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Embastillé en Chine, Weiwei à l’honneur en Suisse

Weiwei, 75.000 'suiveurs' sur Twitter... Fotomuseum Winterthur/Ai Weiwei

Deux expositions d’Ai Weiwei seront inaugurées ces prochains jours, à Lucerne et à Winterthour. L’artiste devait être présent, mais son arrestation le 3 avril à Pékin pour soupçon de «crimes économiques» a évidemment changé la donne.

On n’a pas vu Ai Weiwei depuis son arrestation. Le gouvernement chinois refuse de répondre aux questions le concernant, se bornant à dire que «l’enquête se poursuit».

Sur le plan international, le monde de l’art continue de protester. «Libérez Ai Weiwei», dit ainsi un message inscrit en haut de la Tate Modern de Londres. A Paris, le sculpteur anglais Anish Kapoor a dédié sa dernière œuvre, «Leviathan», à cet artiste contemporain, célèbre en Chine et dans le monde.

Anish Kapoor a même lancé un appel pour que tous les musées et centres d’art du monde ferment simultanément durant une journée en signe de protestation contre l’embastillement d’Ai Weiwei.

Et le maire de New York Michael Bloomberg lui a rendu hommage à la Fondation Pulitzer. Même à Hong Kong, des peintures au pochoir ayant la forme de l’artiste emprisonné ont été sprayées dans la ville.

A Winterthour, les préparatifs battent leur plein pour l’ouverture de la première exposition complète des photos et des vidéos d’Ai Weiwei, qui aura lieu au Fotomuseum, l’un des plus importants musées de Suisse pour la photo. L’exposition se nomme «Interlacing».

Ai Weiwei y couvre des thèmes allant de personnes blessées par l’effondrement de bâtiments dans le Sichuan après le tremblement de terre, à la destruction, par les autorités, de son studio à Shanghai. Plus de 100’000 photos ont été postées sur son blog en Chine, pour les années 2005 à 2009.

Portée politique à Winterthour

L’exposition de Winterthour a eu droit une publicité énorme avant même son ouverture, ce qui est une première pour le musée, constate Urs Stahel, le conservateur. «L’exposition était de toute façon ‘un peu’ politique. Après l’arrestation d’Ai Weiwei, son importance s’est renforcée de façon exponentielle. Il est émouvant de voir à quel point cette arrestation est discutée.»

Urs Stahel travaillait avec l’artiste chinois depuis une année pour la préparation de l’exposition et pour la publication d’un ouvrage de 500 pages. Depuis l’arrestation, le Zurichois doit finir le projet seul, tout en étant conscient de sa portée grandissante.

«Cette exposition, c’est sa voix. Le livre, c’est sa voix, poursuit Urs Stahel. Et c’est exactement ce que les autorités chinoises aimeraient faire taire.»

Etincelles

A Lucerne, Ai Weiwei est cité comme l’un des trois commissaires de l’exposition «Shanshui» («Paysage»), qui présentera une collection d’artistes chinois contemporains, dont de nombreuses œuvres propriétés de l’ancien ambassadeur de Suisse en Chine, Uli Sigg. L’ancien diplomate est devenu, au fil des années, un des principaux collectionneurs d’art chinois au monde.

En lieu et place de la discussion précédemment agendée entre Ai Weiwei et Uli Sigg, le musée des beaux-arts de Lucerne s’est efforcé, avec d’autres acteurs de la communauté artistique, de trouver des interlocuteurs pour un forum public à propos de la situation de l’artiste arrêté. Le rôle de l’artiste en tant que «sujet politiquement actif» y sera aussi débattu, de même que les effets de l’affaire Ai sur l’establishment culturel suisse et sur les relations sino-helvétiques en général.

Critiques contre Pro Helvetia

Nicole Pfister Fetz prendra la parole pour le réseau «Art+Politique», qui réunit des artistes engagés sur les questions de politique et de société. Le groupe a publiquement critiqué la Fondation Pro Helvetia pour n’avoir pas gelé sa coopération avec la Chine – tant que la liberté artistique n’y était pas garantie.

«Nous posons la question du rôle de la Suisse dans tout cela», explique Nicole Pfister Fetz. «A nos yeux, la discussion critique sur les échanges culturels avec des pays où la liberté artistique n’est pas garantie fait complètement défaut. Nous avons désormais la chance de lancer un débat. C’est notre exigence la plus fondamentale.»

Le rôle de l’artiste est de jeter un regard différent sur des sujets de société, ajoute-t-elle. Urs Stahel prendra également part à la discussion. «Il est important que nous ne considérions pas seulement Ai Weiwei. Chaque pays du monde a besoin d’un Ai Weiwei, une figure qui regarde ce qui ne marche pas, que ce soit en Suisse, en France, en Allemagne.»

«L’espoir est qu’à l’avenir, partout dans le monde, nous aurons d’autres personnalités qui joueront le même rôle qu’Ai Weiwei en Chine maintenant», souligne encore Urs Stahel.

Tremplin helvétique

S’exprimant à la Télévision suisse quelques jours avant son arrestation, Ai Weiwei avait déclaré: «J’ai entendu qu’ils disent que j’ai trop d’influence. Je ne sais pas ce que ça signifie et si c’est une raison suffisante pour m’enfermer.»

Au Musée des beaux-arts de Lucerne, on affirme qu’Ai Weiwei, «artiste conceptuel, architecte et activiste» est «depuis longtemps une figure clé et un mentor sur la scène artistique chinoise.»

La Suisse a joué un rôle important dans la trajectoire et la célébrité d’Ai Weiwei. La galerie Urs Meile à Lucerne a lancé sa carrière dès 1997. Et sa première exposition individuelle a eu lieu à Berne en 2004.

Son ami Uli Sigg a fait beaucoup pour sa promotion. Selon Zhu Ling, propriétaire d’une galerie spécialisée en art chinois contemporain à Berlin, le travail d’Uli Sigg a transformé la carrière de l’artiste en «conte de fées». En 2008, lors d’une vente aux enchères, il lui a acheté des œuvres pour des montants à six chiffres.

La galeriste ajoute que Weiwei n’est pas un «vrai dissident». Dans ses blogs, il utilise des «phrases de portée générale» sur la liberté chinoise et la démocratie, mais ne fouille pas aussi profondément dans la société chinoise que d’autres artistes et intellectuels.

«La collection d’Ai Weiwei parlera pour lui», estime de son côté Urs Stahel. «C’est un artiste sérieux, concerné, honnête et empreint d’une philosophie certaine en faveur de la lutte pour les droits de l’homme.»

Lucerne. L’exposition «Shanshui» au Musée des beaux-arts se tient du 21 mai au 2 octobre. Des tableaux historiques Shanshui et des œuvres d’art contemporaines sont présentés. Ai Weiwei est un des commissaires de l’exposition. Il est également exposé.

Une discussion publique sur la détention d’Ai Weiwei aura lieu le 21 mai à 16 heures au Lucerne Kur Pavilion. Elle réunira des acteurs de la scène artistique suisse.

Winterthour. Al Weiwei fera aussi l’objet d’une exposition personnelle intitulée «Interlacing» au Fotomuseum du 28 mai au 21 août.

Le 10 juin, une discussion sur la place de l’art dans la société sera organisée au Fotomuseum.

Ai Weiwei, âgé de 53 ans, est un des artistes chinois les plus connus sur le plan international.

Il mène de front une carrière d’art internationale et des campagnes critiques contre la censure du gouvernement et les restrictions politiques en Chine.

Il est entré plusieurs fois en conflit direct avec les autorités chinoises, notamment en 2008 lorsqu’il a apporté son soutien aux victimes du tremblement de terre du Sichuan.

Ai Weiwei travaille beaucoup sur le réseau Twitter, où il a environ 75’000 adhérents.

Son nom a percé sur le plan international lorsqu’il a co-dessiné le stade Olympique de Pékin, le Nid d’oiseau, avec les architectes suisses Herzog et de Meuron.

Jusqu’ici, l’artiste était protégé par sa réputation et par son nom: son père était un célèbre poète communiste, Ai Qing.

Il a été arrêté à l’aéroport de Pékin le 3 avril alors qu’il embarquait pour Hong Kong.

Le ministre suisse de l’intérieur Didier Burkhalter a évoqué la détention d’Ai Weiwei durant une visite en Chine fin avril.

Didier Burkhalter en a parlé très officiellement à la conseillère d’Etat Liu Yandong, membre du bureau politique du Parti communiste. «Cet artiste est attendu en Suisse pour deux expositions, a-t-il déclaré, il a des liens avec notre pays, on s’inquiète quant à son arrestation». «Elle a répondu de manière circonstanciée, dans le cadre strict du dialogue entre autorités», commentera-t-il par la suite.

En réponse à une question de swissinfo.ch, le 7 avril, le ministère suisse des affaires étrangères a exprimé «sa grande préoccupation» concernant l’arrestation d’Ai Weiwei et a affirmé qu’il avait contacté les autorités chinoises pour exprimer son espoir que le cas serait rapidement résolu.

Traduction de l’anglais: Ariane Gigon

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