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L’Afrique, prochain continent à abolir la peine de mort

Manifestation à Londres contre un projet de loi qui ferait de l’homosexualité en Ouganda un crime puni de la peine de mort. Keystone

Alors que le 4e Congrès mondial contre la peine de mort vient de s'achever à Genève, tous les espoirs se tournent aujourd'hui vers l'Afrique, où les arguments du mouvement abolitionniste rencontrent un écho sans précédent. En premier lieu auprès des décideurs politiques.

Après le Togo et le Burundi en 2009, le Bénin sera le prochain Etat africain à abolir la peine de mort, très certainement avant juin 2010.

Et ensuite? Probablement la République Démocratique du Congo (RDC), plus grand pays d’Afrique par sa superficie, et donc potentiel symbole fort pour le mouvement abolitionniste. «Une vraie contamination positive, qui a émergé il y a une dizaine d’années», selon Arnaud Gaillard, coordonnateur au sein du collectif «Ensemble contre la peine de mort» (ECPM).

La question reste relative

Héritage du colonialisme, dont sont inspirés la plupart des codes pénaux des pays subsahariens, la peine de mort est encore largement plébiscitée par les populations. La question de son abolition s’avère donc relative.

Si 15 Etats sur 48 pays d’Afrique subsaharienne ont aboli la peine capitale en droit, et que 17 sont considérés comme abolitionnistes de fait car ils n’ont appliqué aucune exécution légale depuis 10 ans, beaucoup de pays sont toujours en situation de moratoire. Certes, des consultations nationales, visant un moratoire comme étape préliminaire à l’abolition, se mettent en place au Kenya, en Ouganda, au Mali et au Nigeria, mais ce dernier par exemple, condamne toujours les homosexuels à mort.

«L’abolition de la peine capitale dans la Constitution, au cœur du droit interne, demeure une nécessité» affirme Maître Mabassa Fall, représentant de la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) auprès de la Commission africaine.

Pour réprimer l’opposition

«Le maintien de la peine de mort est une épée de Damoclès pour tous les défenseurs des droits humains en Afrique, et un moyen d’oppression contre tous les partis d’opposition, ajoute Maître Fall. Un outil d’autant plus efficace pour contrôler les populations que la faiblesse des droits de la défense est une généralité avérée dans les pays subsahariens.»

Chaque année en effet, des condamnations à mort sont rendues contre des membres de l’opposition au Tchad, au Zimbabwe et en RDC.

Il n’empêche: avec deux tiers de pays abolitionnistes, en droit ou en pratique, le mouvement est bien en marche à travers le continent. Si l’Afrique, pour Maître Fall, n’a jamais été «la championne des exécutions capitales», les raisons d’un tel engouement sont aussi disparates qu’il existe de pays, de cultures et de chemin démocratique différents.

Courage politique

«Une seule chose est sûre: si vous attendez que l’opinion publique soit complètement mûre, l’abolition de la peine de mort n’arrivera jamais», affirmait récemment Robert Badinter, artisan de l’abolition en France, soulignant, «avant tout, la nécessité d’un courage politique fort».

La majorité des abolitions en Afrique subsaharienne résultent de la volonté des présidents des Etats, comme ce fut le cas pour le Togo, d’abord influencés par les pressions internationales et le souci de se conformer aux exigences notamment des Nations Unies. Et de normaliser, au passage, des relations parfois difficiles avec les partenaires et bailleurs occidentaux.

Argument recevable pour l’ensemble des acteurs du mouvement abolitionniste réunis lors de tables rondes au Congrès mondial de Genève, pour qui l’abolition de la peine de mort se situe aux confins de tous les opportunismes.

ONG et justice internationale

En ce sens, une société civile de plus en plus réceptive, et en particulier des ONG africaines de défense des Droits de l’homme qui ont inscrit la lutte contre la peine de mort dans leurs projets depuis une dizaine d’années, tout cela opère un travail de terrain capital pour changer les mentalités et faire basculer les opinions publiques.

Si leur influence sur la propagation ou la solidification des abolitions à travers le continent demeure encore mesurée, elle a été déterminante au Burundi, et se révèle de plus en plus importante en Ouganda, en RDC, au Ghana et en Côte d’Ivoire.

De même qu’au Rwanda, où le processus a également bénéficié de l’appui de la justice internationale. Pour permettre le transfert des génocidaires rwandais reconnus coupables de crimes contre l’Humanité par le tribunal d’Arusha en Tanzanie, il a fallu modifier la Constitution du Rwanda. La justice transitionnelle ayant permis d’évacuer le sentiment de vengeance des populations, l’abolition de la peine capitale a été entérinée.

Ainsi, l’influence de la justice internationale, en particulier de la Cour Pénale Internationale qui intervient pour les crimes les plus graves dans quatre pays d’Afrique, devrait apporter une contribution significative au mouvement abolitionniste.

Sandra Fontaine, InfoSud / swissinfo.ch

32 Etats sur 48 en Afrique subsaharienne sont abolitionnistes en droit ou de facto.

Soudan, Somalie, Tchad et Zimbabwe forment le quatuor de tête des Etats d’Afrique subsaharienne qui exécutent en masse.

Le Soudan et la Somalie appliquent la peine de mort pour les mineurs. La Mauritanie, le Soudan et le Nigéria condamnent à mort les homosexuels.

En Ouganda, 529 prisonniers sont actuellement dans le couloir de la mort, dont 6 femmes. Le dernier condamné à mort a été exécuté en 1999, après 28 ans de procédure.

Le Protocole 2 du Pacte des droits civils et politiques des Nations-Unies est le seul traité international qui condamne la peine de mort.

Le Mozambique, la Namibie, les Seychelles, Djibouti et l’Afrique du Sud l’ont déjà ratifié. Une campagne visant sa ratification est en cours au Burundi, en Côte d’Ivoire et à l’Ile Maurice.

Le protocole jouit d’une force morale contraignante au niveau international. Mais aucune sanction concrète n’est prévue pour un contrevenant.

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