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Hommage à la liberté de Miles Davis à Montreux

Marcus Miller, l'inspirateur et producteur du Tribute to Miles. MJF (C) Lionel Flusin

Le trompettiste était un fidèle des lieux. Vingt ans après sa mort, le Montreux Jazz Festival avait une pensée pour lui mercredi, avec un quintet qui fait l’événement cet été en Europe. Un Tribute to Miles plutôt réussi, signé Marcus Miller, Herbie Hancock, Wayne Shorter…

Il y a ce buste planté sur un quai à deux pas du Lac Léman. Sombre et solitaire. Comme s’il restait à jamais le Prince of Darkness. Il y a ce restaurant italien, sur la grand-rue de Montreux, où l’on mastique les yeux braqués sur une de ses trompettes en couleur encastrée dans le mur. Quelle fin de nuit a bien pu permettre une telle retraite?

Il y a évidemment la deuxième salle de l’aîné des festivals de jazz européens, qui porte son nom. Sur les routes ralenties de la petite station touristique vaudoise, on en viendrait presque à quêter une hypothétique Ferrari jaune, certain de le découvrir au volant.

Miles Davis marque encore Montreux de sa légende, vingt ans en septembre après sa mort sur laquelle plane encore un peu de mystère et, pour certain, l’ombre du sida. Mais Miles Davis reste surtout par sa musique et sa démarche. Obstinément projetée vers l’avant, brisant les classifications, libre.

Année après année, avant et surtout après le trou noir de la fin des années septante, le trompettiste américain a donné neuf concerts à Montreux. On nous en promet l’intégrale en 20 DVD pour la rentrée. L’année de sa mort, il s’y est même prêté à un exercice qui lui répugnait. Revisiter son travail. En l’occurrence, son répertoire des années 50 imaginé en compagnie de Gil Evans. Avec en maître de cérémonie, un fameux Quincy Jones, qui passe depuis tous ses débuts d’été au Festival de Montreux.

Miles Davis disait qu’il «préférerait mourir plutôt que de jouer cette merde du passé». Pressentiment? Certitude de sa fin prochaine? Le concert restera en tout cas dans les annales de Montreux et alentours (Miles & Quincy Live at Montreux). C’est à un exercice proche mais en rien similaire auquel se sont attelés trois «enfants de Miles» mercredi.

Du neuf

Sous l’impulsion du bassiste Marcus Miller, simplement impérial, le pianiste Herbie Hancock et le saxophoniste Wayne Shorter ont offert avec le trompettiste Sean Jones et le très efficace batteur Sean Rickman un de leur huit Tribute to Miles prévus cet été dans les festivals européens. Aucune redite ni copier-coller dans leur approche, mais le plus bel hommage qui pouvait être rendu au fils de dentiste. L’expression de leur liberté.

Herbie Hancock déclarait à un journaliste que Miles avait été «le meilleur professeur du monde parce qu’il nous encourageait à trouver les réponses par nous-mêmes. (…) Son héritage, c’est son influence sur les gens qui ont travaillé avec lui, et j’en suis un.»

Au lieu d’une relecture des thèmes davisiens, le quintet, très uni, complice bien que pas tout à fait rodé, a rendu une copie pas conforme. Un travail de recréation inspiré. Etirant ici un tempo à l’origine rapide, explosant là une balade. A la ritournelle Jean-Pierre, Miller et Cie ont offert une complexité amusée, une rythmique frôlant le hip-hop et des voix samplées caressées par Hancock sur son clavier.

Tutu, assaisonné d’un brin de dissonance, a été honoré au pas de charge. So What s’est mué en folie funky, trompette bouchée et sax en sagex. Partout des surprises, la citation d’un thème apparaissant dans un autre, partout la course de l’amateur pour reconnaître l’original. Figureront sur la setlist In a Silent Way, plusieurs titres de l’album Miles Smiles et des jalons de toute la carrière de Miles.

Bémols aussi

Dans l’esprit, le souffle, la liberté d’action et de forme, l’auditeur aurait pu mercredi se croire revenu au plus novateur de la période électrique de Miles, vers 1969-71. La nécessité en moins peut-être. Mais la poésie, l’imagination et l’énergie bien au rendez-vous. La première heure du concert a d’ailleurs pris la forme d’un continuum, presque une symphonie, avec une dizaines de thèmes de Miles comme autant de mouvements.

Côté instrument, ou plutôt souffle, on ne se la cachera pas, Wayne Shorter n’est plus au sommet de sa forme. Très grossièrement dit, il a parfois semblé courir derrière. Quant au trompettiste Sean Jones, le phrasé très articulé et des idées plein les lèvres, il a peut-être montré mercredi un trop grand respect (une trop grande écoute?) pour ses aînés, qualifiés par Marcus Miller de «génies».

L’autre «génie», Herbie Hancock donc, continue pour sa part à faire surgir ses accords brisés et ses grandes touches de couleurs. Sphinx paradoxal, alignant demi-sourires et éclats de rires, Hancock n’a pas perdu d’altitude. La grande salle du festival ne s’y est pas trompée, emportée haut par ces deux heures de musique. «Merci à vous!, a lancé Marcus Miller au public. Merci à Miles Davis, aussi!»

Quincy is back

En deuxième partie de soirée, et jusqu’à des heures indues pour la drôle de pianiste américaine Emily Bear, 9 ans, Quincy Jones livrait ses dernières découvertes en matière de jeunes talents pêchés au cours de ses travaux de producteur mythifié.

Tous, du pianiste Alfredo Rodriguez et ses quatorze heures de travail quotidiennes à la chanteuse canadienne Nikki Yanofsky en passant par la bassiste et vocaliste Esperanza Spalding ont exhibé leur époustouflante technique. La dernière a déjà obtenu au début de l’année le Grammy du meilleur nouvel artiste. Les autres n’ont qu’à bien se tenir. Des noms à retenir puisque Q est dans le voisinage.

45ème. L’édition 2011 du Montreux Jazz Festival se tient du 1er au 16 juillet.
 
Concerts payants. A l’Auditorium Stravinsky (4000 places) et au Miles Davis Hall (2500 places)…. voir «En relations avec le sujet».
 

Musique en mouvement. Plusieurs trains et bateaux se transforment en lieux de concerts et d’animation.
 
Montreux Jazz Café: Dès 20h30, le Festival propose de revivre des concerts issus de ses archives. Dans la soirée, des groupes internationaux sont programmés, dans tous les genres musicaux.
 
Music In The Park: Concerts gratuits en plein air au Parc Vernex.
 
Workshops: Les artistes rencontrent le public. Démonstration technique, débat, parcours personnel…
 
Concours: Piano, voix, Tremplin lémanique… Trois concours visent à faire émerger de nouveaux talents.

Un monstre du piano et des claviers. Sans doute un des plus remarquables de ces cinquante dernières années. Pour la 27e fois à Montreux, Herbie Hancock (1940) a été embauché par Miles à l’âge de 23 ans. Il est un pilier de son deuxième quintet, enregistre pas loin de vingt albums avec le trompettiste, avant de reprendre son indépendance cinq ans plus tard. Mais il participe encore à deux incontournables de la période électrique de Miles Davis: In a Silent Way et A Tribute to Jack Johnson

Le saxophoniste Wayne Shorter, né en 1933, lui aussi apparu dans les années soixante, est actif auprès de Miles Davis en même temps qu’Herbie Hancock. Compositeur de l’essentiel des thèmes de l’album Miles Smiles, le dernier chef d’œuvre acoustique de Miles, Shorter a participé à Bitches Brew, le coup de poing de 1970. Il partira un an plus tard créer le groupe de jazz-rock Weather Report.

C’est Marcus Miller qui a imaginé ce Tribute to Miles. Né en 1959, le bassiste/polyinstrumentiste est la figure centrale aux côtés de Miles Davis lors de son retour à la musique dans les années 80. On l’entend dans We Want Miles, il est omniprésent dans Tutu, qu’il produit en 1986. Partout, il semble sourire.

33 ans, six albums sous son nom, Sean Jones doit à son professeur de trompette d’avoir découvert le jazz. Un cadeau, deux disques: Kind of Blue et Tutu. Quasiment né avec des baguettes dans les mains, Sean Rickman a, lui, joué avec George Clinton, Randy Brecker et surtout Steve Coleman. Pas miles, non?

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