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L’«urbanisme horloger» sort de sa boîte

Keystone

Dans le Jura neuchâtelois, La Chaux-de-Fonds et Le Locle sont candidates conjointes pour une inscription au Patrimoine mondial de l'Unesco. Un «urbanisme horloger» qui a fait portes ouvertes ce samedi. Mais qu'entend-on exactement par ce concept?

A moins de huit moins de la décision de l’Unesco, quelques repères pour mieux comprendre.

Urbanisme horloger: de quoi parle-t-on?

Le terme est né dans les Montagnes neuchâteloises, après moult réflexions. Il exprime un peu gauchement l’objet de la candidature, selon la prescription de l’Unesco. Pas de cathédrale ou de château ici, mais deux villes du 19e siècle, modelées par une industrie. Baignant dedans.

«250 ans d’industrie horlogère ont construit et façonné les deux villes», souligne Jean-Daniel Jeanneret, architecte du patrimoine de La Chaux-de-Fonds.

A l’œil, rien de grandiloquent. Plutôt une empreinte omniprésente dans l’architecture et l’urbanisme. Une omniprésence qui se cache souvent dans le détail insignifiant a priori. Du bandeau de fenêtre sur une maison du 19e à l’usine typique, construite à la fin du siècle.

La Chaux-de-Fonds, par exemple, est largement bâtie sur un plan en damier (dessiné par un certain Junod et abandonné vers 1920). Pourquoi ce damier? Pour la lumière, liée à la qualité de la production des montres. Et pour les échanges entres producteurs. Il fallait garantir des rues suffisamment larges et praticables toute l’année dans une région aux hivers enneigés.

L’empreinte horlogère se retrouve aussi dans les appartements du 19e, de haut standing, pour une aristocratie ouvrière. Difficilement remplaçables, les ouvriers horlogers ont su ou pu faire entendre leurs doléances auprès des patrons.

A-t-on affaire à un cas particulier?

Ces deux villes le sont par le «jusqu’auboutisme» de leur intégration industrielle au 19e. A l’époque, la segmentation sociale devient la règle. Ici, la zone de production, là, des quartiers attenants d’ouvriers, plus loin, les demeures du patron et des cadres. A La Chaux-de-Fonds et au Locle par contre, l’imbrication est totale.

La Chaux-de-Fonds ne forme qu’une grande manufacture horlogère, a d’ailleurs pu écrire Karl Marx dans «Le Capital». Une immense usine qui accueille toutes les phases de la vie. Précision: la construction de la ville ne résulte pas d’une utopie mais doit plutôt au pragmatisme local.

Autre singularité: du 19e à aujourd’hui, le fil rouge demeure. La région vit toujours au rythme de la production horlogère. Une industrie du geste qui reste tributaire de la minutie et de la lumière. Un témoignage vivant pour l’histoire. Et ces deux villes s’étant développées surtout en périphérie, elles ont largement pu conserver ce patrimoine d’époque.

Comment s’est constitué ce patrimoine?

Pour commencer, l’horlogerie n’a pas besoin d’une infrastructure lourde comme la sidérurgie ou la chimie. Et la proto-horlogerie se développe dans les ateliers intégrés aux appartements, avant, plus tard, de les occuper entièrement parfois.

Dès 1830, des bâtiments d’habitation intègrent, au rez-de-chaussée ou au dernier étage, un atelier prévu dès la construction, avec des bandeaux de fenêtre pour la lumière.

Dix ou vingt ans plus tard, certains ateliers viennent se greffer aux immeubles et vers 1880, les premières usines apparaissent, toujours plus indépendantes des habitations. La suite? Des modifications de mode constructive et architecturale. Entre 1800 et 1900, La Chaux-de-Fonds est passée de 3000 à 40’000 habitants.

«Il est étonnant, aujourd’hui encore, de voir une partie de la production horlogère se faire dans des ateliers ou des appartements, constate Jean-Daniel Jeanneret. Le mode de production n’a pas coupé avec son histoire, il n’a fait qu’évoluer.»

Une inscription par l’Unesco: est-ce bien sérieux?

La probabilité de voir La Chaux-de-Fonds/Le Locle inscrits au patrimoine mondial de l’humanité est importante. La demande est présentée par la Confédération suisse et cet ensemble remplirait une niche dans la liste de l’Unesco.

Actuellement, le patrimoine du 19e siècle (industriel et urbain, qui plus est) est encore nettement sous-représenté dans cette liste. Contrairement aux vieilles villes médiévales, par exemple. La décision interviendra en principe fin juin 2009 à Paris.

Qu’attendre d’une inscription par l’Unesco?

Le dossier de candidature doit faire la preuve que les villes ont un fort intérêt patrimonial intrinsèque. Il est aussi censé montrer que les outils de gestion de ce patrimoine, sur les plans administratif, légal, financier, technique, politique, sont à même de garantir la conservation, l’intégrité et l’authenticité du lieu.

La législation évoluera, «mais il n’est pas question de mettre La Chaux-de-Fonds ou Le Locle sous cloche ou d’en faire de grands musées», assure Jean-Daniel Jeanneret.

Cette inscription serait «la cerise sur le gâteau» d’une prise de conscience régionale. «Il y a trente ans, on pensait tout raser. Aujourd’hui, on y voit un gage de développement pour l’avenir», constate l’architecte.

Cette «cerise» aurait évidemment des effets bénéfiques en termes d’image et de marketing urbain pour les deux villes. Elle rapporterait quelques touristes supplémentaires.

«Actuellement, leur nombre est assez faible et le restera par rapport à Genève, Lucerne ou Zermatt, même s’il double ou triple», estime Jean-Daniel Jeanneret. Les deux villes y voient plutôt une chance de développer la fierté de leurs habitants, car «il faut aimer son patrimoine pour le conserver».

Pour Jean-Daniel Jeanneret, un «oui» de l’Unesco résonnerait aussi comme «l’affirmation claire et universelle» que les Montagnes neuchâteloises sont le berceau de l’industrie horlogère et qu’elles sont aujourd’hui encore «le cœur battant de l’horlogerie suisse».

En clair, «nous souhaiterions que, grâce à cette inscription, les marques osent s’identifier plus clairement à leur lieu réel de production.»

swissinfo, Pierre-François Besson

Inspirée des Journées européennes du patrimoine, la 2e Journée du patrimoine horloger a eu lieu le 8 novembre au Locle et à La Chaux-de-Fonds.

Cet effort de sensibilisation du public met en branle toute la région, avec visites guidées du patrimoine horloger immobilier, d’ateliers horlogers, de musées et de manufactures, projections de films et conférences.

Sises à environ 1000 m d’altitude et presque contigües, La Chaux-de-Fonds et Le Locle comptent respectivement 37’400 et 10’400 habitants.

L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) encourage l’identification, la protection et la préservation du patrimoine culturel et naturel à travers le monde considéré comme ayant une valeur exceptionnelle pour l’humanité.

A ce titre, elle a adopté en 1972 une Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, ratifiée à ce jour par 185 Etats, dont la Suisse (en 1975).

La liste du patrimoine mondial comprend actuellement 878 sites, soit 679 biens culturels, 166 biens naturels et 25 sites mêlant les deux aspects. Ils se répartissent entre 145 pays, parmi lesquels l’Italie est le mieux représenté.

La Suisse est candidate pour un siège au Comité du patrimoine mondial. Douze sièges sur 21 seront repourvus en octobre 2009 à Paris, lors de l’Assemblée générale des 185 Etats membres.

Avec sa candidature, Berne veut officiellement promouvoir une meilleure répartition géographique des sites sélectionnés.

Couvent bénédictin Saint-Jean-des Sœurs à Müstair

Couvent de Saint-Gall

Vieille ville de Berne

Trois châteaux, murailles et remparts de Bellinzone

Jungfrau-Aletsch (Alpes)

Monte San Giorgio

Lavaux, vignoble en terrasses

Chemin de fer Rhétique (Albula, Bernina)

Sardona, haut lieu tectonique

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