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Ils n’ont pas fini d’être champions des assurances

Selon une étude de Swiss Re, les Suisses consacrent 6257 dollars par an aux assurances, juste derrière les Hollandais. Fotex / R. Zorin

Pourquoi les Suisses dépensent-ils autant pour les assurances privées? Et quels sont les défis que doit affronter ce secteur? swissinfo.ch a interrogé deux spécialistes au moment où l’association faîtière du secteur tient sa conférence de presse annuelle ce vendredi.

«Le Suisse présente une propension à être sur-assuré. Il achète une police responsabilité civile ménage redondante par rapport aux polices de sa carte de crédit, il achète aussi des extensions multiples, bref, il a tendance à être assuré trois fois pour le même risque.»

Par son propos un tantinet provocateur, l’analyste financier de la Banque Bordier Loïc Bhend pointe une réalité. Les Suisses sont parmi les champions du monde en assurances. Selon une étude du réassureur Swiss Re, ils y consacrent 6257 dollars par an. Juste devant eux, les Hollandais déboursent 6554 dollars (2009).

Deux raisons à cette course dans le peloton de tête, explique Walter Ackermann, directeur de l’institut d’économie des assurances de l’Université de St Gall. D’abord, le niveau de richesse économique.

«Les gens tendent à dépenser davantage en assurance lorsqu’ils sont riches. Cela se vérifie plus ou moins pour tous les pays. D’autre part, en Suisse, l’industrie de l’assurance vie est largement imbriquée dans le système de sécurité sociale.»

Transfert vers le privé

Dans l’assurance accident par exemple, c’est le secteur de l’assurance privée qui organise une partie de ce système de sécurité sociale. Schéma comparable pour le 2e pilier, une prévoyance professionnelle qui s’ajoute aux rentes vieillesse (AVS) pour permettre aux retraités de conserver leur niveau de vie antérieur. «Et ça fait évidemment beaucoup d’argent», glisse Walter Ackermann.

Autrement dit, si les Suisses se signalent par leurs dépenses en assurance, c’est aussi parce que, comme le dit Loïc Bhend, «la Suisse connaît un plus grand transfert vers le secteur privé du 2e et du 3e pilier (prévoyance privée) que la moyenne des pays européens, où presque tout est du 1er pilier (assurance retraite étatique)».

Quoiqu’il en soit, ce «goût» de la population suisse pour l’assurance n’a aucune raison de se modifier, juge Walter Ackermann. Pour les assureurs, le taux de croissance des encaissements des primes pourrait régresser à l’avenir. Mais le professeur estime que la demande du consommateur n’y sera pas pour grand-chose.

En cause plutôt: la concurrence qui augmente dans le secteur, d’où pression sur le niveau des primes. Le consommateur doit donc payer moins pour une même couverture.

Assez forte concentration

Reste qu’aujourd’hui, les dépenses d’assurances mangent environ 20% du budget de chaque ménage et que, sur le marché suisse de l’assurance, une concentration assez prononcée est de mise. «Nous avons plus de 130 compagnies d’assurances supervisées par les autorités mais la part de marché des cinq plus grandes se situe entre 60 et 80% du marché», indique Walter Ackermann.

Faut-il s’attendre à une révolution structurelle? Pas vraiment, selon Loïc Bhend. Les acteurs, de plus en plus internationalisés, sont stables et bien capitalisés, comme vient de le montrer le test de solvabilité du régulateur étatique (Finma). Un résultat «plutôt attendu», selon Loïc Bhend.

Contrastant avec les grandes manœuvres annoncées dans plusieurs pays européens, l’industrie de l’assurance en Suisse est mature et sa croissance n’a pas tellement de raison de croître beaucoup plus vite que la création de richesse, estime l’analyste financier.

Il ajoute que le régulateur suisse a pris de l’avance sur le futur régime européen en matière d’exigences de capital économique (solvency 2). «Du coup, les assureurs suisses ont commencé à se préparer avant les autres, ils sont mieux placés que la moyenne.»

Des taux bas qui chagrinent

Le changement de paradigme, avec des règles plus strictes imposées par les superviseurs est un des principaux défis pour l’industrie de l’assurance vie, confirme Walter Ackermann. Et l’environnement économique actuel n’arrange pas leurs affaires.

«Le niveau très bas des taux d’intérêt pèse sur les marges des assureurs vie, explique Loïc Bhend. Ils doivent investir les primes encaissées et, en ce moment, obtenir un rendement suffisant sans prendre de risque est un vrai challenge. Pas évident dans ces conditions avec des taux à 1,5% de garantir les 2% du 2e pilier en assurance groupe».

«Si vous avez un levier de 5%, il est facile de garder 1% pour les frais administratifs, complète Walter Ackermann. Mais avec des taux sans risque à 1,5%, il est difficile de vendre à vos clients que vous avez besoin de 1% pour vos coûts administratifs.»

En matière d’assurance non-vie, «le fond du cycle tarifaire semble être atteint, on est en train de se reprendre», juge Loïc Bhend. En gros, il envisage un mieux pour les finances des assureurs. Un mieux qui s’accompagnera d’innovations prenant appui sur une technologie de moins en moins onéreuse, prévoit Walter Ackermann.

L’adjonction dans la voiture d’un boitier traceur des mouvements du véhicule pourra par exemple permettre aux assureurs de proposer des tarifs plus personnalisés sous l’angle du risque. Dans un marché suisse en grande partie saturé, les assureurs non-vie tendront à choisir la segmentation et des solutions d’assurance toujours plus individualisées.

«On observe que de plus en plus de compagnies commencent à segmenter leurs marchés, confirme Walter Ackermann. Et bien sûr, on peut segmenter sous l’angle du cycle de vie des assurés, mais aussi en cherchant à attirer les meilleurs risques.»

Le nouveau régime d’exigences de solvabilité, la révision totale de la loi sur les contrats d’assurance et la question du monopole sont au menu de la conférence de presse annuelle de l’Association suisse d’assurances (ASA), selon sa porte-parole Selma Frasa-Odok.

L’ASA est l’association faîtière des assurances privées en Suisse. Elle regroupe 74 compagnies d’assurances qui représentent 95% des primes encaissées dans le pays. Ces assurances n’emploient pas loin de 50’000 personnes sur le plan national et 73’000 à l’étranger.

En Suisse, les premières assurances privées datent du 19e siècle et certaines sont actives encore aujourd’hui, comme Swiss Life (1857), Helvetia (1858) ou Swiss Re (1863). 

L’une des premières exportatrices européennes, la branche des assurances suisses engrange plus de la moitié de ses primes en dehors du pays (60,7 milliards de francs sur un total de 112,5 milliards en 2009).

Selon le professeur Walter Ackermann, son importance s’explique historiquement par le caractère largement exportateur de l’économie suisse, dont elle a accompagné le développement sur les marchés internationaux au 19e et au début du 20e siècle.

La branche a ensuite connu un fort développement après la Deuxième Guerre mondiale. Avec la prospérité économique, la complexification de l’économie et les capitaux disponibles, les assurances ont répondu à des besoins diversifiés – assurance accident, assurance vie, assurance auto, assurance du patrimoine, etc.

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