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L’Art brut, au corps et à l’esprit

Enthousiaste, Lucienne Peiry à la découverte de nouveaux horizons. swissinfo.ch

Lausanne a le privilège d'être depuis 26 ans le siège de la «Collection de l'Art Brut», un musée qui s'est constitué à partir de la collection de Jean Dubuffet. Après Michel Thévoz, c'est la journaliste Lucienne Peiry qui devient la gardienne du temple.

Radieuse. Enthousiaste. Lucienne Peiry a les yeux qui brillent en parcourant son nouveau domaine, la Collection de l’Art Brut à Lausanne. «C’est vrai, il y a longtemps que l’Art brut me travaille, au corps et à l’esprit. L’Art Brut, cela m’émeut tout autant que cela m’interroge. Il y a une déflagration qui se fait, dans le cœur et dans la tête.»

Journaliste, notamment à la Radio Suisse Romande, Lucienne Peiry a mené à terme ses études de Lettres par le biais d’une thèse consacrée à l’art brut. Et c’est Michel Thévoz qui, en 1996, fait d’elle un docteur en Histoire de l’art. A noter que sa thèse sera publiée quelques temps plus tard par Flammarion, et qu’une traduction en anglais paraît ces jours.

Rébellion et émotion

Le terme «Art brut» a été inventé par le peintre, sculpteur et écrivain français Jean Dubuffet, dont la collection représente aujourd’hui encore le corps du musée lausannois. L’Art brut? «C’est un art qui est réalisé par des personnes qui ne savent pas qu’elles sont en train d’opérer dans le champ de la création artistique. Autodidactes, elles se lancent dans la création en toute liberté, en ayant en quelque sorte des ailes: ces gens, puisqu’ils n’ont rien appris, inventent tout, que ce soit le sujet, la technique, le mode de représentation. Le moyen d’expression, de manière générale, est complètement nouveau, totalement réinventé» explique Lucienne Peiry.

Le champ de prédilection de l’art brut a longtemps été les asiles psychiatriques. Le fait d’être momentanément coupé du monde évite-t-il réellement tout conditionnement culturel, toute imprégnation? «Non. Mais de par son isolement, l’individu n’est pas familier de la Culture avec un grand C, ou de l’Art avec un grand A. Et sa culture se limite souvent à celle des manuels scolaires, ou des magazines.»

Pour Michel Thévoz comme pour Lucienne Peiry, l’art brut est une forme de rébellion. Mais pour qu’un individu se rebelle, ne faut-il pas qu’il ait conscience de sa propre révolte? «Il ne faut pas prendre ces gens pour de simples et doux naïfs. Ils se rendent compte qu’ils n’ont pas eu le droit à la parole, qu’on les a mis à l’écart, que parfois on les a méprisés, bâillonnés. Par l’expression artistique, ils inventent alors un univers qui leur est propre, et duquel ils ne peuvent être exclus.»

Et Lucienne Peiry d’ajouter: «C’est sans doute la raison pour laquelle l’Art brut est chargé d’une force émotionnelle extrêmement importante… On ne sort pas indemne de ce musée».

D’autres lieux, mais toujours «le secret, le silence et la solitude»

Les asiles psychiatriques ont changé. Les traitements thérapeutiques calment heureusement les souffrances des patients, et des ateliers divers leur «donnent rendez-vous» avec la création. Mais l’intensité de la création spontanée disparaît alors. C’est donc ailleurs que l’art brut se débusque désormais.

Auprès des personnes âgées par exemple: «Dans notre société, elles n’ont plus le droit à la parole. Elles n’ont plus le même rôle qu’avant, des personnes détenant la sagesse, auxquelles on se réfère. Elles sont mises à l’écart, et on ne leur demande plus rien. Certaines se lancent alors dans la création artistique. Elles retrouvent alors cet élan artistique originel que chaque enfant de deux ou trois ans possède, cet élan que nous avons tous eu et que nous avons laissé tarir.»

Les terrains de recherche de Lucienne Peiry promettent d’être multiples car, dit-elle, «notre société est loin d’être quitte de la marginalité». Rescapés de guerre ou de génocides, exilés, personnes en rupture de ban, à contre-courant, SDF, sans-papiers… «Ceux qui n’ont pas droit au chapitre et qui ressentent un profond besoin de s’exprimer ne manquent pas. Mais il est difficile de les découvrir: l’auteur d’art brut crée pour lui, dans le secret, le silence et la solitude».

La première exposition mise sur pied par Lucienne Peiry, dès le 13 octobre, sera consacrée aux œuvres de Judith Scott. Une femme trisomique, sourde et muette. Difficile de mieux illustrer son propos.

Bernard Léchot

A consulter: «L’Art Brut» de Lucienne Peiry, Editions Flammarion, 320 pages.

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