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Samih Sawiris: «Dans tous mes projets, la durabilité est très importante»

La sécurité est un élément qui a poussé Samih Sawiris à investir dans la station d'Andermatt, en Suisse centrale. © Keystone / Alexandra Wey

Samih Sawiris était récemment l’invité d’une conférence sur les Nouvelles routes de la soie à Andermatt, le village où il a investi massivement. Dans une interview à swissinfo.ch, le promoteur égyptien parle de la différence entre investir en Suisse et dans les pays en développement. Il exhorte également la Chine à construire des infrastructures qui bénéficient aux populations, pas aux politiciens.

C’est à Andermatt que la délégation suisse auprès de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE (Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe) vient d’organiser une conférence sur «Les nouvelles routes de la soie en tant que moteur des Objectifs de développement durable»Lien externe. C’était la première fois qu’une telle réunion se tenait dans un pays d’Europe occidentale et la signature par la Suisse et la Chine d’un protocole d’ententeLien externe, en avril passé, n’y est probablement pas étrangère.  

Fils du magnat égyptien de la construction Osni Sawiris, Samih Sawiris est considéré comme le «sauveur» d’Andermatt. Béatrice Devènes

Andermatt, au cœur des Alpes et au carrefour de l’Europe, pratiquement assise sur le tunnel du Gothard, était le lieu idéal pour parler d’infrastructures, qui sont le principal objet des investissements chinois dans les 126 pays qui adhèrent aux Nouvelles routes de la soie (le protocole d’entente avec la Suisse ne prévoit pas une augmentation des investissements chinois en Suisse, mais une collaboration dans les pays tiers).

Mais si le besoin d’infrastructures et le manque de financements sont largement reconnus, leur impact sur l’environnement, les populations locales, les droits humains, la corruption et l’endettement soulève beaucoup de questions.

L’hôte d’honneur de la conférence était Samih Sawiris, l’entrepreneur égyptien qui a investi massivement dans ce village de montagne – longtemps investi seulement par l’armée, qui l’a délaissé au tournant du millénaire. Il est aussi membre du comité de la Sawiris Foundation for Social DevelopmentLien externe, une fondation créée par sa famille en 2001 pour favoriser la création d’emplois et la formation professionnelle en Egypte. 

Très simple et accessible, parlant parfaitement six langues dont l’allemand, le français et l’anglais, il nous a accordé une interview sur la terrasse de son restaurant d’altitude, alors que la neige venait à peine de tomber.

swissinfo.ch: Comment vous est venue l’idée d’investir à Andermatt?

Samih Sawiris: Lorsque l’armée est partie, l’économie du village s’est effondrée. Connaissant mon expérience à El Gouna,Lien externe sur la Mer Rouge – où nous avons fait sortir des sables une ville entière avec logements, écoles et hôpitaux (elle a même remporté le Global Green Award de l’UNEP) – on m’a invité à Andermatt pour prospecter.

Honnêtement, je ne savais même pas où c’était, j’ai dû regarder sur une carte (rires). Mais je suis tombé sous le charme du lieu et j’ai vu son potentiel. J’ai commencé à construire des hôtels, des appartements, un terrain de golf et l’ai relié le domaine skiable à la station de Sedrun. Au début les gens étaient sceptiques… Ils voyaient un Arabe débarquer, ils pensaient qu’il ne reviendrait pas la semaine suivante.

Mais j’ai réussi à gagner la confiance de la population, à montrer que ce que j’avais fait à El Gouna, j’allais le faire ici aussi. Pour l’instant, nous ne gagnons pas d’argent, mais nous n’en perdons pas non plus. C’est un investissement à long terme. Nous employons environ 900 personnes, même si ce ne sont pas tous de nouveaux emplois, bien sûr.

«Là où nous allons, nous prenons un grand terrain dont personne ne veut parce qu’il n’y a rien et nous y implantons des choses qui créent de la valeur»

Dans quels autres pays investissez-vous?

En Egypte, à Oman, au Maroc, en Grande-Bretagne, au Monténégro et aux Emirats Arabes Unis. Orascom Development Holding emploie environ 11’000 personnes dans le monde. C’est toujours plus ou moins le même genre de projets: là où nous allons, nous prenons un grand terrain dont personne ne veut parce qu’il n’y a rien et nous y implantons des choses qui créent de la valeur. Ce sont des investissements à long terme, il faut 10 à 15 ans pour qu’ils soient rentables.

Est-ce différent d’investir dans les pays en développement et en Suisse?

C’est la nuit et le jour (rires)! Dans les autres pays, il y a plus de flexibilité, mais la sécurité qui règne en Suisse vous facilite la vie: vous savez toujours exactement où vous en êtes. Dans d’autres pays, si un ministre change, vous avez une nouvelle atmosphère, si le gouvernement change, vous avez de nouvelles conditions. On y respecte moins ce qui a été convenu.

D’une certaine façon, en investissant dans ces pays vous prenez plus de risques, mais vos rendements sont plus élevés et il y a plus de flexibilité. A El Gouna, j’avais besoin d’un nouveau stade pour mon équipe de football, sinon elle ne pouvait pas jouer en première ligue. Nous étions en juin, le match était en septembre, mais le stade a été terminé à temps.

Avez-vous des critères de durabilité?

Dans tous mes projets, la durabilité est très importante car elle est synonyme de continuité. Ce sont des projets sur 50 à 70 ans et pour cela je dois prendre soin de l’environnement. Si un endroit où il y a de belles plages devient pollué, plus personne ne va y aller. La durabilité exige que la ville soit habitée et si la vie n’y est pas agréable, les gens s’en vont. Ils ont besoin d’écoles, d’hôpitaux, de lieux de récréation et d’emplois.

«En investissant dans les pays en développement, vous prenez plus de risques, mais vos rendements sont plus élevés et il y a plus de flexibilité»

Que conseilleriez-vous aux pays qui accueillent des investissements chinois dans le cadre des Nouvelles routes de la soie?

Je commencerais par dire aux Chinois: n’écoutez pas les gouvernements, allez faire vos propres études sur ce dont le pays a vraiment besoin. Les projets devraient être identifiés par des professionnels, non par des politiciens, pour qu’ils profitent à la population – surtout aux pauvres – sinon les gens finiront par vous détester.

Car soyons francs: dans ces projets, c’est la Chine qui a l’idée, qui est le moteur et qui finance et elle commet une grave erreur en écoutant les politiciens. L’un voudra un grand monument, l’autre un grand pont parce qu’il y a un quartier où vit le cousin de tel ou tel. Mais cela signifie une nouvelle dette qui va frapper le pays pour quelque chose dont la population ne bénéficie pas.

Si la Chine, par exemple, fait quelque chose au Zimbabwe qui profite à un million de personnes, elle devient la meilleure amie du Zimbabwe. Mais si vous construisez une autoroute pour les riches qui ont des voitures, alors qu’ils ne représentent que 1% de la population, les gens ne seront pas contents parce qu’ils peuvent imaginer des centaines d’autres priorités.

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