega reste un parti singulier en Suisse parce qu’il est une émanation purement tessinoise. Le canton de Genève connaît toutefois un phénomène analogue, mais d’une moindre ampleur: le Mouvement Citoyens GenevoisLien externe (MCG). Lui aussi se mobilise contre les frontaliers et tous deux partagent une certaine xénophobie, parfois très explicite. 

Populiste et souverainiste 

La Lega a également de nombreux points communs avec les mouvements souverainistes qui ont émergé ou se sont renforcés au cours des dernières décennies en Europe. En Italie, la Ligue du Nord et le Mouvement 5 étoiles forment maintenant une coalition qui gouverne le pays, mais il s’agissait à l’origine de partis contestataires. La Ligue des Tessinois partage en particulier la ligne dure du vice-premier ministre italien d’extrême-droite Matteo Salvini contre les migrants et les requérants d’asile. 

Une autre particularité vient de l’absence totale de structures au sein du parti. La Lega n’a plus de président depuis la mort de Giuliano Bignasca et son frère Attilio a entretemps renoncé à son rôle de coordonnateur. Les principales décisions sont prises à huis clos par un petit groupe de notables, les «colonels», dont font partie les conseillers d’Etat et les conseillers nationaux.

La gauche sous pression au Tessin 

Avec sa ligne anti-européenne, la Ligue de Tessinois associée à l’UDC a le vent en poupe au Tessin, contrairement à la gauche qui s’affaiblit – comme elle le fait en Italie. Il n’est pas exclu que le Parti socialiste perde son unique siège au gouvernement, indiquent les sondages. Les camarades y siègent sans interruption depuis 1922 et, face à cette vision d’horreur, ils se battent désormais pour chaque voix. Ils ont d’ailleurs le soutien de certains libéraux de gauche qui estiment que les socialistes doivent être présents dans l’exécutif. 

Le PS craint ainsi de revivre le dimanche noir qu’il a connu en 2015 dans le canton de Lucerne. Ce jour-là, les socialistes avaient été éjectés d’un gouvernement où ils siégeaient depuis 56 ans. Le canton est maintenant dirigé par un exécutif exclusivement bourgeois.

«Le Parti pour la liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas est probablement la seule autre formation qui connaisse un tel système», relève le politologue Oscar Mazzoleni, directeur de l’Observatoire de la vie politique régionale de l’Université de Lausanne. En Italie, même le Mouvement 5 étoiles permet à la base de voter sur internet et la Ligue du Nord organise régulièrement des consultations internes. 

Pas de programme de législature 

Dans la perspective des élections cantonales tessinoises, l’absence de programme est caractéristique de la Lega. Alors que le PLR, le PDC, le PS et les Verts ont tous publié programmes et objectifs sur leurs sites internet, on ne trouve rien de semblable sur celui du parti populiste. De son temps déjà, Giuliano Bignasca estimait que les assemblées des délégués et les congrès n’étaient que «du blabla superflu». 

La Lega avait cependant des revendications très claire lorsqu’elle était encore un mouvement protestataire. «Entretemps, elle est devenue un élément à part entière du système politique», estime Oscar Mazzoleni. C’est maintenant une institution et elle a beaucoup de pouvoir. Elle a placé des hommes à elle à différents postes. Ses campagnes électorales restent cependant fortement axées sur des personnalités particulières. 

Les électeurs jugent ce parti très différemment en fonction de leur orientation politique. La gauche et les bourgeois le rejettent, mais sans la véhémence qu’ils manifestaient dans le passé. Ses partisans sont en revanche convaincus que la Lega est le seul parti qui défende vraiment les autochtones et la souveraineté du pays.

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(Traduction de l’allemand: Olivier Hütter)

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