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L’Afrique doit innover bio pour nourrir ses enfants

L'agriculture biologique est en pleine croissance, en Afrique aussi. Samuel Rodriguez/Flickr

Afin de tenir le choc de la croissance démographique, l’Afrique doit tripler sa production agricole d’ici 2050. Pour de nombreux scientifiques, la révolution verte africaine ne peut être que bio. Reportage au Kenya autour d’une technique agricole soutenue par la fondation Biovision.

Le jour se lève à peine sur le lac Victoria. Quelques pirogues bariolées rentrent au petit port de Kisumu, au sud-ouest du Kenya. La pêche, une fois de plus, aura été bien maigre.

«Il y a dix ans, nous attrapions jusqu’à 200 kg de poisson par nuit. Mais aujourd’hui, c’est à peine si nous en capturons 20 kg», se désole Kennedy Omondi, le pêcheur du coin, s’affairant autour des cageots où quelques rares tilapias et autres poissons-chats s’ébattent en tirant leur dernier soupir.

Certes, en avril, à la saison des pluies, le lac est toujours moins poissonneux. Mais des facteurs peu naturels rendent cette diminution de la faune plus inquiétante: la pollution de la ville toute proche, la surpêche par la petite communauté locale, la compétition avec les oiseaux, due au déséquilibre de l’écosystème et… la rivalité avec un autre prédateur, plus inattendu: la perche du Nil.

La perche du Nil, une menace

Ce poisson, introduit artificiellement dans le lac dans les années 60 et destiné presque exclusivement à l’exportation, peut atteindre des dimensions impressionnantes et peser jusqu’à 250 kg. Comme il se nourrit de poissons plus petits, beaucoup d’espèces ont définitivement disparu, ce qui menace la survie de la population et à la biodiversité du deuxième lac le plus grand de la planète.

«La perche du Nil est achetée et exportée par une compagnie indienne, explique Kennedy. Les Indiens nous exploitent, ils sous-paient les pêcheurs qu’ils emploient. Alors, nous nous sommes organisés en coopérative pour leur vendre, à un meilleur prix, les perches de plus de 1 kg. Les plus petites et les autres variétés de poisson sont destinées à la consommation locale. Mais la pêche ne suffit plus à nous nourrir et nous sommes obligés de nous tourner vers d’autres sources de revenu»

Parmi celles-ci, l’agriculture occupe une place croissante, quoique encore marginale. Si l’agriculture conventionnelle tient encore la part du lion, le bio est en pleine expansion «et de plus en plus de paysans adoptent la technique ‘push-pull’», se réjouit Francis O Nyange, un agronome du Centre international de recherche en physiologie et écologie des insectes (ICIPE) à Mbita, quelques kilomètres plus loin.

La grand-mère d’Obama

Si le documentaire Le cauchemar de Darwin a alerté le monde sur les dangers que la perche du Nil fait courir au lac Victoria, le potentiel révolutionnaire du «push-pull» reste largement méconnu en-dehors du Kenya et de l’Afrique de l’Est.

Pourtant, pour les scientifiques africains qui l’ont mise au point et la fondation suisse Biovision, qui les soutient, cette technique agricole du «pousser – tirer» peut résoudre les problèmes alimentaires de tout le continent. «La méthode est pratiquée même par la grand’mère de Barack Obama, qui vit à Kogelo, un village non loin d’ici», nous assure O Nyange.

Son inventeur, c’est Zeyaur Khan, un scientifique indien qui planche depuis dix-sept ans sur un véritable casse-tête: comment l’Afrique pourra-t-elle se nourrir d’ici 2050? En passant de un à deux milliards d’habitants, elle doit tripler sa production agricole. Mais le réchauffement climatique raréfie les surfaces cultivables et les produits chimiques – engrais, fertilisants et pesticides – épuisent des sols déjà peu fertiles. Sans compter que les paysans, dont 99%, au Kenya, possèdent de minuscules lopins de terre allant de ¼ d’hectare à 2 hectares, n’ont pas les moyens de les acheter, ni les gouvernements de les subventionner.

Tripler la production

«Mais j’ai trouvé la solution pour tripler la production agricole sans pesticides, ni OGM, assure le professeur, lors d’une visite de l’ICIPE organisée par le réseau Media 21: le’push-pull’.»

La méthode est tellement simple qu’elle paraît presque enfantine. Encore fallait-il y penser et, surtout, trouver les deux plantes «miracle» capables de combattre les parasites et les mauvaises herbes. Car les foreurs de tige et la striga – plus connue comme herbe des sorcières – sont les deux principaux problèmes du maïs et du blé en Afrique, entraînant une perte de revenu de 1,2 milliards de dollars par an pour le maïs seulement. Au Kenya, celui-ci constitue la base de l’alimentation et il sert à préparer le ugali, une pâte blanche qui accompagne tous les plats.

Agnès Mbuvi pratique la technique du push-pull depuis 2002. Cette veuve de 45 ans possède un petit champ sur lequel elle affirme produire 540 kg de maïs – contre 45 kg avant le push-pull – deux fois par an. Depuis, sa vie a changé: elle arrive même à vendre le surplus et a pu inscrire deux de ses trois enfants à l’université.

Isolda Agazzi, de retour du Kenya, swissinfo.ch

Effet combiné. C’est par le desmodium, une plante originaire d’Amérique du Sud, et l’herbe à éléphant, que les parasites et les mauvaises herbes sont neutralisés, grâce à un effet combiné d’attraction – répulsion, appelé précisément «push-pull».

Alterner. Pour cela, il faut alterner un rang de maïs et un de desmodium et entourer les champs avec de l’herbe à éléphant. Le desmodium contrôle l’herbe des sorcières et repousse («push») les foreurs vers l’extérieur du champ, où ils sont attirés («pull») par le parfum des feuilles collantes de l’herbe à éléphant. Ils meurent sur le coup.

Production. Selon le professeur Khan, pour que les paysans ne quittent pas leurs champs, il faut que l’agriculture rapporte au moins 2 dollars par jour. Le système du «push-pull», adopté par 20’000 paysans au Kenya occidental, leur permet de gagner entre 3,2 et 4 dollars. Et l’application de cette technique peut augmenter la production de maïs, sorgho et mil – les trois principales denrées alimentaires du continent – de 1 à 3,5 tonnes par hectare.

Biovision. La fondation suisse Biovision a été créée par l’agronome suisse Hans Rudolf Herren, lauréat du prix mondial de l’alimentation en 1995 et co-président de l’IAASTD, un rapport rédigé par 400 scientifiques en 2008, qui prône une nouvelle révolution verte, basée sur l’agriculture bio et la petite paysannerie.

Ce reportage a été réalisé grâce au soutien du réseau Media 21 et du Centre romand pour la formation des journalistes (CRFJ).

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