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En Haïti, des élections sur les ruines du séisme

Moins d'une année après un tremblement de terre qui a fait plus de 200'000 morts, Haïti se prépare à des élections présidentielles et législatives. Thomas Kern

En dépit d'une situation humanitaire très précaire consécutive au séisme du mois de janvier, les Haïtiens renouvellent leurs autorités politiques le 28 novembre. Un scrutin voulu par la communauté internationale mais qui indiffère une grande partie de la population.

Maintenir les élections, coûte que coûte. «Le 28 novembre, à 06h00, les bureaux de vote seront ouverts». Pierre-Louis Opont, directeur général du Conseil électoral provisoire d’Haïti, n’en démord pas. Malgré l’épidémie de choléra, qui a fait plus de 500 morts jusqu’ici et qui pourrait être aggravée par les fortes inondations provoquées par l’ouragan Tomas. Malgré la situation chaotique qui règne sur l’île, où plus d’un million de personnes vivent toujours sous les tentes et des centaines de milliers de déplacés ont perdu leur carte électorale suite au séisme dévastateur du 12 janvier.

Dans deux semaines, 4,7 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour élire un nouveau président, 11 sénateurs et 99 députés. Pour qu’elle soit satisfaisante, la participation devra se situer «bien au-dessus» des 11% enregistrés lors d’élections partielles en 2009, martèle Colin Granderson, chef de mission de l’Organisation des Etats américains (OEA), chargée de veiller au bon déroulement du scrutin.

Un pari loin d’être gagné. «Dans le chaos actuel, la population a bien d’autres priorités. Aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies pour qu’un choix clair et lucide se dégage de ces élections», affirme Charles Ridoré, sociologue et membre éminent de la communauté haïtienne de Suisse.

L’Etat, grand absent

Historien français spécialiste d’Haïti, Christophe Wargny s’attend également à un intérêt très faible pour ces élections du 28 novembre. «Les Haïtiens ont perdu confiance en leurs autorités depuis longtemps. Il y a eu un espoir au début des années 1990 avec l’élection d’Aristide, mais cet espoir a été déçu. Le séisme a encore aggravé les choses. L’Etat, très fragile en Haïti, a atteint un niveau proche de l’inexistence. Il est le grand absent de l’année qui vient de s’écouler.»

La communauté internationale voit pourtant dans ces élections un rendez-vous essentiel pour l’avenir Haïti. Dans un rapport publié le 27 octobre, l’International Crisis Group estime qu’elles se classent parmi les plus importantes de l’histoire de la nation, «dans la mesure où le gouvernement élu sera responsable de la gestion de la reconstruction».

Près de 30 millions de dollars ont été investis pour assurer le bon déroulement du scrutin, dont deux tiers en provenance des pays donateurs (Canada, Union européenne, Etats-Unis et Brésil). 24’000 kits électoraux, composés d’urnes et d’isoloirs, viennent d’être acheminés en Haïti.

Dix-neuf candidats

Si la population haïtienne nourrit d’autres préoccupations bien plus urgentes, la classe politique haïtienne, elle, n’entend pas rater le rendez-vous électoral. Pas moins de dix-neuf candidats se sont déclarés, dont Jude Célestin, le dauphin du président sortant René Préval, et l’ancien Premier ministre Jacques-Edouard Alexis. «Il y a foule pour occuper les différents postes de l’Etat, constate Christophe Wargny. Les candidats sont issus des fractions politiques habituelles qui s’agitent depuis 20 ans et la chute de la dictature des Duvalier. Tous espèrent qu’à la suite du tremblement de terre, les flux financiers vont être plus importants et les possibilités de détournement aussi.»

Charles Ridoré souligne qu’«aucun candidat n’a jusqu’ici formulé un projet de société capable de mobiliser les foules». Même si son programme semblait tout aussi abstrait, la star internationale du hip-hop Wyclef Jean aurait pu jouer l’effet d’icône mobilisatrice. Mais sa candidature, annoncée à grand fracas, a été refusée par le conseil électoral, accusé par l’opposition d’être «à la solde du pouvoir».

Pour autant que l’épidémie de choléra ne devienne totalement incontrôlée, l’élection en elle-même devrait se dérouler dans des conditions acceptables, estime Christophe Wargny: «La fraude massive sera difficile en raison de la présence des observateurs internationaux». Ce qui paradoxalement pourrait mener à une instabilité dangereuse: «Aucun candidat ne semble en mesure de l’emporter dès le premier tour. On devrait s’acheminer vers un second tour, soit l’ouverture d’une période à très hauts risques. Les manœuvres d’intimidation et les violences entre les différents clans risquent d’apparaître».

Sentiment d’abandon

Charles Ridoré craint quant à lui que le Lavalas, le mouvement de l’ancien président Aristide, même divisé, déclare ces élections illégitimes. D’où des tensions prévisibles, qui pourraient être accentuées par une précarité extrême au sein de la population. «Les Haïtiens se sentent complètement abandonnés par leur gouvernement et la communauté internationale. Malgré les milliards d’aide promis, ils vivent dans une situation intolérable. Je n’ose pas trop réfléchir à ce que pourrait engendrer cette frustration grandissante. Lorsque les gens n’ont plus rien à perdre, ils peuvent empoigner des solutions désespérées».

Dans ce contexte, n’aurait-il pas mieux valu reporter les élections à des temps un peu meilleurs? «Suite au séisme, un gouvernement lucide aurait convoqué une table ronde en intégrant l’opposition au lieu de diviser la population dans une confrontation électorale», soutient Charles Ridoré. Qui rappelle néanmoins que «le gouvernement haïtien organise ses élections avec le couteau de la communauté internationale sous la gorge».

Depuis 25 ans, les élections ont toujours eu lieu selon un processus démocratique approuvé par les principaux bailleurs de fonds internationaux. «La communauté internationale propose inlassablement les mêmes solutions et parle toujours avec les mêmes: l’élite et la bourgeoisie haïtiennes, affirme Christophe Wargny. Les élections du 28 novembre risquent de ressembler à beaucoup d’autres. L’Etat et la classe politique sont difficilement réformables de l’intérieur, tant les habitudes sont mauvaises. Au lieu de maintenir la fiction d’un Etat haïtien, la communauté internationale devrait s’atteler à renforcer les contre-pouvoirs et la société civile.»

Et la refondation d’Haïti, appelée par beaucoup, semble illusoire au vu des circonstances actuelles, ajoute Christophe Wargny. «Les possibilités de l’Etat haïtien sont extrêmement limitées. Son budget ordinaire dépend à 60% de l’aide extérieure, sans compter les fonds promis après le séisme. Il n’y aura aucune refondation en Haïti. Je ne sais même pas s’il y aura une reconstruction.»

Haïti est l’un des pays les plus pauvres de la planète et son histoire a été marquée par une série de catastrophes naturelles. Sur le plan politique, les dictatures ont succédé aux coups d’Etat ces cinquante dernières années.

La Confédération, par le biais de la Direction du développement et de la coopération (DDC) a intensifié son aide depuis 2004. En 2005, la DDC a ouvert un bureau à Port-au-Prince, pour mettre en œuvre un programme humanitaire spécial.

Suite au tremblement de terre du 12 janvier, qui a fait plus de 220’000 morts et 1,5 million de sans-abris, l’Aide humanitaire suisse a lancé une vaste opération d’urgence et envoyé plus de 100 experts dans la région sinistrée.

Lors de la conférence des Nations Unis du 31 mars consacrée à Haïti, la Confédération a libéré un montant de 35,9 millions de francs destiné à la reconstruction du pays, dont 4 millions au titre de l’annulation de la dette d’Haïti envers la Banque mondiale.

A cette somme s’ajoutent 55 millions de francs de dons récoltés et mis à disposition par la Chaîne du Bonheur et ses organisations partenaires. Un centre de compétence pour la reconstruction (CCR) a été mis en place par la DDC à Port-au-Prince pour assurer la coordination et le soutien aux projets suisses.

Sur les deux millions de Haïtiens de la diaspora (pour une population de près de 9 millions de personnes), environ un millier vit en Suisse, principalement dans la région francophone du pays.

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