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L’Union européenne brandit la menace de la liste noire

Le commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta, a lancé un ultimatum à la Suisse. AFP

Bruxelles exige rapidement de Berne des propositions concrètes pour l’abolition des régimes fiscaux spéciaux accordés aux multinationales. Et l’assortit de menaces de sanctions qui pourraient avoir l’effet inverse et renforcer la compétitivité fiscale de la Suisse.

D’ici la fin du premier semestre 2013, le gouvernement suisse doit trouver des solutions pour «supprimer prochainement certains régimes cantonaux de taxation des entreprises». Lancé en décembre par le Conseil des ministres de l’UE, l’ultimatum a été réitéré il y a quelques jours par le commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta.

L’UE a dans le viseur les statuts fiscaux spéciaux octroyés par les cantons aux entreprises – holding, sociétés mixtes ou sociétés d’administration – qui opèrent à l’étranger et qui n’ont souvent en Suisse que des activités administratives. Les bénéfices réalisés par ces sociétés à l’étranger sont exemptés d’impôts cantonaux ou sont taxés par les cantons à des taux beaucoup plus faibles que pour ceux réalisés en Suisse.

Pour Bruxelles, ces régimes fiscaux équivalent à «des subventions publiques», qui «faussent la libre concurrence entre la Suisse et l’UE». Sans progrès substantiels réalisés ces six prochains mois, la Suisse risque de se retrouver sur une liste noire et  de s’exposer à des représailles de la part des Vingt-Sept, selon Algirdas Semeta.

Les entreprises qui ont leur siège social ou des activités économiques en Suisse sont taxées par la Confédération, les cantons et les communes.

Le gouvernement fédéral prélève une taxe de 7,83% sur les bénéfices de toutes les entreprises, qu’elles soient suisses ou étrangères.

Les impôts prélevés par les cantons (y compris les impôts communaux) se situent entre 4,6 et 17,7%.

Environ 25’000 entreprises – holdings, sociétés mixtes et sociétés d’administration – bénéficient de régimes fiscaux spéciaux octroyés par les cantons. Elles sont exonérées d’impôt ou taxées à des taux plus faibles pour leurs activités à l’étranger.

Généralement, il s’agit de sociétés qui ont uniquement transféré leurs quartiers généraux en Suisse, où elles poursuivent des activités de gestion de licence ou d’administration de sociétés qu’elles contrôlent à l’extérieur.

Selon l’UE, ces régimes spéciaux ont le même caractère que des subventions publiques et ils nuisent à la libre concurrence dans le domaine fiscal. En ce sens, ils violent l’accord de libre-échange conclu en 1972 entre la Suisse et l’UE.

Concurrence croissante

Pour la Suisse, les enjeux sont très importants: les régimes fiscaux spéciaux ont contribué à l’attractivité de sa place économique. Au cours de la dernière décennie, des milliers d’entreprises internationales se sont implantées en Suisse. Et ce, dans un contexte de concurrence fiscale internationale toujours plus marquée.

«Depuis 10 à 15 ans, on observe une tendance générale à la réduction de la taxation des entreprises au niveau européen et international», observe Martin Eichler, spécialiste des questions fiscales à l’institut de recherches économiques BAK de Bâle. Une tendance que relève également une étude de la société d’audit KPMG: entre 2001 et 2011, le taux moyen d’imposition des bénéfices des sociétés a diminué de 30,4 à 22,9% au sein de l’UE.

Malgré cette évolution, la Suisse figure toujours en bonne position en comparaison européenne. Avec un taux d’imposition moyen de 21,2%, elle se situait en 2011 en bien meilleure posture que la Grande-Bretagne (28%), l’Allemagne (29,4%), l’Italie (31,4%) et la France (33,3%). L’Irlande qui a décidé depuis plus de dix ans de «casser les prix» en matière de fiscalité, distancie la Suisse avec un taux de 12,5%.

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La fiscalité n’est pas le seul atout

«Depuis plusieurs années, la Suisse se trouve de plus en plus confrontée à la concurrence des nouveaux membres de l’UE, qui entreprennent d’importants efforts dans le domaine de la fiscalité afin d’attirer les entreprises étrangères, affirme Martin Eichler. Au niveau international, il faut également citer Singapour et la Chine, qui offrent des tarifs fiscaux préférentiels pour les sociétés étrangères».

Les taux d’imposition pratiqués par une partie des nouveaux membres de l’UE ont en effet de quoi impressionner: selon l’étude de KPMG, la Bulgarie applique un taux de 10%, la Lettonie et la Lituanie de 15% et la Roumanie de 16%. Suivent la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne et la Hongrie, avec des taux de 19%.

«Le taux d’imposition n’est pas le seul facteur déterminant pour la compétitivité d’une place économique, souligne toutefois Martin Eichler. Il convient d’y ajouter d’autres éléments, comme le niveau de formation de la main-d’œuvre, la stabilité économique et politique, la sécurité juridique et l’efficacité des infrastructures. Dans tous ces domaines, la Suisse est très bien placée».

Impôts sur le bénéfice des entreprises les plus bas au niveau européen:

Bulgarie 10%

Irlande 12,5%

Appenzell Rhodes-Extérieures, Obwald et Nidwald 12,66%

Schwyz 13,95%

Lettonie et Lituanie 15,0%
Uri 15,12%
Zoug 15,38%
Lucerne, Schaffhouse 15,97%
Roumanie 16%
Glaris 16,46%
Thurgovie 16,51%
Grisons 16,68%
Saint-Gall 16,88%
Argovie 18,87%
Pologne, Slovaquie, République tchèque et Hongrie 19%

Les impôts prélevés par la Confédération sont compris dans les taux cantonaux.

Source: KPMG

Solutions alternatives

Malgré ces avantages concurrentiels, le risque d’hémorragie est important. Nombreuses sont celles qui parmi les 25’000 entreprises disposant d’un régime fiscal spécial seraient tentées de partir si la Suisse devait renoncer à appliquer des taux préférentiels. Face à la pression de l’UE, Berne tente depuis des années de gagner du temps. Mais aujourd’hui, elle se retrouve dos au mur.

«La décision appartient clairement aux politiciens, mais je crois que l’UE a de bons arguments à faire valoir, relève Marius Brülhhart, professeur d’économie à l’université de Lausanne. Il ne serait pas intelligent, de notre côté, d’affirmer simplement que nous sommes souverains et que nous faisons ce que nous voulons. Nous risquerions alors d’être perdants sur toute la ligne. Le moment est au contraire propice pour réformer le système d’imposition des entreprises et le rendre eurocompatible».

Une conclusion que le Conseil fédéral semble aussi adopter. Avec le nouveau projet de réforme d’imposition des entreprises, qui sera présenté prochainement, le gouvernement entend notamment mettre fin à la distinction opérée entre les bénéfices réalisés en Suisse et à l’étranger. Les cantons sont ainsi invités à supprimer les taux préférentiels et à chercher d’autres alternatives.

Une guerre dangereuse

Des solutions se dessinent déjà. Au cours des derniers mois, trois grands cantons – Genève, Zurich et Bâle – ont évoqué la possibilité d’abaisseur leur taux d’imposition dans une fourchette comprise entre 13 et 16% pour toutes les entreprises, si ces dernières étaient contraintes de renoncer aux régimes spéciaux. De tels taux auraient pour conséquence de relancer la «course fiscale vers le bas» en Suisse. Certains petits cantons avaient déjà réduit ces dernières années leur taux d’imposition à des niveaux pratiquement irlandais.

«La pression exercée par l’UE finira par rendre la Suisse encore plus concurrentielle au niveau internationale, estime Marco Bernasconi, professeur de droit fiscal à l’université de Lucerne. Dans le même temps, nous sommes confrontés à une compétition fiscale toujours plus dangereuse entre les cantons».

Aujourd’hui déjà, dans certains cantons, les entreprises paient en un an ce qu’elles verseraient en trois ans dans d’autres cantons, souligne Marco Bernasconi. «Cette guerre fiscale risque d’avoir des conséquences très problématiques sur la situation financière de nombreux cantons», relève-t-il.

(Traduction de l’italien: Samuel Jaberg)

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