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L’Europe veut imposer ses bonnes manières à la Suisse

Entre Bruxelles et Berne, un code de conduite doit être discuté Keystone

L’Union européenne (UE) va tenter le 8 juin de convaincre la Suisse d’appliquer son code de conduite sur la fiscalité des entreprises. La politique régionale helvétique dans le collimateur.

Les ministres des Finances des Vingt-Sept pays de l’UE vont inviter la Commission européenne à «entamer un dialogue avec le Liechtenstein et la Suisse sur l’application des principes et des critères» du code de conduite de l’Union européenne dans le domaine de la fiscalité des entreprises.

Jusqu’à présent, ils avaient concentré leur tir, en Suisse, sur certaines mesures cantonales relatives aux holdings, aux sociétés de domiciliation et aux sociétés mixtes. Mais ce ne sont pas les seuls «régimes fiscaux potentiellement dommageables» pour la concurrence qu’elle maintient en vigueur, estiment-ils.

100 régimes fiscaux démantelés

Les grands argentiers des Vingt-Sept approuveront un rapport et des conclusions sur les activités du «groupe code de conduite» que l’UE avait créé en 1997 en vue de lutter contre la concurrence fiscale dommageable – il est formé de représentants personnels des grands argentiers.

Depuis lors, les Etats de l’UE ont dû démanteler plus de 100 régimes – holdings 1929 au Luxembourg, centres de coordination en Belgique, etc. – prévoyant un niveau d’imposition tellement faible qu’ils représentaient une incitation aux délocalisations d’entreprises. Et faussaient donc la concurrence.

Les grands argentiers communautaires vont donner leur feu vert à «l’extension géographique» de l’application du code, déjà prévue en 1997 mais mise en oeuvre, en-dehors de l’UE. «Il est indiqué que les principes visant à éliminer les mesures fiscales dommageables soient adoptées dans un cadre géographique aussi large de que possible. A cette fin, les Etats membres s’engagent à en promouvoir l’adoption dans les pays tiers (…)», avaient-ils souligné à l’époque.

Dialoguer avec le Liechtenstein et la Suisse

Dans son rapport, «le groupe recommande que la Commission soit invitée par le Conseil à entamer un dialogue» avec des pays non membres de l’UE «en vue d’établir dans quelle mesure ils seraient prêts à souscrire aux principes et critères du code». Quels Etats? «La plus grande priorité doit être accordée aux pays tiers voisins qui ont des régimes fiscaux potentiellement dommageables, en particulier le Liechtenstein et la Suisse», ajoute le texte.

Dans ce contexte, le projet de conclusions des ministres des Finances, qui sera selon toute vraisemblance adopté tel quel, confie à la Commission le soin d’entamer un «dialogue» avec ces deux pays. Selon le groupe, il s’agira à cette occasion «d’établir jusqu’à quel point ils pourraient souscrire aux principes et aux critères du code».

«La lutte contre la concurrence déloyale ne s’arrête pas aux frontières de l’UE. Il n’y a pas qu’en matière de fiscalité de l’épargne que la Suisse et le Liechtenstein doivent faire des efforts», commente un diplomate européen.

Pas pour tout de suite

Visiblement, ce ne sera toutefois pas pour tout de suite. La Commission sera invitée par les Vingt-Sept a établir un rapport sur les démarches quelle va entreprendre «avant la fin de la présidence belge» de l’UE, en décembre.

Avant toute chose, l’Italie et le Danemark réclament «qu’en vue de maintenir la crédibilité de l’exercice», les Vingt-Sept procèdent à une évaluation précise des régimes suisses «qui sont connus pour être fiscalement attractifs» et pourraient tomber dans le champ d’application du code européen.

Outre les mesures cantonales favorables aux holdings, aux sociétés de domiciliation et aux sociétés mixtes, que Berne s’est déjà engagée à modifier pour peu que l’UE accepte de signer un cessez-le-feu sur ce front-là (ce que l’Italie refuse de faire), c’est l’ensemble de la Nouvelle politique régionale suisse, qui vise à favoriser l’essor économique des régions les moins développées, qui pourrait être attaquée.

Délocalisations dénoncées

Depuis deux ans, la Commission européenne dénonce des délocalisations du territoire de l’UE vers certaines zones frontalières helvétiques, où les entreprises peuvent parfois obtenir des exemptions d’impôts pendant 10 ans, voire plus si elles effectuent des investissements.

«Un accord entre les cantons suisses exclut la possibilité d’accorder de telles aides d’Etat pour la relocalisation d’activités économiques d’un canton vers un autre. Mais cette restriction ne s’applique pas aux entreprises établies dans l’Union», souligne notamment un rapport critique de la Commission, daté de novembre 2009.

Tanguy Verhoosel, Bruxelles, swissinfo.ch

Le «code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises» constitue, avec les directives (lois) européennes sur la fiscalité de l’épargne et les paiements transfrontaliers d’intérêts et de redevances entre les entreprises, un des volets du triptyque que l’UE a façonné en 1997 en vue de lutter contre la «concurrence fiscale dommageable» en Europe.

Critères. Le code vise en particulier à dépister les mesures qui faussent la localisation des activités économiques. Des critères ont été établis: niveau d’imposition inférieur à la moyenne nationale, facilités réservées aux non-résidents, octroi d’avantages même en l’absence de toute activité économique réelle, etc.

Engagement. Dans ce contexte, les Etats de l’UE se sont engagés à démanteler les régimes fiscaux mis sur la sellette et à s’abstenir d’introduire de nouvelles mesures ayant le même effet néfaste.

Pression politique. Le code de conduite n’est pas un instrument juridiquement contraignant, mais le principe de la «pression (politique) par les pairs» qui le sous-tend porte ses fruits.

Suppressions. Depuis 1997, 104 mesures fiscales «potentiellement dommageables» ont été identifiées dans l’UE (66 dans les «anciens» pays membres de l’Union, 30 dans ceux qui lui ont adhéré en 2004 et 8 en Roumanie et en Bulgarie). La plupart d’entre elles ont déjà été supprimées.

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