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Le salaire minimum n’est pas tout à fait mort en Suisse

Enterré au niveau national, le salaire minimum est toujours d’actualité dans certains cantons helvétiques. RDB

Le net rejet en votation populaire au plan national ne marque pas la fin du salaire minimum légal en Suisse. Dans deux cantons - Neuchâtel et le Jura -, le compte à rebours pour son introduction a débuté. Non sans difficultés, car la marge de manœuvre du fédéralisme est étroite dans ce domaine.

Dix jours après un échec cuisant subi au niveau fédéral (76,3% de «non»), le salaire minimum refait surface à Neuchâtel. Sauf rebondissements de dernière minute, le parlement adoptera durant sa session du 27-28 mai une loi qui l’instituera dans ce canton. Cela permettra de concrétiser le principe constitutionnel approuvé par l’électorat en novembre 2011.

Le montant prévu est de 20 francs de l’heure, soit 2 francs de moins que ce que prônait l’initiative fédérale. Une somme qui correspondrait à un salaire mensuel d’environ 3640 francs (environ 2980 euros) pour une semaine de travail de 42 heures. L’entrée en vigueur est programmée au 1er janvier 2015.

Lancée par la Jeunesse socialiste et progressiste jurassienne et approuvée en votation populaire, l’initiative «Un Jura aux salaires décents» exige une base légale pour instituer un salaire minimum légal dans toutes les entreprises et les branches économiques du canton.

Le salaire doit cependant être différencié selon les branches économiques et correspondra à un certain pourcentage du salaire médian national correspondant. Le taux doit être fixé par le Parlement.

La mesure ne s’applique pas aux secteurs économiques dans lesquels il existe une convention collective de travail (CCT) de force obligatoire qui prévoit un salaire minimum, ainsi que dans les entreprises qui ont signé une CCT prévoyant un salaire minimum chiffré.

Quelques mois plus tard, le salaire minimum devrait également faire ses débuts dans le canton du Jura, où le peuple a accepté en mars 2013 une initiative qui exige de l’imposer aux entreprises et aux branches professionnelles qui ne disposent pas de salaires minimums dans leurs conventions collectives de travail. Le montant se sera pas uniforme, mais calculé en pourcentage du salaire médian national qui prévaut dans les différentes branches économiques, selon un taux fixé par le parlement.

Le gouvernement jurassien transmettra «prochainement» un projet de loi au parlement, indique le chef de l’information du canton, Pierre-Alain Berret, sans donner de date précise. Il assure que tout sera entrepris pour respecter l’échéance de mars 2015, délai fixé pour la mise en œuvre de l’initiative.   

Contorsions économiques et juridiques

«Les travaux prennent du temps car la question est très complexe. La difficulté principale est de trouver le bon niveau du salaire minimum. Celui-ci doit permettre d’augmenter les salaires les plus bas, mais dans des proportions acceptables, afin d’éviter que les entreprises qui n’en ont pas les moyens licencient ou arrêtent d’engager de jeunes travailleurs débutants. Autrement, les personnes qui étaient visées par cette mesure se retrouveront sans emploi», observe le chef de l’information du canton du Jura.

L’exercice d’équilibrisme ne s’arrête pas là. Tout ce qui concerne le droit du travail relève de la compétence de la Confédération et non des cantons, rappelle l’avocat Philippe Bauer, président du parlement neuchâtelois. En principe, les cantons n’ont donc pas le pouvoir de fixer des salaires minimums.

En 2010, le Tribunal fédéral a cependant jugé qu’ils en avaient la possibilité, pour autant qu’ils agissent dans la sphère de la politique sociale et non de celle de l’économie, explique Philippe Bauer. La plus haute instance judiciaire du pays a indiqué que le montant devait se situer approximativement au niveau du revenu minimum calculé dans les systèmes d’assurance ou d’assistance sociale.

Le salaire médian est la valeur centrale qui divise l’ensemble des salaires en deux parts égales: 50% des salariés gagnent plus que ce montant, 50% moins.

En 2010, le salaire médian brut au niveau national était de 5979 francs par mois. Dans le canton de Neuchâtel, il se situait à 5785 francs, soit 2,4% de moins.

Au niveau national, il s’élevait à 5221 francs pour les femmes et à 6397 francs pour les hommes. Dans le canton de Neuchâtel, il se situait à respectivement 4861 et 6118 francs.

Il n’y a pas de chiffres disponibles en ce qui concerne le canton du Jura. Une enquête sur la structure des salaires dans le canton sera effectuée cette année et les résultats sont attendus pour 2016.

«Ce sera le point crucial dans le canton de Neuchâtel: avec un salaire minimum uniforme de l’ordre de 3600 francs par mois, sera-t-on encore dans le camp du social ou dans celui de l’économie?», s’interroge Philippe Bauer. «Je ne sais pas. Mais si on était dans la sphère de l’économie, alors ce serait contraire au principe de liberté économique et, en cas de recours, la loi serait invalidée par le Tribunal fédéral», affirme le député libéral-radical (PLR / droite).

Un record mondial relatif

Selon les observateurs, le projet devrait obtenir l’aval du Parlement sans être contesté par référendum. Mais malgré cela, il n’existe pas la certitude absolue que Neuchâtel devienne en janvier 2015 le premier canton helvétique à introduire le salaire minimum légal, qui deviendrait le plus élevé du monde, cela sept mois à peine après le refus au niveau national.

Un montant qu’il faut toutefois vite relativiser, car le coût de la vie est très élevé en Suisse. Dans le canton de Neuchâtel, le revenu minimum calculé par les assurances sociales pour couvrir le coût des besoins vitaux est de 3099 francs par mois, ce qui correspond à un revenu brut de 3480 francs.

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Le modèle jurassien fait école chez les Verts

Le défi s’annonce également ardu dans le canton du Jura pour trouver le bon niveau qui satisfasse à la fois l’exigence légale d’agir dans la sphère sociale et celle de l’initiative qui entend garantir des salaires «décents» pour tous.

Malgré des difficultés rencontrées dans sa mise en œuvre, l’initiative cantonale de la Jeunesse socialiste et progressiste jurassienne  – avec des minimums différenciés selon les branches professionnelles et fixés en pourcentage des salaires médians nationaux – suscite de l’intérêt dans les rangs écologistes. Une initiative similaire a été lancée par les Verts tessinois et a récolté les signatures nécessaires. Le texte sera soumis au vote en 2015.

D’autre part, le député Christian van Singer a déposé une motion à la Chambre basse du parlement suisse pour demander au gouvernement fédéral de modifier la législation en vigueur, «afin que les autorités exécutives et législatives cantonales puissent fixer, dans le respect de la législation fédérale, des salaires minimums cantonaux qui assurent une vie digne». Les conditions proposées par les Verts vaudois sont les mêmes que celles de l’initiative approuvée dans le Jura.

Bien que le gouvernement se dise opposé au projet, Christian van Singer espère encore que la Chambre basse adopte la motion. «Durant la campagne en vue de la votation du 18 mai, les opposant ont fait valoir que les salaires devaient être fixés par région et par branche d’activité. C’est précisément ce que pourraient faire les cantons en cas d’acceptation de la motion», avance-t-il.

Refus patronal et alternative syndicale

Reste que le non-respect des différences régionales et sectorielles «était seulement l’un des arguments» qui forgeaient l’opposition patronale à l’initiative fédérale sur le salaire minimum, souligne Daniella Lützelschwab, membre de la direction de l’Union patronale suisse (UPS).

Les employeurs sont opposés au principe même d’un salaire minimum fixé par l’Etat. «Lors de la votation du 18 mai, le peuple a clairement démontré qu’il n’en voulait pas non plus», ajoute Daniella Lützelschwab.

Le modèle cantonal jurassien ne semble pas non plus convaincre l’Union syndicale suisse (USS). Après le désaveu subi dans les urnes, l’USS met désormais l’accent sur l’élimination des discriminations salariales dont sont victimes les femmes. Une priorité motivée par le fait que les femmes représentent deux tiers des 330’000 personnes qui touchent des bas salaires en Suisse et qu’elles gagnent en moyenne 18,9% de moins que leurs collègues masculins, selon une enquête récente de l’Office fédéral de la statistique.  

(Traduction de l’italien: Samuel Jaberg)

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