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L’euro à 1,40 franc: séduisant, mais dangereux

L'industrie suisse d'exportation souffre de la force du franc face à l'euro. Keystone

Le franc fort menace 40’000 emplois en Suisse, selon le ministre des Finances. L’économie d’exportation et les syndicats exigent que la Banque nationale augmente son taux plancher de 1,20 à 1,40 franc. Mais certains experts mettent en garde contre cette idée.

Crise de la dette, gigantesques plans de sauvetage, danger de récession: les défis pour les gouvernements, qu’ils soient européens, asiatiques ou américains, sont énormes. «Nous allons au-devant de temps difficiles», a récemment affirmé le ministre suisse des Finances Johann Schneider-Ammann devant un parterre d’entrepreneurs.

A ces sombres perspectives s’ajoute pour la Suisse un autre défi: celui d’une monnaie surévaluée par rapport à l’euro. L’an prochain, près de 40’000 places de travail pourraient disparaître en Suisse, craint Johann Schneider-Ammann. Le secrétariat d’Etat à l’économie compte avec une augmentation substantielle du taux de chômage, qui devrait bondir de 2,9 à 3,7%.

Pour stopper la hausse du franc suisse face à l’euro, la Banque nationale suisse (BNS) a décidé début septembre de sortir l’artillerie lourde et de fixer un taux plancher de 1,20 franc suisse pour un euro. Le directoire de la banque centrale et son président Philipp Hildebrand ont récolté des louanges de tous bords pour cette décision courageuse. Depuis, l’euro oscille juste au-dessus de cette limite.

La BNS, maîtresse du franc

Ce succès peut étonner le profane, mais pas l’expert: «La BNS peut tenir n’importe quel taux de change souhaité, car elle peut théoriquement émettre de la monnaie en quantité illimitée», explique Manuel Ammann, directeur de l’institut bancaire et financier de l’université de Saint-Gall.

Une banque centrale peut techniquement affaiblir sa monnaie en tous temps. Elle doit pour cela injecter davantage de monnaie nationale sur le marché et acheter des devises étrangères pour un montant équivalent, rappelle Manuel Ammann.

«La BNS est maîtresse du franc et peut théoriquement injecter autant de francs qu’elle le souhaite sur le marché», confirme Daniel Lampart, économiste en chef de l’Union syndicale suisse (USS). «Aucun spéculateur ne peut rivaliser avec elle, et l’effet est dissuasif», complète-t-il.  

«Un sérieux soulagement»

Après l’intervention de la BNS, des voix se sont élevées pour demander un relèvement des objectifs de taux de change. La commission de l’économie du Conseil national (Chambre basse) souhaite un taux plancher de 1 euro pour 1,30 franc, l’économie d’exportation veut aller jusqu’à 1,40 franc. C’est cette dernière valeur qu’exigent également les syndicats.

Fin 2009, le taux de 1,50 franc pour un euro a atteint un niveau historiquement équitable par rapport au partenaire allemand. «A 1,40, le franc serait toujours surévalué, affirme Daniel Lampart. Mais ce cours apporterait un sérieux soulagement à l’économie suisse».

Manuel Ammann met toutefois en garde contre un tel relèvement des objectifs du taux plancher. Des «risques robustes» seraient ainsi liés, comme l’inflation importée et l’abandon d’un instrument pour mener une politique monétaire indépendante.

La Suisse liée à la BCE?

Le devoir de la BNS est de garantir les prix mais aussi de soutenir la conjoncture, répond Daniel Lampart. C’est pour cette raison que la BNS doit se battre contre une surévaluation du franc. Théoriquement, la BNS pourrait fixer un taux plancher à 1,60 franc si elle le souhaitait, affirme Manuel Ammann. «Mais plus on fixe le taux de change à un niveau élevé, plus la probabilité est grande que l’issue ne soit pas indolore pour la BNS».

Un attachement permanent à l’euro livrerait la Suisse pieds et poings liés aux décisions de la Banque centrale européenne (BCE). Si cette dernière – comme demandé par certains – utilisait la machine à billets pour effacer une partie des créances européennes, la Suisse serait de fait associée à l’inflation résultant du remboursement des dettes, estime Manuel Ammann.

A contrario, le prix à payer pour le renoncement à un taux plancher serait également élevé. Il résulterait en «pertes immenses de devises», qui pourrait mener la Banque nationale à la faillite. «La BNS devrait probablement être recapitalisée avec des dizaines de milliards de francs», dixit Manuel Ammann.   

Pas que des gagnants

Aussi longtemps que le franc suisse n’est pas sous-évalué, un tel danger n’existe pas, martèle Daniel Lampart. Quant aux risques d’inflation, le syndicaliste a de la peine à les déceler. «Au contraire, puisque le franc est encore fortement surévalué, il y a une pression vers le bas sur les prix».

Manuel Ammann souligne que personne – la BNS y compris – ne connaît le taux de change «juste et correct». Ce qui semble aujourd’hui sous-évalué pourrait être considéré comme surévalué dans quelques années. Une supposée «juste» valeur à atteindre relève toujours du risque. Les mesures de la BNS ne sont donc pas gratuites et ne font pas que des gagnants, comme cela est apparu de manière trompeuse dans les discours publics des derniers temps, soutient Manuel Ammann.

«Un affaiblissement de sa propre monnaie entraîne toujours une redistribution», dit l’universitaire. D’un côté, les entreprises exportatrices se réjouissent des avantages concurrentiels ainsi obtenus. De l’autre côté, cet affaiblissement représente une perte du pouvoir d’achat pour les épargnants et les rentiers.

Daniel Lampart affirme au contraire que les épargnants et les rentiers souffrent également du franc fort. Puisque l’argent de nombreux investisseurs et caisses de pension est investi dans les actions et les monnaies étrangères, ces avoirs ont perdu massivement de la valeur en raison de la surévaluation du franc.

L’économie européenne fait face à sa plus dure épreuve depuis la fondation de l’Union européenne et de la zone euro. L’endettement massif, spécialement de la Grèce mais aussi d’autres pays du sud de l’Europe, a contraint les dirigeants européens à mettre sur pied des mesures de sauvetage d’une ampleur inédite.

L’Union européenne a récemment doté le fonds européen de stabilité financière de 1000 milliards d’euro. Le sauvetage de la Grèce n’est toutefois pas encore assuré. Une faillite pourrait contaminer le reste de l’Europe et remettre en question la pérennité de la zone euro. Une banqueroute ne menacerait pas seulement les banques créancières mais l’ensemble du système financier international.

Le danger croissant d’une récession mondiale ne fait qu’assombrir un peu plus les perspectives économiques.

Pour que le franc suisse, valeur refuge, ne cesse de s’évaluer, la Banque nationale suisse (BNS) a fixé début septembre un taux plancher de 1,20 franc pour un euro. Cette intervention a récolté les louanges quasi unanimes des acteurs politiques et économiques suisses.

L’intervention n’est toutefois pas gratuite, affirme le professeur saint-gallois Manuel Ammann. Cet arrimage à l’euro augmente le danger d’une inflation importée de la zone euro. Une baisse du pouvoir d’achat menace rentiers et épargnants. Les associations économiques exigent pour leur part une hausse du taux plancher pour donner un peu d’air aux entreprises exportatrices. Les syndicats souhaitent également voir le taux plancher grimper à 1,40 franc.

Philipp Hildebrand, président de la banque centrale, a signalé que la BNS était prête à prendre d’autres mesures pour affaiblir le franc suisse, s’il devait présenter un handicap intolérable pour l’économie suisse.

(Traduction de l’allemand: Samuel Jaberg)

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