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Karl Bodmer redécouvert aux Etats-Unis

Karl Bodmer: Abdih-Hiddisch, chef des Minatarre. DR

Les Américains, Amérindiens inclus, redécouvrent Karl Bodmer, le peintre suisse qui dressa le premier grand témoignage iconographique sur les Indiens. Bodmer n’a passé que deux ans dans les grandes plaines d’Amérique du Nord, mais il a laissé un trésor d’images qui fait l’objet d’un regain d’intérêt aux Etats-Unis.

Le témoignage iconographique de Karl Bodmer est lié à l’expédition qu’il fit avec le Prince Maximilien de Wied, entre 1832 et 1834.

«Maximilien était en avance sur son temps, très ouvert à la culture indienne, et ça se voit dans les images de Bodmer qui n’idéalisent pas les Indiens, mais les dépeignent avec une approche quasi scientifique», indique Luke Gasser, auteur d’un documentaire récent intitulé «Le Voyage de Bodmer».

L’œuvre de Bodmer a longtemps été connue des experts du Western art aux Etats-Unis: historiens, conservateurs, collectionneurs et certains artistes, indiens ou blancs.

La plupart des dessins et aquarelles que le Zurichois fit des Indiens, des paysages et des animaux des grandes plaines, soit plus de 430 œuvres sur papier, sont en effet abritées par le musée Joslyn, à Omaha. Les autres originaux, une quarantaine d’œuvres, sont à la Bibliothèque Newberry de Chicago et dans une ou deux collections privées.

Du musée à l’écran

«Ceux qui aiment le Western art ont toujours apprécié Bodmer, mais au cours de ma carrière, je me suis aperçu que beaucoup de gens n’en avaient jamais entendu parler et n’avaient jamais vu ses œuvres», explique David Hunt, la grande autorité sur Bodmer, à swissinfo.ch. Avant de prendre sa retraite du musée Joslyn, ce conservateur a monté à Omaha plusieurs expositions sur le peintre suisse et une exposition itinérante qui, en 1985, commença à faire connaître ses images à San Francisco, New York et Washington.

Aujourd’hui, Bodmer bénéficie d’un regain d’intérêt. Le film de Luke Gasser a été primé aux festivals de New York et Los Angeles et sera présenté au festival du film environnemental de Washington en mars. Par ailleurs, les presses universitaires d’Oklahoma s’apprêtent à publier la première traduction anglaise de l’intégrale du récit de voyage de Maximilien illustré par Bodmer.

«L’intérêt se fonde en partie sur l’histoire de l’aventure de Bodmer le long du Missouri, sur le fait que lui et Maximilien furent les premiers à produire un documentaire en texte et en images de leur voyage et des peuples rencontrés, alors que les explorateurs Lewis et Clark n’avaient pas pris d’artiste avec eux sur ce même trajet en 1803-1805», souligne David Hunt. «L’intérêt est d’autre part alimenté par la qualité intrinsèque et la beauté des dessins et aquarelles de Bodmer qui sont pleins de fraîcheur et d’originalité», poursuit-il.

Selon Emil Her Many Horses, conservateur au National Museum of Indian American et artiste lui-même au sein de la tribu des Oglalas, l’originalité de Bodmer réside dans une absence de préjugé.

Artistique et ethnographique

«Les œuvres de Bodmer sont phénoménales parce qu’il rend compte des Indiens tels qu’ils les voyaient, avec beaucoup de précision», déclare Emil Her Many Horses, qui a participé le 19 janvier à une projection du documentaire de Luke Gasser et un débat à l’ambassade de Suisse.

En cela, Bodmer se distingue du peintre des Indiens le plus célèbre, l’Américain George Catlin. «Catlin n’avait pas la formation picturale de Bodmer et son style est naïf, tandis qu’il y a de l’hyper-réalisme chez Bodmer dont le superbe travail est aussi parfait sur le plan ethnographique», indique Alan Gutchess, directeur du musée de Fort Pitt. «Si quelqu’un proposait de m’offrir un Catlin ou un Bodmer, je choisirais le Bodmer», ajoute-t-il.

La précision des portraits d’Indiens de Bodmer est telle que ses images sont une source d’information importante sur des peuples dont les coutumes allaient bientôt subir l’assaut frontal des envahisseurs européens, mais qui se montraient créatifs dans l’adoption d’autres cultures.

«Quand je regarde une peinture de Bodmer, je vois notamment les techniques et motifs utilisés par nos ancêtres, je vois aussi qu’ils n’étaient pas isolés mais qu’ils avaient déjà incorporé dans leur habillement des éléments extérieurs, par exemple des perles en verre vénitien, des boutons en cuivre ou des morceaux d’uniformes militaires américains», explique Emil Her Many Horses.

Pour Robert Holden, directeur adjoint du Congrès National des Indiens d’Amérique (National Congress of American Indians), la plus ancienne et plus importante organisation  représentative de la communauté, le travail de Bodmer «a contribué à un dialogue qui continue aujourd’hui».

«J’avais déjà vu certaines de ses peintures mais je ne connaissais pas le nom de Bodmer ni le contexte de son voyage», constate M. Holden, qui s’est joint à l’évènement du 19 janvier à l’ambassade de Suisse.

«Dans les images de Bodmer, je vois les Indiens dans la splendeur de leurs plus beaux atours, leur symbolisme culturel, ce qu’ils portaient et ce que cela signifiait», souligne le directeur adjoint du Congrès National des Indiens d’Amérique.

«L’effet est assez spectaculaire, quand on voit quelqu’un qui pose pour le peintre et qui se sent fier», confie cet Indien Choctaw et Chickasaw.

Zurich. Naît à Zurich en 1809

Voyage. En 1832 et 1833, participe en tant qu’illustrateur à l’expédition du Prince Maximilien de Wied en Amérique du Nord.

Œuvre. Dessine et peint les paysages, la faune et les Indiens rencontrés dans une région recouvrant les Etats actuels du Nebraska, Dakota du Sud, Dakota du Nord, Montana et Wyoming

France. De retour en Europe, il s’installe en France où il meurt en 1893

Omaha & Chicago. Les institutions les plus riches en œuvres de Bodmer sont le Joslyn d’Omaha, suivi de la Bibliothèque Newberry de Chicago

Livre. Les presses universitaires d’Oklahoma publieront d’ici 2012 la première traduction en anglais de l’intégrale du récit de voyage du Prince Maximilien avec les illustrations de Bodmer.

Film. Primé l’an dernier aux festivals de New York et Los Angeles, le documentaire sur Bodmer du Suisse Luke Gasser sera présenté au Festival du Cinéma Environnemental de Washington en mars 2011.

Musée. Le Musée National des Indiens d’Amérique de Zurich a célébré le bicentenaire de Bodmer en lui consacrant une exposition.

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