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Eurêka, j’ai une idée… mais il me manque les sous!

La chaussure de ski DAHU devrait être sur le marché dès cet automne. DAHU

En Suisse, il est assez facile pour un entrepreneur débutant de lancer un produit original avec des soutiens régionaux. Mais lorsque vient la phase de production et de commercialisation à plus large échelle, les cordons des bourses peinent souvent à se délier.

Fondateur de la start-up fribourgeoise DAHU, Nicolas Frey, 39 ans, s’est lancé avec un enthousiasme certain dans le marché de la chaussure de ski versatile. Le soulier qu’il a conçu permet, une fois la coque ôtée, de se rendre à l’après-ski ou au supermarché sans devoir déambuler comme un robot et risquer des courbatures supplémentaires.

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Le long chemin de l’idée au produit

Ce contenu a été publié sur swissinfo a visité les lieux, pour voir ce qui fait une bonne invention et comment on arrive (ou pas) à l’amener sur le marché. (Julie Hunt/swissinfo.ch)

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Pour son démarrage, DAHU a bénéficié d’un capital de départ et de bureaux mis à disposition par Fri Up, le fonds d’innovation du canton de Fribourg qui soutient les jeunes inventeurs dans la première phase de leur projet. Mais alors que la mise sur le marché de sa chaussure de ski est prévue pour le mois de septembre, les besoins financiers se font de plus en plus pressants.

«La taille réduite de la Suisse rend la vie plus facile en matière de réseautage, car il est possible de rencontrer aisément tout le monde», affirme Nicolas Frey. «Dans le même temps, c’est également un problème car il est plus difficile de trouver des capitaux sur un aussi petit territoire».

Une aide très utile

DAHU est associée à la plateforme de financement en ligne Investiere, qui choisit et profile des start-ups sur le marché des investisseurs en capital-risque. Une aide très utile, relève Nicolas Frey, puisque Investiere aide dans le tri et le remplissage des formulaires et autres documents à remettre aux investisseurs.

Le patron de DAHU souhaiterait toutefois que des plateformes de financement collectif (crowfundig), telles que l’américaine Kickstarter, se développent pour permettre à des projets d’autres pays d’exister. Actuellement, seuls les résidents américains et britanniques sont autorisés à participer.

Bien que la Suisse dispose de plusieurs plateformes similaires, qui fonctionnent grâce à des campagnes très simples réalisées sur Internet, Nicolas Frey soutient qu’aucune d’entre elles n’opère à la même échelle que Kickstarter et ne permettrait de lever suffisamment de fonds pour soutenir sa phase actuelle de développement. Son projet n’est pas encore tout à fait mûr pour la fabrication à large échelle, mais il coûte de plus en plus en frais de marketing et de production.

Pour de nombreuses sociétés basées en Suisse, le processus de brevetage démarre au niveau européen. L’Office européen des brevets (OEB) est en effet compétent pour près de 40 pays, dont la Suisse. L’OEB étudie entre 30’000 et 35’000 demandes par an, et la plupart des brevets reconnus en Suisse passent par cet office.

Mais le processus de brevetage suisse est attractif pour certains entrepreneurs. Ceux-ci ont ensuite une année pour le déposer dans d’autres pays avant qu’il n’arrive à échéance. Certains déposent une demande à la fois en Suisse et auprès de l’OEB, décidant plus tard quel brevet ils souhaitent conserver.

L’Institut fédéral de la propriété intellectuelle reçoit environ 2000 demandes par an, parmi lesquelles 800 à 900 sont examinées.

Le labyrinthe des brevets

Une part significative des fonds obtenus par DAHU a été affectée au processus de brevetage, qui est relativement abordable à un niveau basique en Suisse et qui offre une approche personnalisée aux inventeurs. Il en coûte un peu plus de 200 francs suisses pour déposer une demande de brevet et 500 francs supplémentaires pour qu’elle soit examinée.

Mais les coûts peuvent rapidement exploser. Heinz Müller, expert en brevets auprès de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle, conseille aux jeunes entrepreneurs de s’adjoindre les services d’un juriste spécialisé, notamment parce que la Suisse est un des rares pays au monde qui ne garantit pas l’originalité d’un produit avant la délivrance d’un brevet.

«C’est dû au fait que nous avons un système de brevet très bon marché. Il appartient aux demandeurs de vérifier si leur produit est vraiment original», explique Heinz Müller. S’il s’avère qu’un produit a déjà été breveté, l’inventeur risque un procès et de perdre son autorisation de vendre le produit en question. Pour 500 francs supplémentaires, l’office des brevets offre une recherche en originalité. Le requérant peut alors utiliser les bases de données officielles pour rechercher d’éventuels produits similaires.

L’idée de DAHU est née de l’achat par l’amie de Nicolas Frey d’une coûteuse paire de souliers de skis qui se vantaient d’être «les plus confortables au monde» et qu’elle a été contrainte de jeter parce qu’elles lui faisaient mal.

Nicolas Frey a ensuite conçu un prototype, qu’il a testé lui-même sur les pistes de ski. Une fois l’exosquelette ôté (qui peut d’ailleurs rester accroché sur les lattes), le skieur devient libre de ses mouvements pour s’adonner en tout confort à la randonnée ou aux plaisirs de l’après-ski.

Des millions difficiles à trouver

Mais le chemin est encore long – et coûteux – pour les inventeurs qui comme Nicolas Frey veulent s’assurer de l’originalité de leur invention et espérer la commercialiser dans le monde entier. Il estime que DAHU a dépensé plus de 50’000 francs uniquement dans le processus de brevetage international, qui n’inclut pas les premières démarches effectuées en Suisse. Malgré les coûts engendrés, Nicolas Frey estime qu’il est indispensable de s’adjoindre les services d’un juriste capable de naviguer dans les méandres des bureaux de brevet européens et nord-américains.

Tout comme Nicolas Frey, Heinz Müller trouve le marché suisse des investisseurs trop petit et peu flexible, comme il a pu lui-même en faire l’expérience en tentant de fonder il y a 20 ans une entreprise de diagnostic médical. Certains investisseurs étaient prêts à lui donner beaucoup plus d’argent que nécessaire, mais ils estimaient que le retour sur investissement n’était pas suffisant s’ils se contentaient de répondre aux besoins d’Heinz Müller. Ce dernier n’a ainsi jamais vu la couleur de l’argent et son projet est mort-né.

Markus Hosang, de l’entreprise bâloise BioMed Partners, qui investit dans des starts-ups spécialisées dans les technologies médicales, doit faire face tous les jours à ce problème. Il affirmait ainsi récemment dans les colonnes de la NZZ am Sonntag que «le financement du capital d’amorçage fonctionne plutôt bien en Suisse» mais que les millions nécessaires au développement ultérieur «sont pratiquement impossibles à obtenir sur le marché financier suisse».

Débuts locaux

Comme l’observe Markus Hosang, ce capital de base est abondant au niveau cantonal, où des projets tels que Fri Up permettent à des inventeurs de démarrer le long chemin qui doit mener à la commercialisation du produit. Le canton de Neuchâtel a adopté une approche à plus petite échelle grâce au Swiss Creative Centre, qui aide à jumeler des entreprises locales avec des designers et des créateurs afin de concrétiser de petits projets de production.

Un fromager neuchâtelois, qui avait mis au point un nouveau fromage à tartiner, était par exemple à la recherche d’un design unique pour son plateau d’échantillonnage. Un groupe de jeunes designers a répondu à l’appel en présentant un concept qui permet aux échantillonneurs de mélanger le fromage avec d’autres aliments dans des bols séparés.

«Les idées sont faciles à trouver, mais la phase de production et de recherche de fonds s’avère toujours longue et difficile», estime Laetitia Florin, qui a travaillé sur ce projet. «C’est pourquoi le modèle proposé fonctionne très bien. Les commerçants locaux sont en mesure de prendre rapidement une décision à petite échelle».

Mais quand il s’agit de commercialiser le produit au-delà de la région, l’obstacle du financement est toujours là et doit être surmonté par la collecte de fonds individuelle, que ce soit du côté des designers ou du producteur, souligne Audrey Temin, la collègue de Laetitia Florin. Les deux femmes s’accordent à dire que le processus de création est la partie la plus amusante du projet. Mais ensuite vient la phase qu’elles «haïssent le plus»: prendre le téléphone et appeler des investisseurs potentiels.

Le Swiss Creative Centre rassemble des personnes créatives de la région neuchâteloise, qui échangent leurs compétences et leurs savoir-faire dans le cadre de réalisations concrètes issues de projets novateurs.

Le projet est soutenu par le canton de Neuchâtel ainsi que par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO).

(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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