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Kosovo: la revanche de Carla del Ponte

Carla del Ponte se dit 'choquée et profondément affligée'. Keystone

Le Conseil de l’Europe vient de révéler que le Premier ministre du Kosovo Hashim Thaci aurait été le chef d’un réseau mafieux de trafic d’organes. Dans une interview exclusive à swissinfo.ch, Carla Del Ponte, l’ancienne procureure du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) dit sa satisfaction et son émotion.

Révélé mardi, un rapport préliminaire du Conseil de l’Europe montre qu’à la fin de la guerre du Kosovo, dès 1999, l’Armée de libération du Kosovo (UCK) disposait de prisons secrètes où des prisonniers serbes et kosovars étaient détenus dans des conditions inhumaines.

Selon ce document rédigé par le sénateur suisse Dick Marty, l’actuel Premier ministre du Kosovo Hashim Thaci aurait été dès la fin des années 1990, le chef d’une organisation mafieuse. Et serait impliqué dans un trafic d’organes, des meurtres et d’autres crimes.

La première à avoir attiré l’attention sur ces délits est Carla Del Ponte, ancienne procureure générale du TPIY et actuelle ambassadeur de Suisse en Argentine. Dans son livre, La traque: les criminels de guerre et moi, elle citait déjà des témoignages qui dénonçaient le supposé prélèvement d’organes sur 300 prisonniers serbes déportés depuis le Kosovo vers le nord de l’Albanie.

swissinfo.ch a pu rencontrer Carla Del Ponte dans l’après-midi de mercredi. Celle-ci attend que justice soit rendue, entre sentiment d’inquiétude et de satisfaction.

 L’histoire d’un trafic dévoilé en 2008

 

«Au cours du printemps 2008, j’ai attiré l’attention sur des rapports crédibles que le bureau du TPIY avait reçu à propos d’enlèvements et de disparitions de personnes au Kosovo en 1999. Ces rapports mettaient également en avant des indications selon lesquelles des victimes de ces enlèvements auraient été tuées pour l’obtention et le trafic d’organes», déclare-t-elle.

«Ces déclarations publiées dans mon livre, La traque, les criminels de guerre et moi, ont par la suite été étayées par des preuves physiques crédibles et vérifiables. Elles ont été obtenues sur le territoire de la République d’Albanie au cours d’une mission des enquêteurs du TPIY et de la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK), en présence d’un procureur de la République d’Albanie», raconte Carla Del Ponte.

A l’époque, l’ancienne responsable du TPIY avait inclus ces déclarations dans son livre, afin qu’il y ait un suivi sérieux de cette affaire et, si ces dénonciations le méritaient, l’ouverture d’une enquête criminelle. «Cette enquête n’aurait pas pu être menée par le TPIY, car il n’en avait pas le pouvoir, mais par la MINUK et les autorités kosovares et albanaises.»

La première enquête crédible

 

«C’est les accusations portées dans mon livre qui ont conduit à l’enquête du Conseil de l’Europe, dont le rapport, sous forme de projet, a été publié mardi sur le site Internet de l’organisation», ajoute-t-elle.

L’ancienne procureure a remercié le Conseil de l’Europe de s’être chargé de l’enquête, malgré les déclarations des anciens membres de l’équipe du TPIY: «L’enquête du Conseil de l’Europe a été la seule crédible jamais réalisée par quelque organisme compétent, local ou international, dans cette affaire», souligne-t-elle.

Choc et bouleversement

«Je suis choquée et profondément affligée par les découvertes présentées dans ce rapport et par les révélations autour de cette «cueillette d’organes» – c’est-à-dire autour de l’assassinat intentionnel de prisonniers avec pour objectif de prélever et de vendre des organes pour de l’argent – réalisée par des membres de haut rang de l’UCK, y compris des personnalités du gouvernement actuel.»

Sans pouvoir sortir de son émotion, l’ambassadeur s’est dit «bouleversée» par les découvertes du rapport qui affirme que les éléments recueillis durant la mission du TPIY en Albanie, ainsi que d’autres preuves, ont été négligemment détruits sans l’accord du bureau du TPIY, à l’époque où elle en était la responsable.

Que justice soit faite

 

«Les autorités du Kosovo, le gouvernement et la justice de la République d’Albanie n’ont fait aucune enquête sur les déclarations recueillies dans mon livre et viennent de rejeter les graves accusations contenues dans le rapport du Conseil de l’Europe.

«C’est pour cette raison que j’implore l’Union européenne, les Etats-Unis, les Nations Unies et tous les pays impliqués à fournir tout l’appui politique et le matériel nécessaire pour réaliser une enquête criminelle sur ces accusations et pour traduire en justice toutes les personnes suspectées d’avoir participé à ces crimes», souligne-t-elle.

«Plus encore, je les implore à redoubler d’efforts pour développer et mettre en œuvre les moyens nécessaires pour l’application de la loi et l’éradication du trafic illégal d’organes, tout spécialement sur des individus non consentants», ajoute Carla Del Ponte.

Cette dernière affirme qu’il est évident que le monde doit bénéficier d’un meilleur système pour fournir des organes aux malades qui en ont besoin pour vivre. «L’immoralité du trafic d’organes, ainsi que la réticence des gens à croire que des criminels sont capables d’assassiner des innocents pour leur prélever leurs organes et les vendre montre, peut-être, la réticence de la presse et de la justice à révéler ces affaires et la réticence des autorités à faire avancer la justice».

«Espérons que les accusations du Conseil de l’Europe se transforment en un cri pour que la communauté internationale fasse ce qui est nécessaire pour résoudre ce problème», conclut-elle.

Tessin. Carla Del Ponte est née en 1947 à Bignasco, dans le Val Maggia, au Tessin.

Droit. Elle étudie le droit, et le droit international aux universités de Berne et de Genève, puis en Grande-Bretagne.

Procureur cantonal. En 1981, elle est nommée procureure du canton du Tessin. Elle dirige plusieurs dossiers d’instruction brûlants, dont celui dit de la Pizza Connection et des enquêtes sur le crime organisé.

 

Ministère public. De 1994 à 1999, elle dirige le Ministère public de la Confédération.

TPIY. Elle est nommée procureure générale du TPIY (Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie) en 1999 par le secrétaire général de l’ONU de l’époque, Kofi Annan.

Goût d’inachevé. Après huit ans d’exercice, Carla de Ponte quitte la Haye en décembre 2007, sans avoir jugé Mladic et Karazic, à son grand regret.

Buenos Aires. Le Département fédéral des Affaires (DFAE) étrangères la nomme ambassadrice et lui remet les clés de l’Ambassade de Suisse à Buenos Aires, en Argentine. Ce mandat devrait arriver à échéance en février 2011.

Livre. En juin 2008, elle signe un ouvrage intitulé: La traque: les criminels de guerre et moi. Certains passages de ce livre sur les années de Carla del Ponte à la tête du TPIY créent la polémique.

Rapports tendus. Le DFAE interdit les présentations prévues en Italie et en Suisse. Ce qui a pour effet d’envenimer les rapports de la Tessinoise avec son employeur.

Après la Seconde Guerre mondiale, la province du Kosovo a bénéficié d’un statut d’autonomie. Ce statut a été ancré en 1974 dans la Constitution de la Fédération yougoslave.

En 1989, le président serbe Slobodan Milosevic annule le statut d’autonomie et envoie l’armée au Kosovo pour faire cesser les protestations.

En 1998, des dizaines de milliers de Kosovars abandonnent leur maison suite à une offensive menée par Belgrade contre l’Armée de libération du Kosovo (UCK).

En 1999, l’OTAN lance une série de bombardements aériens contre la Serbie pour mettre fin au conflit entre les forces serbes et les indépendantistes albanophones. Après deux mois et demi de bombardements, 50’000 soldats de l’OTAN sont stationnés au Kosovo. La province est placée sous l’administration des Nations Unies.

En 2007, le leader séparatiste Hashim Thaci remporte les élections parlementaires et annonce que l’indépendance du Kosovo sera prochainement proclamée.

Le 17 février 2008 le parlement du Kosovo proclame l’indépendance. La Suisse la reconnaît dix jours plus tard.

Traduction de l’espagnol: Olivier Pauchard

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