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Guerre de tranchées au Conseil des droits de l’homme

Le front se durcit contre les pays occidentaux et latino-américains au Conseil des droits de l'homme. Keystone

La session du Conseil des droits de l'homme (CDH) qui prend fin cette semaine à Genève achoppe sur la question de la diffamation des religions et la révision des mandats des enquêteurs indépendants.

Yves Lador et Claude-Adrien Zoller soulignent les reculs opérés par l’institution onusienne et les menaces qui pèsent sur son avenir. Regards croisés de deux connaisseurs.

Jusqu’où vont-ils aller trop loin? C’est la question que se posent aussi bien le consultant Yves Lador que Claude-Adrien Zoller, directeur de Genève pour les droits humains, une organisation qui dispense une formation pour les ONG et les diplomates qui travaillent sur les droits de l’homme aux Nation Unes.

Ils? Ce sont les pays africains, ceux de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), la Chine et la Russie, soit un ensemble d’Etats qui forment une alliance informelle et dont les voix sont majoritaires au sein du Conseil.

Selon nombre d’ONG, cette alliance cherche le plus souvent à affaiblir, voire à saper les mécanismes de défense des droits de l’homme. Or le CDH a pour objectif officiel de les promouvoir et de les renforcer, ce que tentent de faire avec plus ou moins de conviction les autres membres du Conseil, occidentaux et latino-américains.

Offensive lancée en 2006

Le Pakistan pour l’OCI et l’Egypte pour le groupe africain sont actuellement les meneurs de cette alliance essentiellement afro-asiatique, alors que Cuba – longtemps en pointe dans ce groupe – adopte des positions beaucoup plus conciliantes. Il faut dire que le régime castriste a obtenu, entre-temps, qu’il soit mis fin au mandat du rapporteur spécial chargé de Cuba.

Le groupe majoritaire ne fait que poursuivre son offensive lancée déjà lors des négociations en vue de la création en 2006 du Conseil des droits de l’homme (CDH), sur les décombres de la Commission des droits de l’homme.

«Cette alliance a d’abord cherché à transformer le CDH en contre-pouvoir aux pays occidentaux et tout particulièrement aux Etats-Unis, qui eux sont en position de force au sein du Conseil de sécurité de l’ONU», explique Claude-Adrien Zoller.

Avant d’ajouter: «Cette alliance passe actuellement à l’étape suivante: miner l’indépendance du Haut-commissariat aux droits de l’homme et prendre son contrôle via le CDH. La Suisse est le seul pays à s’être clairement opposé à cette stratégie qui sera menée sur des années.»

L’argument de l’islamophobie

Cela dit, les deux blocs qui s’affrontent au sein du CDH ne sont pas séparés par une frontière rigide comme un rideau de fer. Car chaque Etat défend avant tout ses propres intérêts, au Conseil comme ailleurs. Et le débat qui s’amorce autour de l’épineuse question de la diffamation des religions devraient illustrer des différences de position.

Encouragé par les pays membre de l’Organisation de la conférence islamique, ce thème gagne du terrain au sein du Conseil des droits de l’homme. La diffamation des religions fait par exemple l’objet d’une résolution qui pourrait être adoptée cette semaine à l’issue de la principale session du CDH.

«Quand l’OCI met en avant et utilise l’argument de l’islamophobie pour empêcher les critiques sur les Etats, elle reçoit le soutien de pays comme la Chine ou la Russie, explique Claude-Adrien Zoller. Mais quand il sera question de redéfinir la liberté religieuse, selon les critères de l’OCI, Moscou ou Pékin devraient s’abstenir. Ces Etats n’ont aucune envie de favoriser l’Islam chez eux.»

De son côté, Yves Lador, spécialiste des droits de l’homme, rappelle que ce débat est fortement teinté de considérations politiques.

«Affaiblis après la chute du Mur de Berlin, les régimes autoritaires reviennent à la charge. La diffamation des religions constitue un formidable instrument pour subvertir les droits fondamentaux qui protègent avant tout les individus face aux Etats», rappelle Yves Lador.

Les Etats qui voudraient que l’on fasse de la diffamation des religions une violation des droits de l’homme invoquent l’islamophobie qui se répand dans les pays occidentaux. Yves Lador ne conteste pas l’existence du problème. Mais il craint l’imposition de critères définis par des Etats autoritaires où l’Islam est religion d’Etat.

«Selon la manière dont on qualifie la diffamation des religions comme une forme de racisme, ce sera l’Etat et non l’individu qui sera protégé», s’inquiète Yves Lador.

Menace sur le multilatéral

«Les fronts ne cessent de se durcir, constate Yves Lador. S’engouffrant dans la brèche ouverte par les Etats-Unis, un certain nombre d’Etats autoritaires s’en prennent, via les droits de l’homme, à l’ensemble du système multilatéral des Nations Unies. Confrontés aux violations qu’ils commettent eux-mêmes au nom de la lutte contre le terrorisme, les Occidentaux sont mal pris pour répliquer.» Une tendance favorisée par le basculement de l’économie vers l’Asie.

Un point de vue que partage Claude-Adrien Zoller: «Pour l’heure, les pays occidentaux et latino-américains ont réussi à limiter les dégâts au sein du CDH. Ils corrigent les reculs entérinés par le Conseil en poussant des mesures positives comme l’Examen périodique universel. Mais rien n’est joué et de nouveaux reculs sont loin d’être exclus.»

Et si le CDH devait finir par perdre totalement sa crédibilité, Claude-Adrien Zoller n’exclut pas que lors de la conférence de révision et d’examen de ce Conseil – prévue 5 ans après sa création – les droits de l’homme quittent Genève pour New-York où siège la 3e commission de l’Assemblée générale de l’ONU qui traite aussi des droits de l’homme.

swissinfo, Frédéric Burnand, Genève

La Commission des droits de l’homme de l’ONU est créée en 1946.

Elle rédige la Déclaration universelle des droits de l’homme qui sera adoptée le 10 décembre 1948.

En 1966, elle fait adopter par l’assemblée générale de l’ONU deux traités qui complètent la Déclaration de 1948: le pacte des droits civils et politiques et celui des droits économiques, sociaux et culturels.

A partir de 1967, la Commission s’attaque aux violations de ces droits sur le terrain. Et ce en développant des mécanismes et des procédures d’enquêtes.

La 62ème et dernière session de la Commission des droits de l’homme de l’ONU s’ouvre le 20 mars 2006 pour passer le témoin au Conseil des droits de l’homme.

Le 19 juin 2006, le Conseil tient sa première session à Genève.

Durant la session de 4 semaines qui se termine le 28 mars prochain, les 47 membres du Conseil des droits de l’homme poursuivent la révision des mandats d’une quarantaine d’enquêteurs indépendants (procédures spéciales) hérités de l’ancienne Commission des droits de l’homme.

Depuis la création du Conseil en 2006, deux mandats ont déjà été supprimés (Cuba, Biélorussie). Le groupe africain vient de proposer de supprimer le rapporteur spécial sur la République démocratique du Congo.

La Suisse, comme le reste du groupe occidental, cherche à maintenir ces procédures spéciales et renforcer leur mandat. Les pays du Sud, à l’exception de l’Amérique latine, cherchent à brider ces rapporteurs spéciaux et supprimer ceux qui suivent la situation d’un pays particulier.

Durant cette session, le Conseil doit aussi choisir des experts pour remplacer 14 rapporteurs spéciaux arrivant au terme de leur mandat.

Les 14 candidats à ces postes sélectionnés par le président du Conseil des droits de l’homme, Doru Romulus Costea, se heurtent à l’opposition des pays africains, asiatiques et islamiques.

La Suisse fait campagne pour le sociologue Jean Ziegler. L’actuel rapporteur spécial sur l’alimentation, qui arrive en fin de mandat, postule pour devenir l’un des 18 membres de l’organe consultatif du Conseil, qui seront élus à vote secret par les 47 États membres le 26 mars prochain.

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