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Jean-Luc Godard, génie sacré et sacré tempérament

Jean-Luc Godard...un halo de fumée caractéristique, ici en 2002. Keystone

Au cinéaste vaudois, l’historien français Antoine de Baecque consacre une imposante biographie, parue chez Grasset. Où l’on (re)découvre la marginalité, l’intelligence lumineuse et la vie en ruptures du colossal Godard.

Une clarté et une fluidité remarquables. Neuf cents pages lues d’une traite comme on lit un grand roman d’amour, avec des rencontres exaltantes, des chutes de tension, des coups de sang, des rebondissements, des moments d’espoir, de souffrance, de bonheur… Tous ingrédients qui font les passions fortes. De passion, il sera d’ailleurs beaucoup question dans «Godard, biographie», imposant ouvrage signé Antoine de Baecque.

Un portrait douloureux et joyeux

De Baecque est passionné de Jean-Luc Godard. A cette biographie copieusement documentée, il a consacré trois années, riches de lectures critiques, de rencontres avec ceux qui ont connu le cinéaste, d’une consultation frénétique des archives. Il a revu les 140 films que Godard a produits en 60 ans.

Il s’est surtout souvenu que le réalisateur vaudois est impitoyable, qu’il critiqua sévèrement les deux biographies que lui ont déjà consacrées deux auteurs anglophones, Colin Mc-Cabe (2003) et Richard Brody (2008). De Baecque se demande, aujourd’hui, si lui aussi ne subira pas tôt ou tard la foudre godardienne.

En attendant, il aura dressé le portrait aussi douloureux que joyeux, aussi tendre que brutal, aussi précis que fuyant, d’un homme passionné du septième art, Godard dont les traits se brouillent sous le nuage blanc exhalé par son cigare.

Un halo de fumée

L’image frappe d’entrée. En première de couverture, le cinéaste apparaît dans un halo de fumée. Il est cet être au visage insaisissable que l’on retrouve plus loin, au fil des pages. «Sujet biographique redoutable», écrit Antoine de Baecque à propos du réalisateur qu’il essaie d’observer à travers sa marginalité, aussi bien dévastatrice que constructive. A travers également les multiples ruptures qui ont jalonné la vie artistique et sentimentale de l’artiste vaudois.

Cent fois voué aux gémonies ou à la mort, cent fois ressuscité ! Des détracteurs il en a eu plein, des accidents aussi. Mais Godard et son cinéma renaissent toujours de leurs cendres.

Adolescent, il est déjà «le mouton noir» d’une famille très bourgeoise qui voit dans la cinéphilie de Jean-Luc «une déchéance bohème», un obstacle aux «voies tracées par les ambitions parentales». Le jeune homme ne sera pas un scientifique, au grand dam de son père médecin.

Aux études, il préfère les ciné-clubs du Quartier latin. A 17 ans, il est à Paris, au lycée Buffon où il est censé passer son bac, qu’il rate.

L’ire du maître

De toute façon, l’échec scolaire n’a jamais empêché le succès à l’âge adulte. Que de jeunes cancres reconnus plus tard comme des génies ! Godard: génie sacré et sacré tempérament. L’un ne va pas sans l’autre, semble dire Antoine de Baecque.

Nul n’échappe à l’ire du maître. Ce qui ne l’empêche pas de tout faire passer par son intelligence. Rares sont les cinéastes qui ont autant bousculé les grands acteurs, mais qui les ont en même temps recréés -ou recyclés, pourrait-on dire. Car si Godard humilie Yves Montand et Jane Fonda sur le tournage de «Tout va bien», il donne à Brigitte Bardot une dimension de star dans «Le Mépris».

La bimbo des années 60 trouve sous la direction du Suisse un autre visage. Le réalisateur «la considère (…) comme un fragment célèbre dans le grand corps du cinéma (…) la faisant jouer constamment sur un mode minimaliste et hiératique».

Son rapport aux femmes

Se réinventer. C’est un art que Godard pratique avec aisance, aussi bien dans ses amours que dans son travail. On le croit mort à la suite d’un accident de moto en 1971. Plusieurs mois d’hôpital et autant de temps perdu pour le cinéma, qu’il récupère avec l’aide de la réalisatrice suisse Anne-Marie Miéville. Elle est sa nouvelle compagne.

Son rapport aux femmes renaît alors sous un jour paisible, moins voilé par les disputes qui ont miné sa relation avec ses deux ex-épouses Anna Karina et Anne Wiazemsky.

«Sauve qui peut (la vie)», dit l’un de ses films sorti en 1979. Beau titre, et clin d’œil narquois à la propre existence du cinéaste, laquelle a beaucoup influencé son œuvre. «C’est la deuxième fois que j’ai le sentiment d’avoir ma vie devant moi, ma deuxième vie dans le cinéma… ou plutôt la troisième», confie Godard, en 1980, au Nouvel Observateur.

Sa quatrième vie

Il poursuit: «La première, c’est quand je n’en faisais pas, je tournais autour (…); la deuxième, c’est à partir de «A bout de souffle», jusqu’aux années 1968-70, et puis il y a eu le reflux ou le flux, je ne sais comment il faut dire; et la troisième c’est maintenant».

Avec «A bout de souffle» (1959), c’est le sacre d’un nouveau style appelé la «Nouvelle vague», dont Godard sera le chef de file. Mais dix ans plus tard, il est au creux de la vague. Son inspiration s’essouffle, son engagement politique, très marqué à gauche, lui fait perdre une part de sa crédibilité.

Qu’à cela ne tienne, il rebondira avec «Prénom Carmen» (1982), et «Je vous salue Marie» (1983), entre autres. Des films cultes. C’est sa troisième vie, comme il dit.

A la fin de cette année, Godard aura 80 ans. Au prochain festival de Cannes il présentera «Socialisme», son dernier film, à l’en croire. Ce sera peut-être sa quatrième vie.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

1930. Naissance à Paris.

Son père, Paul Godard, est médecin, sa mère, Odile Monod, est issue de la grande bourgeoisie protestante française.

Sorbonne. Après une scolarité à Nyon (Vaud), puis à Paris au lycée Buffon, il s’inscrit à la Sorbonne, en anthropologie.

A Paris, il noue des relations avec François Truffaut, Eric Rohmer, Claude Chabrol… et entre comme chroniqueur aux « Cahiers du cinéma ».

Souffle. En 1959 sort son premier long métrage « A bout de souffle » qui lui vaut un succès public et critique.

Un courant est né, La Nouvelle Vague, dont il devient le chef de file. Avec «Le Mépris», «Alphaville », «Pierrot le fou », entre autres, il acquiert une notoriété internationale.

Coeur. Une bonne partie de son œuvre s’inspire de sa vie sentimentale.

Les Anna. En 1961, il épouse l’actrice Anna Karina, divorce et se remarie avec Anne Wiazemsky.

Rolle. Il vit aujourd’hui à Rolle (Vaud) avec sa compagne Anne-Marie Miéville.

Historien et critique de cinéma, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma entre 1997 et 1999.

Il est l’auteur d’un grand nombre de livres consacrés au septième art, parmi lesquels une biographie de François Truffaut, coécrite avec Serge Toubiana (Gallimard, 1996).

«Godard, biographie », d’Antoine de Baecque. Editions Grasset, Paris, 935 pages.

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