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L’appel de l’industrie de l’armement au gouvernement

Une foire de l'armement à Karachi, en 2008. Le Pakistan est un client important de la Suisse. AFP

Il y a bientôt une année, les Suisses rejetaient, par 68,2% de non, l’initiative populaire «pour l’interdiction d’exporter du matériel de guerre». Cette victoire n’a pas empêché l’industrie de l’armement de vivre une année 2010 très difficile jusqu’ici, avec un chiffre d’affaires en net recul.

Selon le conseiller aux Etats Bruno Frick et la conseillère nationale Sylvie Perrinjaquet, les raisons sont à rechercher dans l’ordonnance sur le matériel de guerre entrée en vigueur en décembre 2008. La loi a imposé des restrictions plus sévères à l’industrie suisse de l’armement, désormais isolée en Europe, écrivent les deux parlementaires dans deux interventions au contenu identique.

«Les dispositions draconiennes ont déjà eu des conséquences négatives sur des autorisations d’exportation, notamment pour le Pakistan, l’Arabie Saoudite et l’Egypte», écrit Sylvie Perrinjaquet.

Selon l’article 5, alinéa 2, de la nouvelle ordonnance, les exportations ne sont pas autorisées si le pays visé est impliqué dans un conflit armé ou si un pays viole systématiquement ou gravement les droits humains.

De même, l’autorisation n’est pas accordée en cas de risque élevé de voir les armes exportées utilisées contre la population civile ou si le risque existe qu’elles parviennent aux mains de récipiendaires non souhaités.

«Désavantage comparatif considérable»

«Cela constitue pour l’industrie suisse un désavantage comparatif considérable», écrivent les deux parlementaires. Ils demandent au Conseil fédéral d’agir.

Le gouvernement suisse est chargé d’analyser «dans quelle mesure la législation et la pratique d’autorisation suisses sont plus restrictives que celles auxquelles est soumise la concurrence internationale et comment il est possible de supprimer cette discrimination de l’industrie suisse de la sécurité et des techniques de défense».
Au premier semestre 2010, l’industrie d’exportation d’armes suisse a perdu 12% de son chiffre d’affaires à 292 millions de francs. L’année dernière, elle avait enregistré un record en engrangeant un chiffre d’affaires de 728 millions, après une progression de 55% en 2008.

Groupe de lobbying

Le Cercle de travail sécurité et techniques de défense (cstd), présidé par Bruno Frick et Sylvie Perrinjaquet, s’engage pour que «la politique suisse de sécurité assure les ressources requises aussi bien en matériel, qu’en personnel et en technologie pour sa mise en application», indique-t-il sur son site internet.

Ce groupe plaide aussi «en faveur de conditions-cadres légales propres à permettre la survie de l’industrie suisse de la défense que celle-ci relève du domaine public ou du domaine privé.»

Selon la lettre d’information du «cstd», l’arrêt des exportations d’armes vers l’Egypte, l’Arabie saoudite et le Pakistan, décidé par le Conseil fédéral en mars 2009, a déjà coûté des commandes de plusieurs millions de francs au bénéfice de la concurrence étrangère. Les partisans de cette industrie estiment que l’ordonnance est pénalisante.

Promesses du gouvernement

Lors de la campagne de votation sur l’initiative, la conseillère fédérale Doris Leuthard, ministre de l’Economie, avait argumenté contre le texte réclamant une interdiction du matériel de guerre en rappelant que la Suisse connaissait déjà une pratique restrictive. De plus, ajoutait-elle, «notre pays est dépositaire des Conventions de Genève».

La ministre, actuelle présidente de la Confédération, avait aussi annoncé que la «Suisse s’en tiendrait à des dispositions restrictives» et examinerait avec soin toute demande d’exportation. C’est ce qu’elle avait promis après le rejet de l’initiative.

Dans sa réponse aux deux postulats, le ton du gouvernement a changé. Le Conseil fédéral «constate des différences dans la pratique en matière d’octroi des autorisations» et «est disposé à examiner les demandes» des interventions parlementaires.

Bruno Frick insiste toutefois sur le fait que la Suisse «ne livrera des armes que pour la défense des pays importateurs, qui doivent respecter les droits de l’homme. La Suisse contribue à la sécurité et à l’autoprotection de ces pays».

De plus, ajoute le démocrate-chrétien, les violations des droits de l’homme sont aussi «affaire d’interprétation, de gravité et de fréquence. La Suisse aussi est régulièrement épinglée par la Cour européenne de Strasbourg.»

«Complètement irresponsable»

Auteur de l’initiative pour l’interdiction de l’exportation de matériel de guerre, le Groupement pour une Suisse sans armée (GSSA) est indigné par la politique actuelle. «Comme la discussion est retombée, on veut à nouveau tout permettre à l’industrie d’armement, même l’exportation dans les pays où des violations des droits de l’homme sont commises», dénonce Tom Cassee, du GSSA.

Pourtant, ajoute-t-il, la Suisse est déjà en tête du classement européen en ce qui concerne les exportations d’armes par habitant, surtout vers le Pakistan, principal pays importateur de produits suisses dans ce domaine en 2008.

Au premier semestre 2010, le Pakistan figurait encore au 8e rang, suite à des livraisons de munitions et de pièces de remplacement pour des systèmes de défense aérienne, qui sont exclus de l’interdiction d’exporter édictée en 2009.

Pour Tom Cassee, le Conseil fédéral a tourné le dos à ses promesses. Il est contredit par Simon Plüss, responsable de ce dossier auprès du Secrétariat d’Etat à l’économie (seco). «Les exportations ont toujours été accordées précautionneusement vers le Pakistan», déclare-t-il.

Il est prématuré de tirer des conclusions de la réponse du Conseil fédéral, précise encore le Seco. Qui estime que le moment est bien choisi pour analyser la situation deux ans après l’entrée en vigueur de l’ordonnance révisée, il est adéquat d’analyser la situation.

Au cours du premier semestre 2010, la Suisse a exporté moins d’armes qu’au cours du premier semestre 2009. Selon les statistiques de l’Administration fédérale des douanes, au premier semestre 2010, l’industrie d’exportation d’armes suisse a perdu 12% de son chiffre d’affaires à 292 millions de francs.

Au premier semestre 2010, le plus grand acheteur d’armes suisses a été l’Allemagne, pour un montant de 67,2 millions de francs. Au 2e rang vient l’Arabie saoudite (31,8 mio) et le Royaume-Uni (29,3 mio).

Suivent les Etats-Unis (14,6 mio) et le Pakistan (plus de 13 mio), principalement pour les munitions de canons anti-aériens.

Au cours des 25 dernières années, le volume des exportations de matériel de guerre s’est échelonné entre 141 et 728 millions de francs environ par an. C’est au cours des deux dernières années que des sommets ont été atteints avec respectivement de 722.000 et 727.000 millions de francs.

En termes de volume total, les exportations d’armes suisses sont modestes. En 2009, le matériel de guerre représentait le 0,39% de l’ensemble des marchandises helvétiques exportées.

Traduction de l’allemand: Ariane Gigon

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