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Jean-Luc Godard de A à Z

Godard se plaît à se voir en Antonin Artaud, poète suicidaire. Il dit avoir voulu se battre contre une camisole de force imposée par un hôpital psychiatrique. Keystone

Publié aux éditons Stock, «Jean-Luc Godard. Dictionnaire des passions» dresse un portrait du cinéaste suisse, charpenté par les lettres de l’alphabet. Signé Jean-Luc Douin, cet ouvrage propose, au fil de 250 entrées, un parcours original dans la vie du citoyen rollois.

Le lecteur nous permettra ici un souvenir personnel. C’était dans les années 90, un soir à Vidy-Lausanne. On y jouait «Le Misanthrope» de Molière, un spectacle lumineux signé Jacques Lassalle.

Parmi les spectateurs, Jean-Luc Godard et sa compagne Anne-Marie Miéville. On s’étonne: le cinéaste se montre très rarement dans les lieux publics. On s’étonne encore plus aujourd’hui quand on lit, sous la plume de Jean-Luc Douin, que Godard lança un jour à un metteur en scène: «Je ne vais jamais au théâtre, les acteurs crient trop».

Remarque qui traduit les contradictions du cinéaste suisse, un peu comme ce «Dictionnaire des passions» porte en lui les incertitudes, les hésitations, les atermoiements, les lubies, les élans amoureux, les détestations inexpliquées, l’amabilité subite, l’agressivité gratuite et même la mauvaise foi du célèbre Rollois.

Bref, tout ce qui fait la marque d’un homme gêné aux entournures par son génie, que Jean-Luc Douin, auteur de ce «Dictionnaire», tente de cerner au fil de 250 entrées.

 

Les vêtements, le sexe, la Suisse, la France…

Car ce qui se dégage avant tout de ce livre, c’est un portrait. Un portrait charpenté par les lettres de l’alphabet. Chacune d’elles introduit le cinéaste sous un angle différent: les films, la littérature, le sexe, les vêtements, la Suisse, la France, le sport, la mort…

Aucune logique, néanmoins, ne sous-tend l’ensemble. Ou plutôt, si logique il y a, elle est subjective. Jean-Luc Douin agit ici comme le réalisateur suisse dans ses films, faisant fi des codes traditionnels de narration. L’écrivain commence souvent ses entrées par un fait anecdotique, puis il extrapole, liant le fait à l’art de Godard, suggérant aussi des rapprochements métaphoriques entre l’homme de Rolle et le rôle du cinéaste.

L’intérêt de ce «Dictionnaire» se trouve donc dans la démarche de son auteur, amusante, tissée de «passions», comme il est indiqué dans le titre.

Une question lancinante toutefois, que l’on s’est posée durant notre lecture: ce livre n’est-il pas finalement un livre de plus sur Godard? Oui et non.

Oui, parce qu’on a le sentiment de parcourir pour la nième fois la vie du réalisateur, ses relations difficiles, d’abord avec lui-même (son attrait pour le suicide), ensuite avec sa famille, ses acteurs, les femmes qu’il a aimées, l’argent, les Palestiniens, les Juifs… Autant de sujets abordés très récemment par Antoine de Baecque (pour ne citer que lui) dans «Godard, biographie», excellent ouvrage paru au printemps dernier chez Grasset.

 

Une spontanéité qui frise la folie

Non, parce qu’il y a quelque chose de spontané dans ce «Dictionnaire» qui laisse entrevoir la personnalité d’un homme tout aussi spontané. Un homme qui dans sa spontanéité frise la folie. Godard se plaît à se voir en Antonin Artaud, poète suicidaire. Il dit avoir voulu se battre contre une camisole de force imposée par un hôpital psychiatrique.

Le comprendre est difficile pour son proche entourage, ses collaborateurs ou ses confrères. Jean-Luc Douin rapporte, à cet effet, un tas d’anecdotes. Pour Brigitte Bardot, Godard est un «type bizarre». «Je l’aime bien mais il est bizarre», lâche la star pendant le tournage du «Mépris». Woody Allen, quant à lui, le compare à Groucho Marx dans «Soupe au canard», «quand Groucho est censé être un grand génie et que personne n’ose le contredire».

On n’est pas toujours tendre avec lui. Et pourquoi le serait-on avec cet homme qui ne se ménage pas et va jusqu’à s’attribuer le rôle d’un cinéaste hébété dans son film «Soigne ta droite»?

Si son excentricité horripile les uns, elle séduit les autres. Agnès Varda est touchée par ce lunatique timide. A propos de Godard, elle raconte: «Un jour il est venu dîner avec une bouteille de vin dans chaque main. Je lui ai présenté maman, il a lâché la bouteille de sa main droite pour lui serrer la main».

Une histoire à dormir debout et pourtant vraie. Vraie comme toutes les contradictions de cet Helvète hors normes qui admire Freddy Buache, loue les mérites de Gamma, société de production lausannoise, hante, tout jeune, les cinémas de Montreux mais avoue qu’il lui était impossible de «s’inscrire dans le cinéma suisse».

Car même si ce pays compte de grands romanciers et artistes, il n’est pas «une terre d’asile, ce n’est que de l’hôtellerie (…). Un pays sans images».

Cinéaste suisse, né à Paris en 1930.

Son père, Paul Godard, est médecin, sa mère, Odile Monod, est issue de la grande bourgeoisie protestante française.

Après une scolarité à Nyon (Vaud), puis à Paris au lycée Buffon, il s’inscrit à la Sorbonne, en anthropologie.

A Paris, il noue des relations avec François Truffaut, Eric Rohmer, Claude Chabrol… et entre comme chroniqueur aux «Cahiers du cinéma».

En 1959 sort son premier long métrage «A bout de souffle» qui lui vaut un succès public et critique.

Un courant est né, La Nouvelle Vague, dont il devient le chef de file.

Avec «Le Mépris», «Alphaville», «Pierrot le fou», entre autres, il acquiert une notoriété internationale.

Une bonne partie de son œuvre s’inspire de sa vie sentimentale.

En 1961, il épouse l’actrice Anna Karina, divorce et se remarie avec Anne Wiazemsky.

Il vit aujourd’hui à Rolle (Vaud) avec sa compagne Anne-Marie Miéville.

Ecrivain et journaliste français.

Il est critique de cinéma au quotidien LeMonde.

Il a publié en 2007 son premier roman «Le premier sommeil», paru chez Stock.

Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma.

«Jean-Luc Godard. Dictionnaire des passions» de Jean-Luc Douin, Editions Stock, Paris, 445 pages.

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