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Jackie Kennedy, l’envers du décor

Lors d’une répétition, une scène du spectacle. Un monologue surprenant. Tout est réel dans ce récit. Tout est imaginaire aussi. Christian Lutz

A la Comédie de Genève, la Suissesse Maya Bösch crée «Drames de princesses» d’Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature, 2004. Un récit en cinq tableaux, dont un consacré à celle qui fut la plus élégante Première Dame des Etats-Unis.

Le cinéma et les médias ne ratent jamais une occasion pour recadrer la mort de John Fitzgerald Kennedy, transcendée par cette scène mille fois vue : une limousine décapotable qui file dans Dallas, le bruit d’une balle qui siffle, puis d’une deuxième, et la tête du Président qui bascule, retenue par les bras de sa femme.

«Vous savez, plus tard il y a eu ces images de moi sortant de la voiture par l’arrière (…). Je n’ai même pas été capable d’atteindre le morceau de crâne sur le coffre de la voiture», raconte Jackie. La Jackie que réinvente l’auteure autrichienne Elfriede Jelinek dans «Drames de Princesses». Un récit composé de cinq tableaux, dont un consacré à celle qui était alors la Première Dame des Etats-Unis. Une icône. Et des images pour l’éternité. Mais des images déviées de leur axe politique.

Marilyn, Bobby, Ted et les autres

Il faut avoir du génie pour songer à déplacer le regard sur l’assassinat le plus spectaculaire et le plus médiatisée du XXe siècle. C’est ce que fait Jelinek dans ce récit que met en scène Maya Bösch à la Comédie de Genève. La victime ici ce n’est plus JFK mais sa femme, otage de ses fans, captive de la presse, prisonnière d’un clan, les Kennedy, et de son amour pour John, star dépossédée d’elle-même, obligée de ressembler aux rêves que projettent sur elle la société et à la silhouette que dessinent pour elle les magazines de mode.

Jackie ou l’envers du décor. Le décor de ce jour-là, le jour de l’assassinat, c’est le tailleur rose porté avec une élégance exemplaire par Jackie. Un habit au symbole théâtral, comme dans une tragédie grecque. «Mon tailleur Chanel rose pour refuge et bien-être de la mort», fait dire à Jackie l’auteure autrichienne.

Les grands couturiers feront de cette tenue leur mascotte, les magazines people la glisseront sur leurs pages verglacées, toutes les « princesses » du monde l’imiteront.

Bibis, fourreaux et manteaux

Pour la Jackie de Jelinek, ce tailleur est néanmoins un vêtement «coulé dans le béton». Un carcan que l’héroïne brise au fil d’un monologue surprenant où elle se confie avec une clairvoyance étonnante. Tout y passe : Marilyn, «pot de peinture», « rocher de craie », Bobby et Ted, Arabella et Patrick, les enfants morts-nés, et bien sûr le Président, ses infidélités, ses maladies sexuelles, son enterrement, le salut militaire du petit John… Tout est réel dans ce récit. Tout est imaginaire aussi.

Entrée fracassante dans le vestiaire de Jackie où bibis, fourreaux, vestes, manteaux, pantalons et robes deviennent l’écriture d’une vie que l’on croit cousue de fil doré alors qu’elle est tissée de drames. «On a presque plus parlé de mes vêtements que de moi. Et ça, ça veut dire quelque chose !», dit Jackie.

Ça veut dire quoi ? Question posée à la metteuse en scène Maya Bösch, qui répond : «ça veut dire que Jackie, la femme, disparaît dans les plis de ses habits. Un enterrement. D’où son désir de casser les coutures pour revenir à la vie».

Maya Bösch avoue avoir conçu son spectacle comme un «revival». «Il y a chez Jackie une grande crainte de la mort, dit-elle. Cette femme est obsédée par l’idée de se réincarner».

Une grande respiration

Ce qu’il lui faut donc c’est un grand souffle. «Non, une grande respiration corrige Maya Bösch qui fait jouer le rôle de Jackie par cinq comédiennes, dont une chanteuse. Vous comprenez, la voix, c’est l’essentiel, confie la metteuse en scène. Donner la voix à celle qui estime n’en avoir pas eu». Un travail choral qui multiplie la parole et lui associe le chant.

Couche après couche, les sensations enfouies se déploient sur le plateau, comme ces vêtements que les comédiennes n’arrêtent pas de mettre et d’enlever. Texture d’une vie. Ecriture aussi. «C’était mon écriture, mes vêtements», lâche Jackie. C’était son drame à elle, un drame de princesse, comme tant d’autres. C’est d’ailleurs à Lady Di qu’Elfriede Jelinek a dédié son récit écrit en 2000.

Et même si Diana n’est pas dans ce récit, son ombre s’y profile. Comme Jackie, elle aurait pu dire : «Rien ni personne n’a le droit de me toucher si je ne le veux pas. Seul le destin ne s’y est pas tenu».

Naissance en 1973 à Zurich.

Elle se distingue sur la scène artistique par le caractère explorateur et novateur de ses spectacles.

Dans le cadre des études de mise en scène qu’elle suit à l’Université de Bryn Mawr de Philadelphie, elle se concentre sur le Political Theater

Pendant 3 ans, elle travaille avec différents metteurs en scène au Castillo Theater à New-York, au CIFAS à Bruxelles, puis à Berlin, Vienne et Genève.

En 2000, elle fonde Sturmfrei, compagnie indépendante au sein de laquelle elle explore les textes contemporains.

Parmi les spectacles qu’elle a montés, citons «geneva.lounging», «hunger !/Richard III», «Lui pas comme lui», «Souterrainblues»

Depuis 2006, elle codirige avec Michèle Pralong le Théâtre du Grütli à Genève.

«Drames de princesses», d’Elfriede Jelineck. Mise en scène Maya Bösch. Comédie de Genève, du 7 au 12 décembre.

Avec Véronique Alain, Susann Vogel, Dorothea Schürch, Christine Vouilloz, Lucie Zelger.

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