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Il faut arrêter Indiana Jones!

Indiana Jones (Harrison Ford), héros du cinéma, mais pas vraiment de l'archéologie... Cinetext.de

Deux archéologues romands, Laurent Flutsch et Didier Fontannaz, ont récemment publié un ouvrage intitulé «Le pillage du patrimoine archéologique». L’écrivain et ancien éditeur Rolf Kesselring l’a lu pour swissinfo.ch.

À l’heure où l’on essaye de nous persuader de lire sur des écrans miniatures des textes, d’imposer aux passionnés des livres électroniques qui ne possèderont jamais la sensualité de ceux, plus traditionnels, construits d’un mille-feuille de papier, je reste un amateur ému de cette technique séculaire.

On me certifie que je pourrai, avec cette nouveauté, emporter des milliers de tomes, des bibliothèques entières peut-être… Je n’ose, en regardant les murs de mon logis couverts de volumes, imaginer l’étagère unique, le rayon ultime, sur lequel trônerait cet appareil de plastique froid et pour tout dire lugubre. Alors entre les livres et moi, c’est à la vie à la mort!

Il y a des volumes qu’on reçoit et qu’on met de côté en se disant «je le lirai plus tard»… C’est ce qui est arrivé avec «Le Pillage du patrimoine archéologique», paru fin janvier chez Favre dans la collection «Débat public».

Gare aux préjugés

Malgré mon intérêt pour l’histoire, pour l’archéologie et son patrimoine, je me disais alors qu’il n’y avait pas le feu au lac. De plus, un ouvrage commis par deux archéologues, Laurent Flutsch et Didier Fontannaz, ne pouvait être que rébarbatif pour le simple amateur à peine éclairé, que je suis devenu.

Ces spécialistes du monde classique gréco-romain (l’un est directeur du Musée romain de Lausanne-Vidy, l’autre chargé de cours à l’Université de Lausanne, futur docteur es matière) ne me poussaient pas à la lecture immédiate. Quelle erreur!

Préjugé? Je reconnais leur avoir fait un procès d’intention dû, sans aucun doute, à ma méfiance des universitaires lausannois. Leur «Pillage du patrimoine archéologique» est épatant.

En lisant, j’ai appris beaucoup de choses dont je ne me doutais pas. Comment pouvais-je m’imaginer que la mémoire de l’humanité était pareillement pillée par des marchands d’art et des collectionneurs, par des pékins dans mon genre ou même par des musées et des archéologues complices de cet immense trafic à l’échelle de la planète…

Indiana Jones est un vandale!

Un chapitre de leur ouvrage porte le titre suivant: «Indiana Jones contre Sherlock Holmes». Je n’avais jamais fait la différence entre un explorateur aventurier et un véritable enquêteur; le premier cité est un destructeur lorsqu’il prélève un objet historique ou un document, tandis que l’autre commencera toujours par arpenter, documenter, mesurer, répertorier le site.

On dirait actuellement que l’enquêteur ou le détective se gardera de polluer la scène de crime – lire: le site de fouille – afin que tous les indices puissent lui permettre d’en savoir beaucoup plus sur les circonstances et les faits chronologiques qui ont amené ledit objet à cet endroit précis.

Donc, Indiana Jones est un destructeur, un véritable vandale, lorsqu’il trouve et emprunte un trésor ou un ustensile quel qu’il soit. Même si les raisons de cet emprunt paraissent les meilleures du monde: l’excuse d’Indiana Jones, professeur aventureux, d’empêcher des méchants de s’approprier l’Arche de l’Alliance n’est pas valable!

Il agit exactement comme tous les trafiquants pour qui le profit est la seule logique qui justifie ce pillage. Le désintéressement de Sherlock Holmes réside dans sa volonté absolue de découvrir non seulement les faits, mais aussi les circonstances.

Vertueux enseignement

Comme je l’ai déjà dit, ce livre est captivant. Pourtant, je soupçonne nos deux compères de prêcher fortement pour leur paroisse. En effet, ils ont publié ce volume pour engager un débat qui, même si l’intention est noble, ne pourra jamais intéresser que le landerneau archéologique. Jamais les marchands, les collectionneurs, peut-être même les musées, ne feront l’effort de refuser d’acquérir une belle pièce archéologique, confortant ainsi ce trafic planétaire.

Je sais que dans notre pays (qui, soit dit en passant et de l’aveu même des auteurs, est une plaque tournante du marché clandestin incriminé), nous avons une tendance didactique. Nous voulons sans cesse enseigner aux autres. Ne sommes-nous pas la patrie des Calvin, Farel et autres Pestalozzi? Cela pour dire que le côté vertueux du discours de nos deux archéologues a, aussi, un aspect moraliste et dirigiste.

A propos, eux comme d’autres professionnels pourraient-ils jurer qu’ils n’ont pas chez eux, même à titre temporaire et en tout bien tout honneur, quelques colifichets ou menues monnaies, quelques débris de poterie, issus de leurs chantiers de fouilles?

Le saccage est total

Pour conclure, on pourrait évoquer la folie religieuse des Talibans, qui firent, il y a quelques années et au nom de leur croyance, sauter à l’explosif les Bouddhas millénaires de la Vallée de Bamiyan, en Afghanistan…

Ou encore l’administration américaine et l’ancien secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, fou de Dieu à sa manière, plaçant le pillage du musée de Bagdad dans le cadre de «dommages collatéraux». Une arrogance qui devrait suffire à le faire traduire en justice!

Toute action humaine produit des effets pervers. Chacun, aujourd’hui, le sait. Cependant, que cela soit au nom de la science, d’une guerre ou de préceptes religieux, le saccage du patrimoine historique de notre humanité reste une preuve d’ignorance absolue et d’obscurantisme persistant. Et cela continuera… Si l’intelligence progressait chez les humains, les effets seraient immédiatement visibles!

Rolf Kesselring, swissinfo.ch

Plaque tournante? La Suisse a longtemps fait exception en matière de règlementation du commerce de l’art à cause des lacunes que comportait sa législation.

Avoirs juifs. La question du trafic illicite des œuvres culturelles a notamment été relancée en Suisse dans les années 90 lors du débat sur la restitution des avoirs juifs.

UNESCO. En octobre 2003, la Suisse a ratifié la Convention de l’UNESCO de 1970 contre le trafic illégal de biens culturels.

Nouvelle loi. En juin 2005 est entrée en vigueur la loi fédérale sur le transfert des biens culturels, qui vise à empêcher le trafic illicite.

– Cette loi met un terme au commerce anonyme. Désormais, les marchands d’art et les maisons de vente aux enchères doivent déclarer avec qui ils font des affaires.

– Ils ont l’obligation de tenir un registre (pour les acquisitions valant plus de 5000 francs et pour tout objet d’archéologie) qui permet de reconstituer le cheminement des objets en cas de litige sur leur origine.

– Pour sa part, le propriétaire d’un bien culturel volé peut exiger sa restitution pendant trente ans, contre cinq ans seulement auparavant.

«Le pillage du patrimoine archéologique», sous-titré «Des razzias coloniales au marché de l’art, un désastre culturel», par Laurent Flutsch et Didier Fontannaz, est publié aux Editions Favre.

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