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Félix Vallotton dans la lumière du Kunsthaus

"Persée tuant le dragon", 1910. Kunsthaus di Zurigo

Le Musée des Beaux-Arts de Zurich contribue au renouveau actuel du peintre d'origine vaudoise Félix Vallotton (1865-1925).

Joliment intitulée «Idylle au bord du gouffre», l’exposition présente 90 œuvres parmi les plus originales de l’artiste.

Le visiteur est saisi dès la première salle de l’exposition dédiée à Félix Vallotton au Kunsthaus de Zurich: perdu et minuscule sur une grande paroi bleu-grise, «La loge de théâtre», tableau aux lignes géométriques, donne le ton.

C’est en effet à un spectacle que l’on est convié dans cette exposition, celui de la comédie humaine et, surtout, la comédie des couples, un des thèmes de prédilection du peintre d’origine vaudoise. «C’était un observateur en retrait, au regard glacial, ironique, sans faux-semblant», relève la commissaire d’exposition Linda Schädler.

Pourtant, pour joli qu’il soit, le titre de l’exposition ne va pas de soi. A première vue, les intérieurs bien rangés, les belles couleurs chatoyantes font davantage penser à une idylle qu’à un gouffre.

Le gouffre n’est en effet pas perceptible d’entrée de jeu, ou seulement exceptionnellement. Les scènes peintes – intérieurs bourgeois, corps nus, paysages, portraits – ne dévoilent leur étrangeté, ou ne serait-ce que l’existence de personnages, que dans les détails et après un temps d’observation (comme dans La Chambre rouge, 1898).

Guerre des sexes

«L’idylle au bord du gouffre»: un titre qui synthétise bien les rapports bourgeois, notamment entre femmes et hommes, que critiquait ironiquement Félix Vallotton. Mais le gouffre, parfois, est au premier plan: dans La haine (1908), le couple, nu, est dans un rapport de guerre. «Le sujet était très discuté à l’époque», explique Linda Schädler.

Comptant parmi les sujets d’origine mythologique que Vallotton appelait ses «Grandes machines», «La haine» et d’autres de la série stupéfient par l’intentisité du message. Dans «Homme et femme» (1913), la scène d’agression sexuelle coupe le souffle.

Parcours par ambiances

Composé de dix salles pour nonante œuvres (dont aucune gravure), le parcours d’exposition ne se veut pas chronologique. «Nous avons essayé de changer les atmosphères, annonce Linda Schädler. De passer de l’élégance raffinée à une sorte de violence cachée ou d’atteinte à la soi-disant morale», comme dans les «Intérieurs».

Les choix ne sont pas toujours évidents à comprendre (pourquoi telle nature morte avec tel nu?) Mais la logique fonctionne malgré tout le plus souvent. Elle a le mérite de permettre d’aborder des facettes de l’œuvre, par recoupements et superpositions, plutôt que par une plate évolution selon les dates.

Ainsi, l’assemblage des «Portraits décoratifs», proches de la caricature et réalisés de sa propre initiative par Vallotton, de plusieurs artistes connus de l’époque (Berlioz, Hugo ou Baudelaire pour ne citer que ceux-là). Provenant de collections privées, ces œuvres sont rarement visibles au même endroit.

Vers l’abstraction

De nombreux tableaux soulignent les traits avant-gardistes de Vallotton, qui annonce Picasso («Quatre torses», 1916) ou les surréalistes. Les lignes sont souvent très marquées, comme les couleurs, qui éclatent en surfaces épaisses.

L’abstraction n’est pas loin: les motifs se raréfient dans «Le baiser» (1898), «Sur la plage» (1899) ou encore «Le Ballon» (1899).

Rendant hommage à l’ironie de Vallotton, les concepteurs de l’exposition se sont accordés quelques clins d’œil. Ainsi, le dernier autoportrait de l’artiste, réalisé en 1923, a été accroché dans la salle des nus, mais son regard se détourne de ses propres tableaux…

Le site Internet de l’exposition est aussi, en soi, un clin d’œil. L’affiche, «Le Nu sur fond jaune» (1922) y est présentée comme si l’on regardait par un trou de serrure. A ce titre, il rappelle les jeunes filles zurichoises à qui on avait interdit de visiter la première exposition individuelle de Vallotton… en 1909!

swissinfo, Ariane Gigon à Zurich

Félix Vallotton est né le 28 décembre 1865 à Lausanne. A 17 ans, il part à Paris pour y étudier les beaux-arts. Mais il continuera à passer la plupart de ses étés en Suisse, où il peindra abondamment le Lac Léman.

Pour gagner de l’argent, il écrit des critiques d’art pour la «Gazette de Lausanne» (1890-1897).

A partir de 1892, Vallotton se rapproche des Nabis (Bonnard, Denis, Vuillard), qui utilisent une intense palette de couleurs.

En 1899, il épouse une riche veuve, Gabrielle Rodrigues-Henriques, dont les frères dirigent une galerie réputée à Paris.

Il acquiert la nationalité française en 1900.

1909: première grande exposition individuelle, au Kunsthaus de Zurich, avec environ 70 tableaux et une douzaine de gravures sur bois. Les nus suscitent de grandes discussions et les jeunes filles se sont interdites d’exposition.

Atteint d’un cancer, Félix Vallotton décède le 29 décembre 1925 à Paris.

Son œuvre comprend de très nombreuses gravures ainsi que quelque 1700 tableaux, sans oublier les romans, essais et lettres.

«Félix Vallotton, idylle au bord du gouffre», du 5 octobre 2007 au 13 janvier 2008.

Quelque 90 tableaux, dont certains inédits en public depuis plusieurs années, sont accrochés au Kunsthaus de Zurich.

L’exposition sera ensuite présentée à la Hamburger Kunsthalle (15.2.08-18.5.08).

La Villa Flora de Winterthour consacre également son actuelle exposition à Félix Valloton: du 6 octobre 2007 au 28 septembre 2008. Un complément qui ne pouvait mieux tomber.

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