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Julien Mages de la scène

Mario Del Curto

Etoile montante du théâtre romand, l'auteur et comédien suisse crée à Vidy-Lausanne sa dernière pièce «Les Perdus». Portrait d'un jeune homme de 32 ans qui a trouvé sa voie.

Un entretien d’une heure à bâtons rompus. On s’apprête donc à prendre congé de Julien Mages quand le jeune homme au physique pasolinien redresse d’une main leste ses cheveux noirs et pose subitement sur vous ses yeux d’ébène, interrogateurs: pensez-vous que le succès de mes pièces est trop rapide?

On sourit. Faut-il jouer méchamment les cyniques ou calmer l’inquiétude de cet auteur de 32 ans, à peine né à l’écriture et déjà joué sur les scènes institutionnelles romandes? On se contentera de cette remarque: vos pièces ont de l’étoffe.

Lui: «Ça veut dire quoi?».

On répond: «Ça veut dire qu’elles secouent». Difficile, en effet, de rester indifférent à l’univers théâtral de Julien Mages et à la thématique qui, persistante, traverse ses textes: la fêlure psychique. Des blessures intimes pansées par l’humour.

Du triptyque «Division» aux «Perdus»

Il y eut donc en 2007-2008, un triptyque : «Cadre division», «Division familiale» et «Division III». Julien Mages en avait rédigé et monté le premier volet à la Haute Ecole de Théâtre de Suisse romande (HETSR) où il fit ses études de comédien. La suite s’est imposée avec le temps.

Julien Mages pense que le temps nous échappe, qu’il nous mène là où ne voulions pas forcément aller. «Le temps et son voyage immobile qui contrarie les espoirs», écrit-il dans sa nouvelle pièce, «Les Perdus», à l’affiche du Théâtre de Vidy-Lausanne. La phrase pourrait figurer en exergue de tous les textes de l’auteur, à la fois doux et bruts, traversés par un même souci: dire que nous sommes bernés par nous-mêmes.

Ses «Perdus» n’ont rien à voir avec les laissés-pour-compte de l’actuelle crise économique. Selon lui, depuis que le monde est monde, l’homme vit en décalage par rapport à la réalité. Une manière d’échapper à son propre sort. C’est le lot du commun des mortels. Et Julien Mages est logé à la même enseigne. Lui aussi a voulu se soustraire à une destinée dictée, quant à elle, par un choix paternel.

La route vers le théâtre

«Je fus un adolescent turbulent, glisse-t-il, mon père a voulu m’envoyer en Angleterre dans une école très stricte. C’est là que je lui ai dit que je souhaitais faire du théâtre».

Belle esquive qui commence par la création d’une compagnie amateur en Valais, où Mages et ses camarades jouent des farces. Le jeune Julien est encore amateur. L’art dramatique prendra chez lui une tournure plus officielle lorsque quelque temps plus tard il entre au Conservatoire de Lausanne, puis rejoint la HETSR. Un parcours inattendu dans une famille plutôt bourgeoise, avec un père médecin, chef de clinique, et une mère infirmière.

Mais les vocations ne sont pas forcément héréditaires. Même à portée de main, le corps médical ne l’intéressait pas. D’ailleurs, il n’y a pas que lui dans la famille qui soit passionné d’art. Un frère pianiste, un autre violoncelliste, composent une «tribu» sortie tôt des sentiers battus.

Le père y est pour quelque chose. Il aurait peut-être souhaité pour son fils un parcours plus classique. N’empêche que c’est lui qui lui a donné le goût de la musique (il jouait du piano), du cinéma, de la scène… C’est avec lui que Julien découvre Louis Jouvet, Michel Simon et bien d’autres comédiens qui le mettront sur la voie théâtrale.

Plus tard, sont venus les grands auteurs, Hugo, Dostoïevski, et aujourd’hui les écorchés vifs de la scène contemporaine, l’Anglaise Sarah Kane, le Suédois Jon Fosse. De ces deux derniers, Mages se dit très proche. On le croit. Il y a quelque chose de nihiliste dans ses pièces, une touche désarmante pour un jeune homme de 32 ans. Lui, ne trouve pas cela désespérant. Il confie: «Ma génération est celle qui vit l’adolescence de l’humanité. Pas étonnant donc qu’elle soit aux prises avec ses démons intérieurs».

Plus tard quand l’humanité aura atteint l’âge adulte, elle se calmera… peut-être! Lui, Julien Mages, fera-t-il encore du théâtre à ce moment-là? Oui, peut-être. Mais alors il écrira autre chose. Quelque chose de moins douloureux, lui suggère-t-on. «Mais, dit-il, j’aime la vie, que croyez-vous ?! »

Ghania Adamo, swissinfo.ch

«Les Perdus», texte et mise en scène de Julien Mages.

Avec Frank Arnaudon, Marika Dreistadt, Anaïs Lesoil, Roman Palacio, David Pion.

A voir au Théâtre de Vidy-Lausanne, jusqu’au 9 octobre.

1977. Auteur dramatique, comédien et metteur en scène suisse, né en 1977 à Wolhusen dans le canton de Lucerne. Père, médecin, chef de clinique. Mère infirmière.

Valais. Très tôt, il s’intéresse au théâtre et crée dans le Valais une compagnie amateur avec laquelle il joue des sketches populaires et des farces.

SPAD. De 1998 à 1999, il suit les cours du Conservatoire d’art dramatique de Lausanne (SPAD)

HETSR. En 2003, il entre à la Haute Ecole de Théâtre de Suisse romande (HETSR) pour y parfaire sa formation de comédien.

Division. En même temps que ses études, il pratique l’écriture et monte, dans le cadre de l’Ecole, «Cadre division», premier volet d’une trilogie sur une famille et ses tourments, montée sur les scènes de l’Arsenic (Lausanne), en 2007, et du Poche (Genève), en 2008.

Autres pièces. A son actif, d’autres pièces moins connues, comme «Passant», «Variation sur le prodigue» et «Sombre cour».

Comédien. Comme comédien, il a joué sous la direction de Jean-Yves Ruf, Anne-Laure Liégeois et Omar Porras, entre autres.

Lausanne. Il vit à Lausanne.

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